Jean-Claude GUICHENEY
Jean-Claude GUICHENEY
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Les séquences

Interviewer : Fara Pohu
Lieu : Bordeaux
Date : 10 mars 2014

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des défenseurs de l’accueil et des droits des personnes migrantes, un entretien avec M. Jean-Claude Guicheney (LDH), avait été réalisé le 10 mars 2014, à Bordeaux. Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

 

Résumé de l’interview

Mon engagement au sein de la Ligue des Droits de l’Homme tient à l’attachement à des valeurs d’humanité, notamment au respect des droits fondamentaux.

Fara POHU – Est-ce que vous pouvez me raconter comment on commence à s’engager à la Ligue des Droits de l’Homme ?

Jean-Claude GUICHENEY – Mon engagement au sein de la Ligue des Droits de l’Homme tient à l’attachement à des valeurs d’humanité, notamment au respect des droits fondamentaux. Et de ce point de vue, la Ligue des Droits de l’Homme a un caractère généraliste, celui qui l’a conduite, depuis sa création en 1898, à s’intéresser aux droits civiques et politiques dans un premier temps. C’est parti avec l’affaire Dreyfus et le billet d’Emile Zola “J’accuse”. Puis, elle a investi le champ des droits économiques, sociaux et culturels. Donc sa capacité à aborder des problèmes larges de société avec ce prisme des droits fondamentaux m’a plu.

Il est important pour le citoyen d’entretenir cette vie politique. Alors, comment s’investir sans être pris dans les contraintes d’appareils propres aux partis, en conservant une marge de liberté ?

Et qu’est-ce qui fait qu’on décide, à un moment, de s’engager ?

Je suis rentré à la section Bordeaux en mai 2010. C’est un cheminement de plusieurs années. Avant, je m’étais intéressé à différentes associations. Je suis passé par Amnesty International et par certaines associations environnementales. Ensuite, j’ai adhéré à des associations comme Aide et Action et Médecins Sans Frontières. Et depuis longtemps je suis aussi vigilant sur ce qui se passe à l’international, sur la situation dans certains pays qui posent problèmes tant du point de vue démocratique que du point de vue environnemental ou économique. Et je me suis assez longtemps interrogé sur l’intérêt qu’il pouvait y avoir de rentrer dans un parti politique. Et quand j’écoutais certains amis engagés, quelques soient les bords, j’avais l’impression qu’il était très difficile pour le militant de base de se faire entendre. Et quand on constate aussi l’actualité nationale sur le fonctionnement des partis, c’est un peu compliqué. Pour autant, vu mon travail, qui est relativement proche du monde politique, je me suis dit qu’il est important pour le citoyen d’entretenir cette vie politique. Alors, comment s’investir sans être pris dans les contraintes d’appareils propres aux partis, en conservant une marge de liberté et en conduisant des projets qui s’inscrivent dans un cadre avec, toujours comme socle fondamental, la vigilance sur les droits ? J’ai découvert la Ligue des Droits de l’Homme. Deux mois après mon arrivée, j’acceptais d’être secrétaire. Quand le président de la Ligue, Gérard Boulanger, est entré au Conseil Régional, il m’a été demandé d’assumer le rôle de président de l’association. Les choses se sont passées très vite. Et c’est vrai que j’ai trouvé au sein de la Ligue un espace de dialogue et d’actions où chacun apporte ses idées. Et côtoyer ce monde de militants est une richesse. Il n’y a pas de tabous. On se dit les choses, quelle que soit son origine et ses conditions.

Et concrètement, comment vous vous réunissez et à quelle fréquence ? Pourquoi et quelles sont les actions ?

Alors, de façon très statutaire, on se réunit en section et en fédération une fois par mois, sachant qu’on a régulièrement des actions qui sont menées, collectives ou individuelles par des militants qui conduisent des opérations spécifiques. Chacun selon ses affinités s’implique sur des thématiques dès lors qu’il respecte la défense des droits fondamentaux. Les socles sont juridiques : Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen… Après, depuis 1948, ou a fortiori depuis 1789, la société évolue et on prend le pli de la jurisprudence de la Ligue des Droits de l’Homme-France. Après, il y a plusieurs types d’actions. Il y a des actions invisibles comme la médiation. Par exemple, la situation des Roms sur l’agglomération bordelaise nous amène avec d’autres associations à réguler et à améliorer leur sort. Ces actions sont visibles dès lors qu’on leur donne une autre forme de consistance comme des rencontres-débats publiques, des cessions de formations, des rassemblements ou des manifestations. On a aussi des supports d’informations qu’on essaie de renseigner régulièrement, comme Facebook ou le site Internet. On donne une lisibilité à notre action auprès du grand public qu’il soit militant ou pas. 

