Hassan EL HOULALI
Hassan EL HOULALI
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Les séquences

Interviewer : Fara Pohu
Lieu : Bordeaux
Date : 6 mars 2014

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des défenseurs de l’accueil et des droits des personnes migrantes, un entretien avec M. Hassan El Houlali (Surf Insertion), avait été réalisé le 6 mars 2014, à Bordeaux. Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

 

Résumé de l’interview

FARA POHU – Monsieur El HOULALI, est-ce que vous pouvez me raconter votre parcours ? Comment êtes-vous arrivé en France ?

HASSAN El HOULALI – Je suis d’origine marocaine. Je suis arrivé en France grâce à une bourse obtenue après avoir été parmi les premiers de ma promotion au baccalauréat. En parallèle de mes études, j’étais un sportif de haut niveau. J’étais membre d’une équipe d’athlétisme du Maroc. Je suis venu faire des études de sociologie en France. La spécialité était choisie par le gouvernement marocain. En 79, je me suis retrouvé à Bordeaux, comme cinq-cents ou six-cents Marocains de l’époque. A l’université, on devait être pas loin de mille Marocains. Mais 90% étudiaient les sciences, l’économie ou le droit. Nous étions très peu en sociologie ou en psychologie. Je m’en rappelle très très bien. J’étais tout jeune et je n’avais personne pour m’aiguiller et pour comprendre. Des rêves plein la tête, on était en recherche de nous-mêmes. On ignorait ce qu’était l’exil ou la migration. Mais on le pressentait. Sur le quai de la gare, on disait au revoir aux parents, on sentait qu’on ne reviendrait jamais indemnes. C’était dans les yeux des parents. Mais on avait la fougue d’aller chercher notre part d’aventure, de voir comment ça se passe ailleurs. Et puis c’était Bordeaux, au bord de l’eau. C’était des nuits, des jours, à n’en pas finir, à parler de son identité, de qui on est et  à découvrir le monde. C’était de l’ordre de la blessure du nom propre : qu’est-ce qu’on est par rapport à d’autres ? Et puis c’était une ville étudiante cosmopolite : 100 000 étudiants d’autres coins.

J’étais dans le quartier Saint-Michel, le quartier bigarré, où il y a un peu de tout le monde, toute cette jeunesse, toutes les immigrations, des intellos, des étudiants, des ouvriers… J’adorais le dimanche parce qu’il y avait tous les marchés. Cours Victor Hugo, je déambulais dans leurs étalages, magnifiques.  Et puis je m’arrêtais dans des cafés d’immigration où il y avait beaucoup d’algériens.  J’adorais cette ambiance et je suis devenu sans le vouloir écrivain public. Je m’installais avec des copains dans des petits bistrots et les gens me ramenaient leur courrier. J’ai pris cette habitude le dimanche ou quand j’avais le temps. Je rentrais, je lisais les documents administratifs et j’écrivais ou lisais des courriers pour le pays. Ça m’a amené très vite à l’écriture. C’étaient des problématiques importantes de parcours de l’immigration, d’exil compliqué, où des gens ne savent pas lire la langue, avec une nostalgie du pays et un espoir de revenir avec de l’argent. C’est le mythe du retour. Mais le quotidien mange les gens, l’exil les happe. C’est de là que je me suis sensibilisé à la problématique des vieux immigrés. Après trente ou quarante ans en France, ils pensent tout le temps à repartir. Mais, ils sont toujours au même endroit. Le mythe du retour les fait tenir. Un exemple d’histoire : “Tiens j’ai le robinet qui coule. Je ne vais pas le réparer, parce que ça ne sert à rien, je vais rentrer chez moi un jour.” Et puis, quarante ans ont passé et le robinet coule toujours. Et donc c’est un déchirement. En 81, le rêve socialiste de Mitterrand est arrivé. Mais en 82, rien n’avait bougé au niveau des jeunes issus de l’immigration. Pour les politiques, les immigrés viennent en France, pour une durée très courte, travailler, ramasser un peu d’argent et rentrer au pays. Ils ne se sont pas rendus compte que c’était un mythe, qu’ils restaient d’une manière structurelle. Et puis, les migrants qui sont là pour travailler font des enfants. Et les enfants grandissent. Et ils vont à l’école française. Mais la société française n’avait pas cette cette conscience. Alors, en 82, à Lyon, il y a eu des émeutes et des premiers idéaux. Pourquoi ? Parce que les jeunes et les policiers se fritent. On tirait sur les jeunes issus de l’immigration comme sur des lapins. Il y a eu plus de soixante morts et des agressions. On a alors découvert qu’il y a des jeunes parqués dans des maisons en tôle ou dans des zones de non-droit, dans des bidonvilles.

