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Manuel DIAS VAZ (Partie 2)

Manuel Dias-Vaz
Portugais en Aquitaine
Né en 1946

Manuel DIAS VAZ (Partie 2)
Manuel DIAS VAZ (Partie 2)
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Les séquences

Interviewer : Aurélie Viader

Lieu : Bordeaux

Date : 10 mars 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès de l’immigration portugaise en Aquitaine, un entretien avec M. Manuel Dias-Vaz a été enregistré le 10 mars 2009 à Bordeaux. Vous trouverez un résumé synthétique de la deuxième partie de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette deuxièeme partie d’interview en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

AURELIE VIADER – Donc on en était à votre arrivée au Havre…

MANUEL DIAS – Ce qui m’a frappé, lors de mon arrivée là-bas, c’est le contact avec la mer. C’était la première fois que j’avais un contact physique et visuel avec l’océan. C’est étonnant car pour les Portugais, dans notre imaginaire, l’océan fait partie de notre histoire et c’est en France que, moi, je découvrais la mer ! Une fois cette formation d’un an finie, je suis parti quelques mois à Tours avant de revenir à Colmar, travailler dans une entreprise du bâtiment à Strasbourg. Colmar est pour moi, ce que j’appellerais mon lieu de naissance en France. La période que j’ai vécu à Lyon n’était pas belle, par contre Colmar est vraiment ma ville d’adoption.

La communauté portugaise de Colmar commençait à s’organiser et, à l’âge de 21 ans, je suis devenu président de l’association des Portugais de Colmar, et une des personnalités importantes au sein de la communauté y compris dans le dialogue avec la société française. Là, je deviens au niveau syndical, au niveau paroissial, au niveau associatif, une sorte de référent, la personne ressource, qui permet le dialogue entre la société française et la communauté portugaise. C’est avec l’équipe des prêtres de la cathédrale Saint-Martin de Colmar, que je vais créer l’association des Portugais de Colmar.

Nous créons aussi l’ASTI, « l’Association de Solidarité avec les Travailleurs Immigrants », dont je deviens, parce que je ne pouvais pas être président, le vice-président. A l’époque, la loi française interdisait en effet à un étranger d’être président ou même d’être dans le milieu d’une association française. C’était la loi, un décret de Vichy de 1939 qui limitait le droit d’association pour les étrangers. J’ai dû me battre ensuite plus tard pour abolir ce décret fasciste. Un autre évènement important va se passer à Colmar où je rencontre mon épouse Helena… et c’est aussi à Colmar que va naître ma fille, Cristina.

Colmar est donc un moment important dans ma vie, j’ai 20 ans, je suis amoureux, j’existe, je respire, j’achète une mobylette, une vieille Motobécane bleu et je cours les fêtes populaires. Quand j’y réfléchis aujourd’hui, je pense que c’est là que j’ai commencé à vivre vraiment mon adolescence, c’est la première fois que j’ai l’impression d’avoir eu une jeunesse et de retrouver la liberté. Puis on crée une fédération des associations portugaises d’Alsace fin 69. On m’en confie la responsabilité et je commence donc à devenir une personnalité à Colmar et dans la région. Ça ne me plaisait pas trop car je sentais que je ne devenais plus libre. Je devenais un instrument et cela me pesait, cette espèce de sacralisation. J’ai donc décidé de partir avec ma famille pour une autre aventure, à Nantes.

Là, je suis allé solliciter un emploi au chantier naval où j’ai été embauché en tant que menuisier. J’ai repris des activités syndicales et en 75, j’ai créé avec d’autres la Commission Nationale Immigré de la CFDT. C’est à Nantes que je vais vivre un évènement formidable dans ma vie : la révolution portugaise et la démocratisation du pays, le 25 Avril 1974. Cette révolution va permettre à mon peuple de retrouver la liberté, la démocratie, c’est la chute du fascisme. On me sollicite alors pour parler du Portugal, parce qu’il faut dire qu’à l’époque, la société française et tous les progressistes français étaient très attentifs et très admiratifs de cette révolution portugaise, qui représentait la révolution des ouvriers et un moment de message, un moment d’expérience et d’émerveillement pour le monde libre…

Il était important d’aider à faire comprendre la symbolique de la révolution au Portugal. Ce qu’elle représentait, non seulement pour les Portugais, mais également pour le monde. Parce qu’une révolution, même si elle transforme un pays, c’est aussi un moment de message, d’espérance, et d’émerveillement pour le monde libre !