Et par exemple, dans le cas des Roms, quel poids vous arrivez à avoir ?

Le poids, je ne peux pas le mesurer aussi simplement que ça. On ne peut l’identifier qu’à travers des actions qu’on peut conduire. Pour les Roms, on mène des actions collectives avec Médecins du monde ou RESF. On accompagne aussi certaines familles vivant en squat à Pessac, à Bègles ou à Bordeaux. On mène aussi des actions de médiation avec les maires, les responsables de la CUB (Communauté Urbaine de Bordeaux) ou même les services préfectoraux, de façon à les alerter sur des situations comme des opérations d’évacuation de squats.

On a réalisé un rapport en 2012, sur la base d’observations, sur les conditions d’accueil des étrangers en préfecture. Le travail se poursuit actuellement même si on a eu parfois l’impression de se faire balader.

Et par exemple, quels sont vos rapports avec la préfecture ?

Ils sont courtois. Il y a des échanges réguliers avec les services préfectoraux, notamment sur les problématiques des Roms ou de l’accueil des étrangers en préfecture. Dans le cadre du collectif “Tem pref”, on a réalisé un rapport en 2012, sur la base d’observations, sur les conditions d’accueil des étrangers en préfecture. C’est un rapport critique à un moment où le préfet n’avait pas capacité à répondre. Et c’était en pleine période de pré-élections présidentielles. Mais ça a quand même eu son effet, puisque ça a été bien relayé médiatiquement, et que dès la rentrée, les services du préfet ont accepté de nous recevoir. Des rencontres régulières tous les trois mois se sont mises en place en 2013 pour faire le point. Cela a permis qu’il y ait un échange et d’améliorer, dans une proportion qui reste pour nous encore trop modeste, la situation. Le travail se poursuit actuellement même si on a eu parfois l’impression de se faire balader. Mais c’est important que les associations aient cette porte ouverte de la part des services du Préfet, parce qu’au moins, cela permet de nourrir un dialogue. Encore récemment, on a sollicité avec d’autres associations les services du Préfet suite à l’annonce qui avait été faite d’une réduction des moyens du 115. Nous avons provoqué un rassemblement devant la préfecture en demandant un rendez-vous. Et la matinée même, les services du Préfet nous ont annoncé que toutes les capacités d’accueil pour l’hébergement d’urgence en période hivernale étaient maintenues au moins jusqu’au 31 mars. Et ça a aussi débouché sur une proposition du Préfet d’un travail de concertation, avant le 31 mars, pour éviter dans tous les cas que des familles se retrouvent sans hébergement décent ou sans hébergement tout court. Donc on ne peut mesurer les résultats de nos actions qu’à travers des situations concrètes. Mais, même si on peut réagir de façon publique, ça ne produit pas toujours des effets. C’est pour ça qu’il est important de maintenir cet échange avec les autorités, qui sont les garantes de l’application du droit sur un territoire. Nous restons vigilants à l’égard des politiques.

Et le fait d’exercer votre profession au sein du Conseil régional, et par ailleurs d’être militant à la Ligue des Droits de l’homme, est-ce qu’il y a des ponts ? Est-ce qu’il y a des choses qui sont opposées ?

Oui, il y a des ponts. Cela ne conduit pas, je vous rassure, à la schizophrénie. La LDH a aussi, par ses actions, à s’adresser aussi à la Région et que, le fait que j’exerce ici en interne permet de faciliter certains contacts. Par exemple, lorsqu’un jeune migrant lycéen se retrouve menacé d’une expulsion parce que son titre de séjour n’est pas conforme ou qu’il a dépassé la majorité, on peut être amenés à solliciter le politique pour qu’il soutienne sa défense. Donc ça arrive. Il y a des comités de parrainage ou des interventions qui peuvent être faites entre certains élus et les services du Préfet. Après, il y a aussi le fait que par ses compétences, la Région intervienne dans le cadre du festival des lycéens, et que Ligue des Droits de l’Homme y participe. Et le fait d’exercer permet de faciliter ces contacts et d’appeler l’attention de certaines catégories de publics.

Il faut prendre des précautions quand on est en interne et qu’on veut alerter sur certaines choses ?

