Alain COSTE
Alain COSTE
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Les séquences

Interviewer : Fara Pohu
Lieu : Pau
Date : 22 avril 2014

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des défenseurs de l’accueil et des droits des personnes migrantes, un entretien avec M. Alain COSTE (La CIMADE), avait été réalisé le 22 avril 2014, à Pau (64). Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

 

 

Résumé de l’interview

FARA POHU – Est-ce que vous pouvez me raconter comment vous êtes devenu militant ?

ALAIN COSTE Deux facteurs ont joué : mon environnement personnel et les gens qui m’ont sollicité à différents moments. Du point de vue environnement personnel, je suis né au pied des Cévennes dans une famille protestante, un peu ouverte et austère. Après j’ai évolué du point de vue professionnel dans la recherche de pétrole en allant à l’étranger : à Madagascar, en Algérie, au Congo. Et entre-temps, je suis resté aussi dans la région parisienne, notamment en 62 lorsque j’ai été rapatrié à la fin de la guerre d’Algérie. Et il y a différentes personnes qui m’ont sollicité pour des actions associatives ponctuelles. D’un autre côté, j’ai toujours été intéressé par ce que faisait la CIMADE dans le cadre des œuvres rattachées au protestantisme.

La CIMADE est née au moment de la guerre de 39 en accompagnant les personnes évacuées.

Alors, c’était quoi ce que faisait la CIMADE par rapport au protestantisme ?

La CIMADE est née au moment de la guerre de 39 en accompagnant les personnes évacuées ou qui revenaient de l’Est et qui étaient débarquées. Des groupes de jeunes liés aux Éclaireurs ont été mobilisés pour les aider. Ils ont notamment soutenu le camp de Gurs dans le sud-ouest où il y avait des milliers de personnes déplacées. Par la suite, la CIMADE a continué à accompagner les étrangers en difficultés en France et dans le monde.

Vous avez vécu toutes ces années à l’étranger. Quand vous êtes à Paris, vous faites de l’alphabétisation auprès des Algériens c’est ça ?

En 63, des amis m’ont proposé de donner des cours de français le soir à des groupes d’algériens qui débarquaient. Il fallait qu’ils parlent suffisamment français pour passer le permis de conduire. Je l’ai probablement fait mal, mais c’était convivial. Puis, à partir de 66, j’ai dû me déplacer assez souvent. En 68-69, j’ai travaillé à Pointe-Noire au Congo, où la recherche de pétrole redémarrait. Au retour du Congo, je m’installe à Pau parce que Elf et la Société Nationale de Pétrole d’Aquitaine ont organisé un fonctionnement commun. Venant du côté Elf, j’ai été muté à Pau où j’y suis resté jusqu’à ma retraite en 88.

Le Comité Béarn-Tiers-Monde a pris la défense de travailleurs forestiers marocains qui avaient été exploités et n’avaient pas été payés. Il y a eu un grand méchoui dans les forêts pour concrétiser leur action.

Donc, à Pau, vous démarrez une nouvelle vie, et une nouvelle vie associative également.

A Pau, au sein de l’église protestante, un Centre Rencontres et Recherche a été construit après les débats de 68, comme dans différents endroits en France, pour essayer de faire une présence plus grande dans la société. En parallèle, une trentaine d’associations se sont intéressées à l’Amérique Latine. Un comité français-immigrés s’est créé avec le soutien de l’APSAP (Association de Prévention Spécialisée de l’Agglomération Paloise), composé d’éducateurs de rue. Moi, je jouais le rôle – et qui continue – de rédacteur des comptes-rendus des associations. Il y a eu le Comité Béarn-Tiers-Monde qui a pris la défense de travailleurs forestiers marocains qui avaient été exploités et n’avaient pas été payés. Il y a eu un grand méchoui dans les forêts pour concrétiser leur action. Et à partir de ce moment, certains ont souhaité créer une association de portée nationale. Le comité a créé une ASTI (Association de Solidarité avec les Travailleurs Immigrés), rattachée à la Fédération des ASTI. Et j’ai continué à faire des comptes-rendus et à avoir des contacts avec des étrangers en situation difficile, principalement des travailleurs originaires du Maghreb. A Pau, il y a une importante population marocaine, une petite communauté algérienne et une originaire d’Afrique Noire, installées surtout au nord de Ousse-les-bois. C’étaient des travailleurs ou des familles d’anciens combattants marocains qui rencontraient des problèmes d’insertion. Les Argentins et les Chiliens étaient présents mais n’avaient pas de difficultés à trouver leur place.

Quels étaient les problèmes des gens arrivant du Maghreb et d’Afrique du Nord ?

