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De la Libération à la révolution des Œillets

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Au lendemain de la Libération, la France n’attire que peu de Portugais. Le Portugal connaît une émigration importante mais la France attire peu les travailleurs portugais. Pourtant, au moment de la révolution des Œillets (1974), les Portugais seront environ 750 000 sur le sol français.

En 1947, la Junta de Emigração est créée par le régime de Salazar. Cette organisation régule les flux migratoires de l’Etat portugais. Salazar construit au sein de cette structure, une politique d’émigration restrictive. Dans une société dictatoriale, la mobilité est synonyme de danger, empêchant l’autorité de surveiller, de contrôler et de réprimer. De plus, une personne qui s’exile échappe à l’impôt et au service militaire.

La volonté de la dictature est alors de stabiliser ses citoyens sur le territoire et d’empêcher le plus possible les mobilités qui desservent le régime. Cette politique restrictive pousse même l’ambassadeur de France au Portugal à faire savoir que le pouvoir salazariste craint, de la part de ses citoyens émigrés en France, un retour au pays avec des idées communistes…

https://www.europeana.eu/fr/item/2084002/contributions_0aebbba0_c411_0137_ebde_6eee0af7192c

Jusqu’en 1957, l’émigration vers la France est anecdotique. En 1954, les Portugais ne représentent que 20 000 individus en France. C’est à partir du milieu des années 1950 que l’immigration portugaise semble significative. Entre 1956 et 1962, le nombre de Portugais en France passe d’environ 20 000 à 50 000 personnes. Face à une émigration en hausse, mais tout de même modeste, la Junta de Emigração délivre assez librement des passeports à ses citoyens qui souhaitent se rendre en France. L’émigration est alors faible et concerne des travailleurs gagnant la France pour profiter des fruits du développement économique d’après-guerre. 

en jaune, les entrées en France, régulières et irrégulières ;
en bleu les départs réguliers du point de vue de l’administration portugaise.

Par la suite, la France devient le premier pays d’émigration pour les Portugais, dépassant ainsi le Brésil. De 50 000 en 1962, les Portugais atteignent les 300 000 individus présents en France en 1968, afin de finalement atteindre le nombre de 750 000 Portugais en France en 1975, devenant ainsi le premier groupe étranger en France. La clandestinité est omniprésente et est même hégémonique dans l’arrivée des Portugais en France. Sur 900 000 Portugais accueillis en France entre 1957 et 1974, uniquement 350 000 sont arrivés en France légalement.

En 1969 et 1970, 80 % des immigrants portugais se présentent sans papiers.

Les conditions du passage clandestin de la péninsule ibérique sont complexes. Jusqu’à son arrivée sur le sol français, le migrant portugais n’est pas en sécurité. L’Espagne franquiste étant alliée du Portugal de Salazar, chaque Portugais clandestin retrouvé en Espagne est ramené au Portugal et ce jusqu’en 1965.

Le voyage vers la France est risqué et coûteux. Les personnes souhaitant aller en France doivent payer des passeurs, organisés en réseaux, qui les font traverser l’Espagne jusqu’aux Pyrénées françaisesPour l’essentiel, le trajet s’effectue à pied, par groupes de plusieurs dizaines de personnes, par tous temps et sur des sentiers qui peuvent se révéler dangereux. Physiquement éprouvés, les émigrants mettent leur vie en jeu pour atteindre la France.

A partir d’avril 1964, une fois arrivés sur le sol français, les Portugais reçoivent un récépissé leur permettant de régulariser leur situation ultérieurement. La régularisation des Portugais est institutionnalisée : un bureau de l’Office nationale de l’Immigration (ONI) est mis en place dans la gare d’Hendaye, à l’effet de l’immigration portugaise. Entre 1957 et 1974, la gare d’Hendaye est le point de passage de l’immense majorité des 900 000 Portugais entrés en France.

Face aux besoins économiques de la France des Trente Glorieuses, l’immigration portugaise est nécessaire au développement français, dans un contexte démographique où l’immigration italienne faiblit. Les Portugais deviennent désirables pour l’Etat parce qu’ils sont perçus comme des travailleurs acharnés et dociles par les patrons français. Certaines entreprises emploient un nombre considérable de travailleurs portugais, c’est le cas de l’entreprise Michelin, à Clermont-Ferrand, qui compte plus de 2 200 travailleurs portugais en 1970, soit plus de la moitié de son effectif étranger.

https://journals-openedition-org.rproxy.univ-pau.fr/mediterranee/10657?lang=fr

Cette émigration massive (le Portugal perd environ 10% de sa population active !) trouve ses origines dans une conjoncture sociale, économique et politique complexe. Dans les années 1960, le Portugal est un des pays européens les moins développé. En 1960, 42% de la population active du Portugal se trouve dans le secteur primaire. Dans le nord et le centre du Portugal, travail de la terre rime avec petite propriété, ce qui ne permet pas de gagner convenablement sa vie. Cette période est marqué par un déterminisme social fort. C’est ainsi dans ces régions que l’émigration est la plus élevée.