En 83, c’est la première marche après l’agression de Tommy, un garçon dont tout le monde connaît aujourd’hui l’histoire. Et comme toujours à l’époque, il y a eu un curé, encore un peu de gauche, qui leur a dit : « Écoutez, ça ne sert à rien d’aller à la confrontation. Faites une marche comme les noirs américains.” Nous nous sommes retrouvés à 300 000 personnes à Paris.

J’en faisais partie. Je faisais sociologie, ça m’intéressait. C’est là qu’on a vu une belle société française solidaire, mais qui ne connaissait pas ces problématiques. Après, il y a eu la marche de 94. La France, c’est comme une mobylette, pour avancer il faut du mélange. Puis, SOS Racisme a repris un peu tout ce symbole, la lutte contre la discrimination et le racisme. Et le parti socialiste avait besoin d’avoir une jeunesse. SOS Racisme travaillait aussi sur des problématiques beaucoup plus larges : l’Afrique du Sud, le conflit israléo-palestinien… En 85, Arezki Dahmani, un professeur d’origine kabyle, qui a vécu des problématiques compliquées en d’Algérie, se retrouve avec des gens de Radio Beur. Et ils créent l’association des droits civiques, France Plus. L’objectif est de faire le renouvellement par le haut et par le bas. Les jeunes issus de l’immigration, nés en France et français à part entière, doivent s’intéresser à la sphère économique et politique, et le social viendrait après. Il faut qu’ils aillent s’inscrire sur les listes électorales, qu’ils rentrent dans la société française, à la manière un peu des noirs américains. Il faut travailler sur les valeurs de la République. Donc beau programme, mais compliqué au quotidien. Et ces deux associations, SOS Racisme et France Plus, de 80 à 95, se sont toujours battaillées. Mais elles avaient beaucoup plus d’assise car beaucoup plus de moyens. Le Parti Socialiste les soutenait fortement. A Bordeaux, il y avait des vieilles associations d’immigrés qui travaillaient, donnaient des coups de main. Mais c’était un discours compliqué sur la société française, le respect, les pauvres, avec un côté misérabiliste. Quand SOS Racisme s’est créé, j’étais pour. C’était important. Mais je retrouvais plus de valeur à dire aux gens de s’intégrer économiquement et politiquement. Ça résonnait beaucoup plus que les grands discours antiracistes. Je me suis ainsi retrouvé dans des associations de droits civiques. On était une centaine de comités dans toute la France. A Bordeaux, je suis devenu responsable d’un comité mais avec aucun moyen.

Vous aviez un bus dédié à votre action et vous aviez une salle dans les lieux où vous arriviez pour mettre ça en place ?

Oui. Tout le monde était demandeur, même les politiques. C’était un laboratoire. On est en 86. On parlait de qui sont ces jeunes, de ce qu’ils veulent, de ce qu’ils ont à perdre de faire… Chacun raconte ce qu’il a pu cacher. Par exemple : “Moi, j’ai la nationalité française, mais je la cache, parce que j’ai eu toujours peur de choquer mon père, parce qu’il était de l’autre côté”, ou “C’est ma mère qui m’a demandé d’avoir la nationalité pour avoir ce boulot.” Il y avait la problématique des jeunes harkis, celle des filles qui veulent sortir, celle de l’école. Ou encore des groupes de rap que la mairie refuse de produire et qui pensent à créer une association comme France Plus pour avoir du poids. On est partis dans d’autres villes à trente, à quarante pour les listes électorales. Les maires étaient ravis : des jeunes qu’ils ne comptaient pas allaient commencer à voter. Le vote aujourd’hui, pour les politiques, c’est comme une mitraillette. C’était sortir de la problématique du vote des parents d’immigrés. On a fait les affiches “Demain, je serai président” pour sortir de l’idée que des gens issus de l’immigration ne sont pas faits que pour travailler. Il fallait exorciser avec les mots. On était au balbutiement de tout ce qui peut tramer dans la société française avec des gens issus de l’immigration. Ce n’étaient pas les grands concerts, les grandes batailles, mais des batailles sur l’intime, sur des problématiques personnelles. C’était dire en public des choses qui rongeaient, comme une psychanalyse de l’immigration.