Disons que je facilite les contacts et j’ai tendance plutôt à déléguer à ceux qui ont une responsabilité LDH au niveau régional l’action d’approfondir. Et c’est pour ça d’ailleurs que je n’ai pas pour l’instant souhaité rentrer dans le comité régional de la LDH. Ce serait peut-être là franchir un pas. Ce n’est pas gênant en soi. Mais ça me permet de garder une distance et d’éviter trop d’empiétements. L’autre pont, c’est le pont intellectuel. Le travail que je réalise au sein du Conseil économique et social est un travail de réflexion sur des thématiques très diverses. C’est important dans ce que je peux amener au sein de la LDH et réciproquement. Il y a une influence de part et d’autre. 

Parfois, je suis obligé à des compromis, mais c’est en toute connaissance de cause… Il y a une manière d’avancer les idées, de mettre en débat. Après, chacun est libre.

Et est-ce qu’au sein de l’exercice professionnel, des fois, on est un petit peu en décalage de par son militantisme ?

Ça peut arriver que j’exerce avant tout pour le compte d’une assemblée. Et les idées que je peux être amené à défendre ne sont pas forcément partagées par l’ensemble des membres. Et qu’il m’appartient avant toute chose de rendre compte de l’opinion collective qui se dégage de l’assemblée. Donc parfois je suis obligé à des compromis, mais c’est en toute connaissance de cause. Le militant s’efface dans ces cas-là. Ce n’est pas que je veuille forcément me protéger. Je dis qu’il y a une manière d’avancer les idées, de mettre en débat. Après, chacun est libre. Ce qui est important est que ce que je peux acquérir de la LDH puisse être mis dans dans le pot commun de réflexion d’assemblées, que les idées fassent leur chemin, qu’elles soient ou pas validées à un instant T. On a traité justement un dossier sur les apports de l’immigration en Aquitaine au CESER et d’un commun accord, il a été dit : on ne va pas aborder ça sous l’angle des droits parce que ce n’est ni la vocation ni de la compétence d’une assemblée régionale et que l’intérêt de ce travail est de faire partager par des acteurs socio-professionnels des apports dans des domaines qui les intéressent au premier chef. Et donc, le travail que j’ai pu réaliser s’est démarqué de ce que je peux faire au sein de la LDH. Mais ce que j’ai fait au titre du CESER enrichit aussi la réflexion de la LDH. Donc au sein de la LDH, n’importe quel militant en situation professionnelle active peut, à son propre niveau, être en mesure aussi de faire partager son regard. Par exemple, sur des problèmes de harcèlement au travail dans le secteur public ou sur les mineurs isolés étrangers, on a eu au à la LDH des débats houleux parce que certains avaient des liens avec tel ou tel service. Ça crée des points de désaccord, mais ce n’est pas parce qu’il y a désaccord qu’on est immobile. Des ponts sont parfois difficiles à franchir. 

Et alors, vous accueillez du public à la LDH ou vous travaillez avec des réseaux d’associations qui eux-mêmes accueillent du public ?

On accueille du public. On a des cas individuels, des personnes qui viennent nous trouver parce qu’elles sont en difficultés. On se donne rendez-vous dans des lieux particuliers, des bars ou nos bureaux en dehors des heures de travail. Parfois, j’ai des surprises, des gens qui viennent à la LDH en dernier recours. Et on s’aperçoit que ce n’est pas tant un problème de droit qu’un problème médical. Dès lors qu’on a commencé à instituer une forme de temps d’écoute, il y a des personnes qui débarquent sans prévenir. C’est un peu gênant. D’où l’intérêt qu’il y aurait d’avoir un local, franchement. 

Ça veut dire qu’ici il y a une certaine forme de tolérance ? Vous pouvez recevoir dans votre bureau des gens qui sont liés à votre action militante ?

Ça arrive aussi malgré moi. On a beau demander aux gens de prévenir, ils sont parfois tellement en détresse qu’ils déboulent ici. Sinon, j’ai des personnes au sein de la section à Bordeaux qui reçoivent très régulièrement des étrangers, soit dans des lieux anonymes, soit dans des locaux comme ceux de l’ASTI. Mais à la Ligue ce n’est pas la cible de notre travail. D’autres associations le font, et le font parfois bien mieux que nous, parce qu’ils ont des permanences. Je pense par exemple à la CIMADE, à l’ASTI, à l’ALIFS. C’est un travail complémentaire. Et on travaille en liens étroits, y compris avec les avocats de l’Institut de Défense des Étrangers. On suit quelques cas de harcèlement au travail notamment dans le secteur public et on se retrouve en face des politiques. Parfois, des élus me demandent ce que la Ligue fait dans ces histoires et rappellent qu’il y a des syndicats. Mais quand les personnes et les syndicats viennent vous voir, c’est qu’il y a un souci et qu’on est dans le registre du droit. Et on leur rappelle que la Ligue des Droits de l’Homme s’est battue pour le droit syndical. 