La scolarisation en milieu rural est très faible : la plupart de la population est illettrée et ne connaît que peu les affaires politiques et culturelles du Portugal. L’identité se forme autour de la religion, omniprésente dans les foyers portugais. Le travail de la terre et la politique restrictive de scolarisation éloignent les enfants portugais des bancs de l’école. C’est en France que les enfants de parents illettrés s’ouvrent au monde, sous les regards inquiets de leurs proches et de la communauté portugaise.

Bernadette Ferreira

« La grande hantise de tous ces Portugais immigrés illettrés, c’est le fait que, quand on allait à l’école, on ne croyait plus en Dieu, et si on ne croyait plus en Dieu, on allait aller aux enfers. »

— Bernadette Ferreira

La raison principale de l’émigration portugaise est le refus du service militaire. Le Portugal entre dans une guerre avec ses colonies (Guinée-Bissau, Angola et Mozambique) à partir de 1961. Conserver les colonies est alors une priorité pour le Portugal. Durant la guerre coloniale, 40 % du budget de l’Etat revient à l’armée. 

Les batailles menées sur le continent africain sont sanglantes, 100 000 civils africains y sont tués. Environ 800 000 hommes sont mobilisés pour alimenter les fronts africains. Parmi eux, 9 000 y trouvent la mort et 20 000 sont blessés. A partir de 1968, le service militaire est d’une durée de quatre ans, dont deux s’effectuent dans les colonies portugaises. En réaction à l’ultra-militarisation du pays,  l’émigration portugaise prend de l’ampleur pour éviter l’envoi au front. Les insoumis viennent en France et emmènent avec eux des membres de leur famille.

Photo prise par Fernando Mariano Cardeira le 23 août 1970, dans la montagne du Gerês, au nord du Portugal, lors de la désertion de six officiers de l'armée portugaise.

« A l’époque il y avait la guerre dans les colonies et, soit on partait, soit on était enrôlé… »

Luciano Carvalho

D’autres, plus rares, fuient pour des raisons politiques. Être syndicaliste ou socialiste se révèle dangereux dans la dictature de Salazar où la PIDE (Police Internationale de Défense de l’Etat) emprisonne et torture les opposants politiques. Bien que peu de réfugiés politiques soient déclarés par l’Ofpra, nombreux sont les étudiants, les syndicalistes et les militants politiques qui viennent se réfugier en France. Durant la quasi-totalité de la dictature, le PCP (Parti communiste portugais), est réfugié à Paris.

Manuel Dias Vaz

« J’avais, dès l’âge de 15 ans, adhéré au syndicat clandestin des ouvriers du textile à Covilhã, donc… y’avait une menace qui pesait sur moi, et donc mon départ clandestin vers la France était inéluctable. »

— Manuel Dias Vaz

L’immigration portugaise est souvent présentée comme un modèle d’intégration en France. Elle est exposée comme une migration qui s’est pleinement intégrée à la société française. Néanmoins, le vécu des émigrés portugais rend compte de la difficulté de l’arrivée de beaucoup d’entre eux en France. La politique d’accueil des immigrants portugais en France connaît son plus grand échec dans l’hébergement de cette immigration.

Les conditions d’hébergement des Portugais sont déplorables : certains, hébergés par leur employeur, vivent dans l’insalubrité la plus totale, dans des hangars ou des bâtiments désaffectés. D’autres, plus chanceux, logent plus ou moins provisoirement chez de la famille, chez des amis, ou chez des concitoyens d’un même village, d’une même région.

 

Le bidonville de Champigny-sur-Marne montre la précarité d’une partie des émigrés portugais. En 1965, ce bidonville accueille près de 15 000 personnes. La plupart de ces personnes sont des maghrébins et des Portugais. Moins connus, d’autres bidonvilles voient leur population augmenter face à la crise du logement que connaît à ce moment-là la France. Une partie importante de l’émigration portugaise se dirige vers Paris, le premier bassin d’emploi français. C’est dans l’agglomération parisienne que les modalités d’hébergement sont les plus rudes : les Portugais s’entassent dans les bidonvilles.

https://www.histoire-immigration.fr/collections/bidonville-de-champigny-sur-marne-1963

En 1964, le tiers de la population portugaise de la région parisienne vit dans un bidonville. En 1968, ils ne sont plus que 10%, soit 15 000 individus. Les Portugais se retrouvent dans les bidonvilles de Saint-Denis, de Villejuif, de Massy et de bien d’autres bidonvilles parisiens. Le mythe du retour, une constante des phénomènes migratoires internationaux, accentue la modestie de l’hébergement des Portugais en France. La majorité d’entre eux disposent de peu de ressources : ils souhaitent les conserver et les faire fructifier afin de rentrer, à terme, au Portugal avec assez d’argent pour sortir de la misère…

Les dates clés pour comprendre

1947 : Création de la Junta de Emigração.
1956-1962 : Le nombre de Portugais en France passe d’environ 20 000 à 50 000 personnes
1960 : 42% de la population active du Portugal se trouve dans le secteur primaire.
1961 : Début des guerres coloniales du Portugal contre son empire.
1964 : Le tiers de la population portugaise de la région parisienne vit dans un bidonville.
1969-70: 80 % des immigrants portugais arrivent en France sans papiers.
1974 : Révolution des Œillets.
1975 : 750 000 Portugais sont recensés en France.