Je vis donc à ce moment une période complètement folle, au sens symbolique du terme, de pleine folie, d’initiatives, d’activités passionnantes. Je suis sollicité pour aller à Paris, assumer une responsabilité en devenant secrétaire général de la FASTI, sur le territoire français, qui regroupait à peu près 150 associations de solidarité avec les migrants. Au même moment, nous avions décidé d’aller mener une action au Consulat du Portugal, à Nantes, car le consul et ses collaborateurs étaient des fascistes qui soutenaient Salazar. Nous avons donc occupé le consulat symboliquement car il était inacceptable que la diplomatie portugaise à l’étranger continue à être dirigée par des gens de l’ancien régime. Sauf que cela ne s’est pas passé comme prévu. Le consul était métis et on nous a accusés de racisme à son égard, alors qu’on ne visait pas la personne, on visait plutôt le symbole. Cette action a été très médiatisée parce que la presse nationale française, la presse régionale, y compris les télévisions, ont focalisés là-dessus, sur cette occupation du consulat du Portugal… J’ai eu une grande déception à ce moment-là, parce que les autorités françaises m’ont alors surveillé pendant quelques semaines, quelques mois, les renseignements généraux surtout, qui ont vu en moi un gauchiste, un affreux révolutionnaire, un homme dangereux… par ailleurs, j’étais déjà responsable syndical et donc particulièrement fiché et suivi.

Dans cette effervescence liée aux conséquences de la démocratisation du Portugal, on crée à Paris en 1976, la « Fédération des associations des travailleurs émigrés portugais », rassemblant toutes les associations progressistes portugaises en France. Ce qui est formidable dans cette révolution au Portugal, c’est que non seulement elle permet au peuple portugais de retrouver sa liberté, de faire tomber le fascisme, mais elle permet surtout aux peuples d’Afrique, aux anciennes colonies, de retrouver leur indépendance, c’est la fin de quatre siècles de colonialisme portugais, en Angola, au Mozambique, au Cap- Vert, en Guinée, etc. Nous avons donc créé dans la foulée, la Maison des travailleurs immigrés, une association nationale qui regroupait à Paris des associations de différentes nationalités avec des Algériens, Tunisiens, Sénégalais, Espagnols, Portugais, Italiens… dont je suis devenu l’un des responsables.

Durant ces 15 années passées en France, est-ce que vous êtes retourné au Portugal ?

Entre 64 et 68, je n’y suis pas retourné car ayant fui le fascisme, je n’avais pas de passeport. J’y suis retourné ensuite parce que ma mère et ma sœur me manquaient, parce que j’avais un peu la nostalgie du village et de la famille. Je suis rentré en 68, clandestinement, c’est paradoxal et vous imaginez la symbolique ; parce que je n’avais pas le droit de revenir puisque j’étais déserteur, j’étais parti du Portugal pour ne pas faire la guerre coloniale. Et le Portugal était encore une dictature à cette date-là. Et pour la première fois depuis 5 ans, je revois ma mère et ma sœur, chez des amis qui m’hébergent, mais très loin du village où j’aurais été dénoncé immédiatement.

Vous aviez pris la décision de rester définitivement en France ou pensiez-vous repartir peut-être un jour au Portugal, vivre de nouveau là-bas ?

Dans mon projet, comme dans le projet de beaucoup de migrants, les Portugais en particulier, le rêve de retour était quelque chose qui était très ancré. Quand j’ai quitté le Portugal, je n’avais pas du tout l’idée ou l’impression que je tirais un trait sur ce pays-là. Donc mes liens affectifs, familiaux ou politiques avec le Portugal sont restés très puissants, enracinés en moi. L’idée d’un retour a commencé à prendre corps dans mon esprit à la fin des années 70, quand il y a eu la démocratisation au Portugal. Un certain nombre de gens m’avaient sollicité. J’ai failli avoir un poste de responsable dans un cabinet ministériel au Ministère du Travail, on m’avait sollicité pour être directeur de la formation. Mais le gouvernement est tombé et ça ne s’est pas fait. Il y a eu un deuxième moment où j’ai failli repartir au Portugal. C’était en 1977, pour être député pour le cycle de l’immigration. On m’a aussi beaucoup sollicité pour être suppléant de l’ambassadeur du Portugal à Paris, qui était candidat à la députation pour l’immigration.