Des problèmes familiaux pour ceux qui n’arrivaient pas à faire venir leur famille en France, notamment en raison de tensions intérieures aux familles. Des problèmes liés au travail où il est difficile de s’insérer. Des tensions sécuritaires aussi, où certains jeunes qui avaient fait des conneries, vivant depuis presque toujours en France, étaient victimes de la double peine. D’importantes manifestations multi-associatives ont eu lieu pour soutenir sept ou huit jeunes qui avaient notamment fait des braquages avec des pistolets factices dans des épiceries la veille de noël et quelques autres qui avaient eu des problèmes de drogue, accompagnés par les éducateurs de l’APSAP. Des dossiers ont été construits et des démarches de plusieurs mois ont été réalisées par le Collectif Anti-Expulsions regroupant une trentaine d’associations : ils ont obtenu les régularisations. Le collectif est ensuite devenu le Collectif pour le Respect du Droit des Étrangers (CRDE) dont étaient membres l’ASTI, le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples) et SOS-Racisme. Désormais, il y a un noyau dur d’une dizaine d’associations, dont le MRAP, la Ligue des Droits de l’Homme, le Comité Catholique contre la Faim et le Développement (CCFD), la Maison des Femmes du Hédas et la CIMADE qui est le principal animateur de ce collectif. Les membres de l’ASTI ont assuré la présidence à Pau pendant vingt-cinq ans. Mais ça s’est un peu effiloché. A la fin, il y avait une dizaine de personnes qui participaient encore. Mais quand on est arrivés à faire un compte-rendu où pour une fois – parce qu’on ne votait jamais – l’unanimité a été remportée, et bien, on a arrêté : j’étais tout seul. [Rires]

Qu’étaient devenus les autres ?

Une présidente est repartie en Espagne dont elle était originaire. D’autres membres, installés en France, ont choisi de repartir là-bas. Un prêtre était aussi actif mais est décédé. Jeannie Stiven [?], qui avait beaucoup de personnalité et de battant pour secouer tout le monde, est repartie, en prenant de l’âge, à Toulouse, près de sa famille. Beaucoup ont donc évolué. L’ASTI n’a plus existé. La CIMADE était très petite, mais en 2000, elle s’est relancée. Elle a créé une association loi de 1901 pour fonctionner à Pau. Elle s’est bien développée avec l’animation d’Annie Poujoulet, mais elle est en train de décéder. Pas mal de membres adhèrent. D’autres vieillissent ou partent. Mais beaucoup de gens, qui nous connaissent peu, nous rejoignent. Ils nous ont rencontrés au stand à Emmaüs ou au Salon du livre. Et dans le nombre, il y en a une proportion, disons raisonnable, qui s’agglomère à nous.

L’essentiel des tâches consiste en l’accompagnement des étrangers qui sont en situation difficile soit sur le plan du séjour, soit sur le plan familial, éducatif ou salarial.

Et du coup, quel est le rôle de la CIMADE aujourd’hui ?

L’essentiel des tâches consiste en l’accompagnement des étrangers qui sont en situation difficile soit sur le plan du séjour, soit sur le plan familial, éducatif ou salarial. Ils sont à la marge et ont besoin d’être conseillés et accompagnés. La nouvelle problématique depuis un an est celle de la procédure initiale des demandeurs d’asile. Avant, on héritait des demandeurs d’asile le jour où ils étaient déboutés, lors des demandes de réexamens ou des démarches à faire au tribunal administratif ou à la Cour d’appel de Bordeaux. Mais France Terre d’Asile, habilitée à aider les demandeurs d’asile primo arrivants, ne peut plus s’en occuper. Alors, on tente de les aider dans le montage du dossier et la rédaction du récit. En principe, après le dépôt de leurs demandes d’asile, ils sont placés dans les CADA (Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile) où ils sont bien accompagnés. Mais le nombre de places disponibles ne correspond qu’à la moitié des places qu’il faudrait. Donc, les autres sont éventuellement placés dans des hébergements d’urgence où ils ne sont accompagnés dans leurs démarches d’une façon un peu erratique. On essaie de comprendre ce qui se fait et de voir comment on peut assurer un complément. On reçoit donc des gens qui sont envoyés de parts et d’autres, y compris par des assistantes sociales, demandant des interprètes et une aide à la rédaction.

D’accord. Et vous me disiez que France Terre d’Asile ne pouvait plus les prendre en charge. C’est une association qui a disparu ici à Pau ?

Elle a disparu à Pau. C’est une association nationale très forte et structurée, qui est présente auprès des étrangers pour l’accueil et l’aide des étrangers dans certains centres de rétention. A Pau, ils étaient deux. Un Monsieur s’en occupait depuis longtemps, depuis l’époque de l’immigration vietnamienne, d’une façon dynamique et un peu personnelle, sans vouloir partager ses dossiers. Quand il a disparu, le bureau de Pau n’a plus eu les moyens. D’autant plus que la personne qui s’en occupait avec lui avait 90 ans.