En 89, des membres des Verts, Brice Lalonde notamment, m’ont sollicité pour devenir député européen. J’étais résolument un garçon de gauche, mais je passais aussi ma journée à m’engueuler avec eux, parce que, pour la moitié des choses, ils n’avaient rien compris. Et j’essayais aussi d’expliquer à d’autres que c’est pas parce qu’on était de gauche qu’on ne pouvait pas être cons et racistes. Et je n’étais pas militant. Jamais jusqu’à aujourd’hui, je n’ai eu de carte d’un parti politique. Un jour j’ai été contacté par Chaban, le maire de Bordeaux, pour partager un repas pour la fête du mouton avec la communauté musulmane locale. Nous avons été filmés par Libération et France 2. Aujourd’hui, les choses ont changé. Les gens bataillent plutôt pour faire le contraire.

Vous le viviez comme une récupération ou comme une avancée ?

Je me suis rendu compte que quand on est membre d’un parti, il y a une dimension personnelle. Je ne voulais pas faire de France Plus un bébé du parti socialiste ou du Centre. Sinon, on se serait coupé de la moitié des choses. Je recherchais un lieu où toute la jeunesse, où tous les gens de tous bords, peuvent venir trouver ce qu’ils veulent, organiser ce qu’ils ont envie. Je soutenais les gens : “Tu peux prendre le support de France Plus et mener ton combat.” Donc, ça pouvait être de la récupération. Mais après des années d’indifférence, si les gens récupèrent, au moins ils parlent des choses qui existent. Lorsqu’un maire d’une ville, un ancien résistant qui a combattu aux côtés d’immigrés, vient partager un repas et regarder ce qu’il se passe à Saint-Michel, il récupère, oui, mais il donne une dimension importante à l’immigration par la médiatisation nationale. C’était la première action d’un grand homme politique, un ancien premier ministre, qui se présentait aux élections présidentielles. À lui tout seul, c’était la nouvelle société. Et Bordeaux, c’était une ville très importante. Après, il m’a demandé d’ être sur sa liste. Catherine Lalumière, avec laquelle je me sentais plus proche, me demandait la même chose. Merignac pareil.

Ça a duré combien de temps cette aventure avec France Plus ?