C’était un grand personnage qui m’a dit un jour : « Manuel, j’ai besoin de toi, tu seras mon suppléant, mais si on gagne les élections, tu seras Député pour l’immigration, parce que j’ai l’accord du Premier Ministre actuel qui me nommerait alors Ministre de la Culture. » J’ai failli être élu, mais il y avait un problème entre moi et le parti socialiste portugais parce que j’étais plus à gauche et donc dans l’élaboration du programme, j’ai été très exigeant, j’ai revendiqué ma liberté, je ne voulais pas être un apparatchik du parti, avec tout le respect que je pouvais avoir pour eux. Finalement, ce n’est pas passé. Puis, dans les années 80, comme il y avait une volonté de structurer le mouvement coopératif au Portugal, j’ai eu l’idée de créer dans mon village une grande coopérative agricole qui devait structurer dans toute la région, le développement et la promotion des produits agricoles, mais également la formation professionnelle. J’ai voulu créer dans cette région, la direction régionale de la Formation Professionnelle, former les personnes et en même temps créer cette grande coopérative pour valoriser, pour aider les paysans à vendre leurs produits et également à moderniser leurs outils de travail en faisant l’acquisition de matériel agricole qu’ils pouvaient mutualiser. J’ai donc monté ces projets, je suis allé à Bruxelles négocier des moyens pour cela. Il y avait un accord avec le ministère de l’Agriculture et ensuite il y a eu un arbitrage qui s’est fait au ministère des Finances, toutes ces questions atterrissent souvent au ministère des Finances. Et c’est finalement un cadre du parti socialiste qui a été retenu, parce que dans ces logiques de poste ou de fonction, il y a souvent des interférences politiques…

Dans le projet de départ, la dimension de retour est très présente. Quand j’ai quitté le Portugal, je n’avais pas du tout l’idée, l’impression, que je tirais un trait sur ce pays-là. Mes liens affectifs, familiaux et politiques avec le Portugal sont restés très puissants !

Après cet échec, alors que j’avais travaillé pendant un an et demi sur ce sujet, je me suis dit qu’il fallait que je me freine et j’ai donc fait le choix de m’installer en France définitivement, de m’enraciner ici et d’inscrire mes projets, ma dynamique et mon énergie sur la société d’accueil, sur ce pays que j’adore. C’est à ce moment également que j’ai pris la nationalité française et c’est aussi à ce moment-là que j’ai décidé effectivement de tourner la page. Mais même si je suis français et fier de l’être, même si ma vie est ici, ma relation avec le Portugal reste très puissante et donc l’idée d’un retour se pose à nouveau aujourd’hui. De toute manière, c’est un dilemme qui est en moi, tout comme celui de savoir, le jour où je quitterai ce monde, si je serai enterré au Portugal ou en France. Cette question est toujours dans la tête des migrants et je pense qu’il faut être capable de l’assumer. Je pense que nous sommes des êtres complexes, nous sommes tous traversés par des débats, des choix, des contradictions, des problématiques…

Votre femme est-elle française ?

Ma femme est française, mais d’origine portugaise. Elle est née à Porto, la deuxième ville du Portugal, qui est une ville magnifique du nord du Portugal, jumelée avec Bordeaux. Elle est arrivée en France à 15 ans, et elle a donc vécu pratiquement toute sa vie ici, elle a des attaches, des liens familiaux et affectifs avec le Portugal, mais notre vie est bien là.

Revenons sur votre arrivée en Aquitaine. Comment cela s’est passé ?

Je suis arrivé à Bordeaux en 1985, en tant que directeur régional de ‘’l’Agence National pour la Cohésion Sociale et l’Egalité des Droits’’. Mais avant d’être nommé à Bordeaux, j’avais eu une mission au ministère de la Solidarité, j’avais été pendant une année responsable dans un cabinet ministériel de la problématique de la jeunesse, de la vie associative et de la politique de la ville. C’est avec ce titre que j’ai été nommé en tant que responsable de l’administration d’État, qui porte aujourd’hui le nom d’ACSE, sur les problématiques de l’intégration des travailleurs migrants, la lutte contre les discriminations, la problématique du vivre ensemble dans les quartiers, l’immigration, le racisme, etc. A l’époque, le Président de la République, François Mitterrand, voulait effectivement qu’il y ait dans la société ce que l’on appelle de la discrimination positive, avec l’ambition de donner une lisibilité publique à des personnes d’origine étrangère, qui pouvaient avoir des postes importants dans l’administration. J’ai donc été de ceux-là en étant nommé à Bordeaux, et je jouais à nouveau un rôle comme personne ressource sur les questions de l’immigration, mais à un autre niveau, en tant que fonctionnaire de l’État, dans une relation à la fois de soutien au monde associatif et aux initiatives des communes, des acteurs sociaux, mais également dans une relation forte avec les services de l’État et les élus. C’est aussi à ce moment qu’a débuté une action privilégiée sur la question de l’histoire de la mémoire de l’immigration.