C’est une satisfaction d’avoir pu aider quelqu’un. Et même quand il n’y a rien à faire, le fait de comprendre pour eux quelle est leur situation et pourquoi, c’est important.

D’accord. Vous, vous militez depuis de nombreuses années maintenant. Est-ce qu’il y a eu des moments de découragement, des moments où vous aviez envie d’arrêter ?

Non, non. C’est une satisfaction d’avoir pu aider quelqu’un. Dans ce domaine, beaucoup trouvent que c’est dur et décourageant. On a l’impression qu’en faisant beaucoup de travail, ça ne sert à rien. Certains l’expriment périodiquement. Mais, disons que si dans un cas sur dix ou un sur vingt, on a réussi à faire passer un dossier à la marge ou à lever des mesures illégales de la préfecture, alors que la législation elle est devenue de plus en plus compliquée et que les marges d’appréciation de la préfecture, elles, sont assez larges, c’est déjà bien. Et même quand il n’y a rien à faire, le fait de comprendre pour eux quelle est leur situation et pourquoi, c’est important. Ce n’est pas parce que l’administration leur veut du mal que cela se passe ainsi. C’est qu’il y a derrière un fondement qu’ils n’ont pas compris. Il est vrai qu’il y a des administrations plus ou moins dures ou ouvertes. Mais ce sentiment que l’endroit où on est est le plus affreux de la France, et qu’ailleurs ça serait bien mieux, n’est pas vrai. On a tendance à les aider en exprimant la réalité de la situation dans laquelle ils sont. C’est souvent très difficile. Souvent, des gens pleurent. Mais en général, ils nous disent : « Je vous ai trouvé dur mais je vous remercie d’avoir dit les choses parce que ça nous a aidés à mieux comprendre et vivre la situation dans laquelle on était. »

Là, vous avez obtenu un local pour la CIMADE. C’est récent ça ?

Oui, on a profité d’un bâtiment annexe de l’église réformée qui était mal utilisé. Et une dame, très militante à l’ASTI, a fait un leg pour le CCFD et La CIMADE, grâce auquel on a pu faire la remise en état. Pour la première fois, on va pouvoir conserver les documents administratifs. Le mari de l’ancienne présidente de la CIMADE, qui est là depuis sa création en 2010, m’a transmis 200 kilos de documents à trier.

Donc c’est aussi ici que vous recevez le public ?

On reçoit le public en partie ici et en partie au Centre Social du Hameau, qui est dans un quartier où il y a beaucoup d’étrangers, qui fait beaucoup d’animations et d’accompagnements. Ils nous mettent à disposition une armoire pour les documents du CRDE. On y fait une permanence le lundi après-midi où on reçoit plus d’une dizaine de situations, dont certaines représentent plus d’une heure de discussion, avec en plus des rendez-vous qu’on peut prendre pour approfondir et compléter les dossiers à d’autres moments.

Il y a de plus en plus de demandes ?

Il y a beaucoup de demandes, liées à, disons, la misère qui s’accroît. Il y a dans les situations nouvelles : les maghrébins, installés en Espagne ou en Italie, où ils ont eu la nationalité sans que leur famille ne l’ait, et qui rejoignent la France en recherche de travail. Il y a aussi des mariages mixtes qui ont de la difficulté à vivre avec un rejet assez brutal du conjoint étranger.

Même si on ne fait pas tout ce qu’on voudrait, le sentiment de ne pas être complètement inutile aide à vivre aussi.

Et après toutes ces années, ces heures d’engagement, vous continuez ?

Ah moi, tant que je peux… Même si on ne fait pas tout ce qu’on voudrait, le sentiment de ne pas être complètement inutile aide à vivre aussi. Et, c’est intéressant de construire quelque chose. Intellectuellement et affectivement, ça fait travailler parce que c’est complexe : beaucoup de situations, de dossiers, de documents et de discussions variées. Il a des gentils, des moins gentils, des plus ou moins malheureux, ceux qui ont des histoires, d’autres qui s’expriment plus ou moins bien. De plus, on accompagne jamais les personnes seul. Le souci est davantage d’ordre privé, je n’arrive pas à faire face à tout en termes de temps et de présence. Je manque de temps pour mes affaires et pour ma femme [Rires].

Ça demande beaucoup d’investissement.

Il y a des investissements complémentaires au niveau régional et national. Il faut s’investir de plus en plus et les bénévoles sont moins intéressés et disponibles pour ce type d’actions. C’est un peu différent dans d’autres groupes plus importants comme à Toulouse, Bayonne et Biarritz, où ils rencontrent plus de populations en transit entre l’Espagne et la France. Ils ont un centre de rétention administrative à Hendaye.

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