De 1986 à 1990, 91. Après, au niveau national, je me suis rendu compte que c’était des généraux sans troupe. Ils commençaient à faire de la politique politicienne. Nous on était cent-vingt, cent-trente comités avec peu de moyens, avec rien du tout. Paris avait les moyens du FAS (Fonds d’Action Sociale). Ils passaient leur vie dans des cabinets ministériels, dans d’autres problématiques. Ils commençaient à se détacher et à prendre des initiatives non démocratiques. Avec 90 % des copains, qui étaient beaucoup de gauche, on a demandé à sortir du mouvement national. Et on est restés en tant qu’entité ici, sans direction. On a fait des centres d’animation pour sortir les jeunes de chez eux et leur faire découvrir la société française. On les soutenait dans leurs inscriptions sur les listes électorales et leurs adhésions politiques. On participait ensemble à la fête du 14 juillet. Personnellement, aller voir l’armée ne me branchait pas. Mais dix ou quinze gamins ont bataillé pour y être. C’était le moment où ils rencontraient des gens qu’ils avaient toujours rêvé de rencontrer. De manière générale, on les aidait à trouver leur voie. On créait des initiatives individuelles dans les initiatives collectives. C’était épuisant car on avait très peu de moyens. Aujourd’hui, lorsqu’on me reproche de ne pas avoir fait de politique, j’explique. Si j’avais été un élu, les choses auraient changé. Mais le mouvement ici ne serait pas ce qu’il est devenu pendant une dizaine d’années. On était désintéressés, donc on a creusé un sillon et on s’est engouffrés. On a tracé la voie à beaucoup de jeunes. On a échangé sur des problématiques d’ailleurs toujours actuelles. On a été les premiers à faire des réunions sur la religion. Je me rappelle quatre-cents personnes qui discutaient là-dessus. Les politiques passaient à côté. Les jeunes demandaient à vivre leur religion d’une manière digne, à avoir des lieux de culte. On a abordé tous les problèmes que la société aujourd’hui n’a pas pu régler. Les politiques les connaissaient mais ne faisaient rien. Chaque gouvernement qui arrive chasse l’autre et tout ce qu’il avait fait. Il n’y a jamais eu de politique d’intégration. Un gouvernement fait, l’autre défait. On dirait des papillons. C’était des relations, des drames humains qu’on faisait et défaisait. Donc, d’une manière modeste, on a pu faire les liens et ouvrir une page aux jeunes issus de l’immigration dans cette ville. C’est ainsi que Bordeaux est devenue ce qu’elle est aujourd’hui, même si beaucoup disent qu’ils ont tout fait. Ils ont oublié qu’on y a laissé les dents, et qu’on y a laissé beaucoup de plaisir aussi. On était des casseurs de cailloux. On a sorti les jeunes de leurs quartiers. En 92, on est même partis ensemble au Conseil de l’Europe. On a offert la possibilité de rêver. On a organisé un des plus grands concerts de hip-hop à Barbey. La mairie disait : “Le hip-hop, qu’est-ce que c’est ? Ça fait peur. Ils vont tout casser.” On leur a dit : “Mais on vous invite, vous allez voir.” On a fait portes ouvertes vingt-quatre heures. Les plus grands groupes sont venus de Paris, mais aussi de la région comme Angoulême. Ils étaient issus ou non de l’immigration. C’était d’ailleurs le point de blocage des politiques. A France Plus, on sortait de la problématique : Français de souche, d’origine italienne ou d’autres, de culture hip-hop ou rock, des gitans… Tous ceux qui veulent faire bouger. En plus, la période était difficile avec une extrême droite très dure. A partir de 94, on s’est séparés de la direction nationale de France Plus qui faisait de la récupération politique. Aujourd’hui, si certains France Plus existent toujours c’est qu’ils sont locaux. Faire de la politique en France n’est pas évident. Notre but était d’aider les jeunes à s’insérer, à ce que la France devienne leur. La France est à côté de la plaque et ne prend pas en compte la richesse qui est la sienne, celle de sa jeunesse issue de l’immigration qui a notamment une valeur au niveau économique et commercial.