C’est à Bordeaux que, pour moi, le combat pour la mémoire, pour l’histoire, prend une place importante… Et cette question est encore très présente dans mon action aujourd’hui

Puis, je suis nommé membre du conseil national des Villes par le Premier Ministre de l’époque, Monsieur Fabius, donc en 1986, où je reste pendant une dizaine d’années. J’engage aussi à Bordeaux et dans la région, avec des amis, le combat de la mémoire autour d’une figure portugaise importante : Aristides de Sousa Mendes, qui fut Consul général à Bordeaux en 1940 et sauva de la déportation, par son action, plus de 30 000 personnes. Cette question de la préservation de la mémoire prend aujourd’hui une place très importante dans ma vie.

Tout comme le métissage, la diversité est l’humanité de demain. Je pense que ce travail que nous faisons aujourd’hui et auquel je contribue, pour la mémoire, pour l’histoire, pour la diversité, pour le métissage, c’est écrire les bases d’une société nouvelle, c’est préciser l’image d’un dialogue intergénérationnel et interethnique, mais c’est également écrire les bases de ce que je pourrais appeler une démarche de pacification et de dialogue dans le respect entre les groupes et les communautés. Ce n’est pas une approche communautariste parce que je suis contre le communautarisme, même si j’ai beaucoup de respect pour les gens qui ont des cultures dites « de communauté », et la manière de lutter contre le communautarisme ce n’est pas de lutter contre les communautés, c’est de créer des passerelles pour des gens qui ont des origines, des cultures et des histoires différentes, afin qu’ils puissent trouver un point de convergence, ce que j’appelle « le vivre ensemble », ce que j’appelle « l’esprit de tolérance, de respect et de fraternité ». Et je pense que ce travail sur la mémoire, l’histoire, la diversité, le métissage est un élément qui peut permettre la création d’une nouvelle identité, d’un nouveau « vivre ensemble » et d’une nouvelle culture commune. Et je parle bien d’une nouvelle culture commune, qui doit être le terreau où chacun d’entre nous, dans le respect de ses différences, est fier d’appartenir à l’humanité.

Aujourd’hui, est-ce que vous pourriez expliquer quelles sont vos fonctions ? Vous êtes Président du Rahmi, entre autre, et Président du comité « Aristides de Sousa Mendes ».

Toutes ces fonctions sont venues, j’aurais tendance à dire, pour conclure, naturellement. Tout le parcours de ma vie, depuis maintenant plus de 50 ans, s’inscrit dans cette filiation. Je suis resté fidèle à mon idéal d’humanité, un idéal de liberté, d’amour au sens le plus profond, des terres, de soi et des autres… Ce que je fais aujourd’hui en tant que Président du Réseau Régional de l’Histoire et de la Mémoire de l’Immigration en Aquitaine, en tant que membre du Musée Nationale de l’Histoire de l’Immigration à Paris, en tant que Président du Comité national français, en hommage à Aristides de Sousa Mendes, en tant que membre du Conseil Economique et Sociale Régional, membre de la Fédération National des organismes HLM au niveau central, en tant que responsable associatif, parce que je préside ici dans cette agglomération, une grande association qui s’appelle « Passage à l’Art », qui travaille sur la dimension culturelle et interculturelle, sur la rive droite de Bordeaux, je pense que tous ces engagements, tous ces lieux où je me suis impliqué, donnent une cohérence à ma vie. Cette cohérence dans ma vie, c’est le dialogue, c’est la diversité, c’est le respect de l’autre, c’est défendre partout en tout instant, ma liberté et la liberté des autres, ma liberté et la liberté collective. Mon droit de penser mais également le droit de respecter la pensée de l’autre. Il y a deux choses avec lesquelles je suis intolérant, c’est le racisme et le fascisme, parce que le racisme et le fascisme ne respectent rien de cela. Ils bafouent les droits de l’homme, les valeurs de notre république et les libertés.

Il faut tout faire pour créer des passerelles entre des gens qui ont des origines, des cultures, des histoires, différentes, pour qu’ils puissent trouver un point de convergence, ce que j’appelle, moi, le vivre ensemble. Ce que j’appelle l’esprit de tolérance, de respect et de fraternité.

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Interviewer : Aurélie Viader

Lieu : Bordeaux

Date : 10 mars 2009

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