Ça veut dire que vous venez en ultime recours quand les syndicats sont intervenus par exemple ?

Pas nécessairement. Là en l’occurrence on est intervenus assez tôt. On a fait beaucoup de médiation. Pour l’instant, on n’a pas réussi de manière satisfaisante à faire reconnaître le droit des salariés. C’est par voie judiciaire pour l’instant. Nous on suit. Mais on a lâché la main. Donc on a une action d’accompagnement sur certains cas. Pour les d’étrangers, on a eu à suivre des situations un peu spécifiques comme ce réalisateur de cinéma franco-marocain, torturé en prison au Maroc, sur lequel on est intervenu pour obtenir une amélioration de ses conditions de détention, puis son transfert vers la France, et sa libération d’une prison française. Il y a des actions plus collectives comme pour George Ibrahim Abdallah, prisonnier politique depuis trente ans en France. La Ligue mobilise aussi sur des questions de portée plus générale comme l’accès au logement, à la santé, la reconnaissance du droit de vote des étrangers extracommunautaires, notamment des anciens combattants, aux élections locales. 

Il y a des situations d’usure qu’on rencontre dans l’ensemble des associations… D’autre part, la société a aussi évolué, de manière assez sensible, vers l’individualisme. 

Alors, il y a de nombreux combats. Est-ce qu’on a toujours du courage ou est-ce qu’on perd pied parfois ? Ou est-ce qu’on perd la foi ?

Il y a des situations d’usure qu’on rencontre dans l’ensemble des associations. Des militants, qui sont assez âgés, qui se sont battus au sein de la Ligue pendant des décennies, et qui, au bout d’un moment, sont fatigués. Adhérer reste facile et accessible, les tarifs d’adhésion sont en fonction des revenus. Pour autant, adhérer ne fait pas de l’adhérent un militant, qui s’implique concrètement dans l’action de l’association, voire qui accepte certaines responsabilités. Il y a une difficulté, qui n’est pas propre à la LDH, de renouvellement des militants actifs. On n’est plus sur de l’investissement ponctuel que dans la durée. C’est un constat aussi d’évolution de la société. Ce qui ne veut pas dire forcément que les gens soient moins intéressés ou moins préoccupés par les problèmes que nous suivons. Mais dans les années 30, la LDH avait plus de 50 000 adhérents au niveau national, aujourd’hui on est à 10 000. En Gironde, on est aux alentours de 300. Ce qui est peu. Pourquoi ? Parce qu’en tant qu’association généraliste, on couvre différents champs qui sont désormais investis par des associations plus spécialisées, que ce soit sur les étrangers, l’environnement ou le logement. Il y a eu une diversification du paysage associatif. Mais le revers de la médaille est la dispersion de moyens et d’énergie, ce qui fait qu’aujourd’hui, une partie de notre travail est en réseau. On s’inscrit dans une dynamique collective. D’autre part, la société a aussi évolué, de manière assez sensible, vers l’individualisme. Elle a de plus en plus responsabiliser et valoriser la notion individuelle. Vous rajoutez à cela les effets que peuvent avoir aussi certains modes de management dans les entreprises, qui individualisent la performance et mettent en concurrence. Ça commence dès l’école. De fait, on a tendance à casser des phénomènes de solidarité collectifs. Vous rajoutez enfin le rôle des médias très intrusif et des écrans fixes ou mobiles. Se développe une forme de bénévolat non organisé par les réseaux sociaux. On est plus sur des attitudes de consommation que de militance. C’est aussi vrai au sein de la LDH qui a conservé malgré tout une forme d’aura liée à son histoire. Cela peut mettre en valeur en société de dire “Je suis adhérent à la Ligue des Droits de l’Homme”. Le point qu’il y a entre la militance et l’adhérence c’est – j’ose le croire encore – une forme d’adhésion à une certaine conception de la société, qui est adossée à des valeurs. Là, notre travail est acharné. Faire vivre ces valeurs n’est pas toujours simple. 

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