Aux réunions, les jeunes qui venaient étaient perdus. Ils voulaient trouver un travail et s’insérer dans la société française. Certains ont très bien réussi. A Marseille par exemple, certains sont devenus très riches, des grands nababs, des médecins ou autres. Ils étaient aussi très malheureux parce qu’ils étaient dans leur coin. Ils ne savaient pas quoi faire avec cette réussite sociale. Ils étaient là à enrager, à vouloir aller de l’avant. On était le lien entre des milliers d’histoires qui nous dépassent. Beaucoup de jeunes se sont engagés dans la politique. En 89, au niveau national, cinq-cent de nos jeunes étaient inscrits sur les listes électorales des Verts, du parti socialiste ou du parti communiste. Dans la région aquitaine, on en avait trois ou quatre. Mais quand tu ne t’intéresses pas à la politique, la politique s’occupe de toi irrémédiablement. Le but était d’ouvrir un dialogue. C’était comme une cocotte-minute en pleine ébullition : problèmes de justice, de jeunesse, de police, d’école, de travail, de discrimination, de famille, de religion. On a créé un laboratoire, un espace pour parler et trouver des moyens d’action. J’ai essayé de faire de cette association un poil-à-gratter en Aquitaine. J’ai tenté de faire des connexions. Mais à un moment donné, j’en eu marre : ça ne poussait pas. On voulait qu’on devienne des généraux sans troupe : attirer les jeunes et leur mentir. Je me suis dit “Faut savoir arrêter. Ce n’est plus ce que c’était.” On a joué un rôle de tremplin durant dix ans malgré notre absence totale de moyens. On a fait des conquêtes. Quatre-vingt gamins ont obtenu des emplois aidés, leurs premiers boulots. Ils ont pu trouver un logement, sortir de chez eux où ils étaient enfermés. Des petites victoires. Pour moi, c’était magnifique. C’était une grande école de la vie, une école de la citoyenneté. Il faut rappeler que la France est un pays messianique, le pays du possible. Pourtant, c’est un pays où les jeunes ont beaucoup souffert, certains en sont marqués à vie. Pour le vivre-ensemble, il n’y avait que la parole. Au commencement était le verbe. Il faut discuter, dire les choses. Ensuite, je me suis dit : “C’est compliqué. C’est vrai que pour faire de la politique dans ce pays, il faut être initié. Il faut avoir la main de quelqu’un qui puisse faire des choses.” Et en faisant mes tours, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de gens qui restaient dans leur quartier et que la seule connexion entre les institutions et beaucoup de jeunes, c’était le sport. Mais le sport, le foot notamment, avait un rôle “social-ethnique”. Pour avoir la paix sociale, on trouve un jeune, le “grand frère”, qu’on bombarde  animateur et il s’occupe des autres. Ce sont les pompiers du social. Durant deux ans, j’ai arrêté mes activités à France Plus. J’ai terminé ma thèse et je faisais d’autres choses. J’étais toujours un étudiant avec peu de moyens. Mais je voulais des choses palpables, qui peuvent avancer. Et je me suis dit : “On a un littoral sublime posé à côté. On a des milliers de jeunes qui ne partent pas en vacances. Ils restent toujours à faire les mêmes choses, ne sortent pas de leurs quartiers où ils trouvent leur identité mais où ils rouillent.” La France est un pays ouvert. Il fallait leur dire : « Il n’y a que la Légion qui est étrangère ! Sortez ! Vous êtes français à part entière. Allez voir ce qui se passe ailleurs !” Pour faire quelque chose, il fallait un renouvellement par le haut. Je me suis dit “Pourquoi pas le surf ?” On est dans une belle région, une terre d’immigration. Bordeaux est une ville de culture et de métissage, ouverte à beaucoup de choses. On se rappelle les trois “M” : Montaigne, Montesquieu, Mauriac. Le surf est une marque d’identité régionale très forte. On a démarré comme ça, avec dix gamins. Et dix-sept ans après on a l’association “Surf Insertion” existe comme elle n’a jamais existé : 3500 jeunes par an y viennent.

Ça marche comment concrètement ?

C’est tout simple. On est partis de l’idée de faire sortir les jeunes des lieux où ils sont pour les amener sur un lieu neutre mais pas tant neutre que ça : la plage. Les jeunes en ont marre du foot et de la boxe. Ils ont envie de sports nature, glisse, de tout ce qui est à l’extérieur.

Vous allez à leur rencontre ? Vous leur proposez ? Ou c’est eux qui viennent vers vous ?

Oui, au début, il fallait. On a pris notre bâton de pellerin. On sait faire avec France Plus. On s’est tournés vers les centres d’animations et les associations de quartier. Aujourd’hui, c’est le contraire. Surf Insertion est connue par tout le monde. Notre drame est qu’on peut plus prendre plus de ce qu’on a. On est capable de travailler avec 3000-3200 personnes, mais on a 6000 personnes qui veulent venir avec nous. On n’a ni les moyens physiques ni les moyens économiques.

C’est plus sous forme de séjour de quelques jours ?

Nous visons tous les gamins qui ne partent pas en vacances et qui n’ont pas d’autres projets, sur tout le territoire national, de Hendaye jusqu’à la Bretagne, de 8 ans à 70 ans. Nous visons ceux des villes mais aussi des campagnes où certains ont encore moins de moyens qu’en zone urbaine.  Par exemple, dans le Médoc, à Pauillac ou à Lesparre, c’est la misère humaine. C’est le Quart-monde avec un fort racisme anti-jeunes. Il n’y  a pas d’associations : les jeunes braconnent, font des mobylettes, picolent et s’ennuient à mourir. Il faut travailler avec les rats des champs et les rats des villes. On propose aux jeunes de venir pratiquer un autre sport que ce qu’ils font aujourd’hui. Le surf n’est pas que pour les blondinets argentés et rebelles. Ce qui nous intéresse, ce sont les valeurs du surf. Dans la vie, on peut tricher, ça peut fonctionner ou pas. Dans le surf si on triche, la sanction est immédiate. C’est la nature qui donne la règle. Tu fais le malin, le courant va t’amener et tu bois la tasse. C’est un milieu qui est très houleux et compliqué. Pour chevaucher une vague, il faut savoir où est le vent, où sont les autres surfeurs. Il faut s’adapter. C’est une confrontation très forte. Le surf les structure aussi. Pour être un bon surfeur, la musculation ne suffit pas. Il faut avoir un corps en bonne santé et l’entretenir. Et il faut lire son environnement, reconnaître le danger, sa liberté. Il faut de la technique, mais surtout, il faut en chier pour être debout. C’est comme dans la vie. Il faut ramer. A France Plus, chacun s’envolait de lui-même dans la société française et nous n’avions aucune emprise. A Surf Insertion, on est sur des actions chiffrables. C’est 3500 gamins et des éducateurs sportifs qui ont une autre conception, sans a priori. Pour eux, le surf est une contre-culture à la Kerouac, aller à l’encontre de la société et à la rencontre des autres. Ils sont heureux de voir des gamins qui en veulent, qui ont l’envie. La seule chose sur laquelle il faut travailler c’est la règle. Il faut savoir dire : à la maison et à l’école, la règle était là pour t’emmerder peut-être. La notre elle n’est pas contre toi mais pour te protéger. Le surf est aussi une école de l’écocitoyenneté. L’idée est de rendre accessible un sport très cher. On leur demande cinq euros et on se débrouille. On paye le club. On leur rappelle que grâce à eux, les clubs vivent en dehors des mois d’été. Ils participent au développement économique du littoral car ils surfent toute l’année dès qu’il ne fait pas trop froid. Ils viennent souvent plusieurs fois, sur plusieurs années. On leur rappelle aussi que c’est un milieu très fragile avec des problématiques de pollution. On travaille avec eux sur l’environnement : la connaissance de la faune et de la flore. C’est un nouveau monde qu’ils s’approprient. On a réalisé ce guide sur les landes gasconnes et l’océan Atlantique. Sur place, nous faisons le contraire d’un surfeur qui a envie d’aller surfer rapidement : on prend le temps. On traverse la forêt, on s’arrête et on fait des actions écocitoyennes. On travaille des thématiques environnementales obligatoires.

En conclusion, une petite parenthèse en ce qui me concerne, j’ai rarement parlé de moi. Raconter vingt-cinq ans en moins d’une heure, c’est compliqué. J’ai des enfants qui ont 14 ans aujourd’hui. Si j’arrive à voir quelque chose, c’est que je suis contre le discours d’intégration. C’est quoi de parler d’intégration à un gamin qui est de la troisième génération ? C’est de la désintégration. Et je suis contre l’intégrisme. Je suis pour l’intégrité des personnes, celle qui les rend citoyennes. C’est pour cela que je suis à Surf Insertion. Le reste n’est que discours et idéologie. Dire aux jeunes qu’ils sont à part entière, qu’ils sont un atout à eux-même et à ce qui est autour d’eux, qu’il faut foncer dans la société française, qu’il faut y aller. Et il n’y a pas d’étrangers. Il y a que la Légion étrangère qui est étrangère. La jeunesse est l’avenir de ce pays. Il faut se battre contre les discriminations, qui sont le plus dramatique qui peut être. Discriminer discrédite la nation. “Discri-mi-nation” discrédite la nation. Elle enlève des valeurs ajoutées très fortes à la société française.

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