MRAP
Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des défenseurs de l’accueil et des droits des personnes migrantes, un entretien avec M. Gérard Kerforn (MRAP), avait été réalisé le 21 janvier 2014, à Bordeaux. Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous.
GÉRARD KERFORN – Je suis président de la Fédération du MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples), membre du Bureau exécutif national, et chargé des questions relatives à l’extrême droite au niveau national. Ici je suis membre du comité de Mont-de-Marsan puisque nous avons deux comités dans les Landes. Je suis plus tourné vers l’associatif que le politique. Ça me motive plus quant au fond, même si je suis très intéressé par la chose politique, mais pour m’y engager personnellement, non.
FARA POHU – Quelles différences y trouvez-vous ?
C’est une question de sensibilité personnelle. Je me retrouve plus dans le tissu associatif. Je n’établis pas de hiérarchie entre les deux. Je comprends très bien qu’on s’engage politiquement. J’étais engagé moi-même. Ce sont deux combats complémentaires dans la société, avec des passerelles entre les deux. Dans le secteur progressiste, quand on est antiraciste, on est plus ouverts sur certaines sphères politiques que sur d’autres, bien que l’antiracisme – ça, nous y tenons absolument dans cette fédération – est une chose transversale entre tous les républicains. La seule mouvance que nous excluons c’est l’extrême droite. Mais il y a des antiracistes à gauche, à droite, même si le pôle de droite a peut-être plus de penchants racistes. Le champ des valeurs fondamentales peut traverser tout le champ politique. Donc, le choix entre la politique et l’associatif est une orientation personnelle.
Et comment vous en êtes venu à vous engager au MRAP ? Pourquoi le MRAP particulièrement ?
Tout d’abord, quand j’étais engagé politiquement, j’étais aussi engagé sur le champ des droits de l’homme. Quand le fondateur de cette fédération, le docteur Jean Blum m’a invité à rejoindre le MRAP, j’ai répondu d’autant plus favorablement que le MRAP était chargé d’une histoire à laquelle j’étais très sensible. Ce mouvement s’est forgé avec des gens qui avaient vécu le pire pendant la dernière guerre mondiale, notamment Charles Palant, le fondateur du MRAP, qui était un rescapé de cette phase tragique de l’histoire. Donc j’ai rejoint le MRAP fin 80 et je m’y suis investi de plus en plus, au point d’en devenir le président de la Fédération.
Que vous êtes toujours.
Que je suis toujours oui, et c’est tout le problème. Quand une organisation commence à – je n’aime pas le terme professionnaliser pour une association – mais commence à se poser des questions parfois beaucoup plus techniques, sur la connaissance du droit par exemple, il devient de plus en plus difficile de changer les cadres. Tant qu’on est au niveau d’une association purement propagandiste on peut très facilement se faire remplacer. Quand on en arrive à une connaissance des dossiers, et ce n’est pas forcément la partie la plus enthousiasmante du travail, on trouve beaucoup moins le renouvellement. Aujourd’hui, je voudrais bien passer la main parce que je voudrais pas finir président du MRAP avec un déambulateur. [Rires] Il serait temps de renouveler.
Est-ce que vous pouvez me parler des actions phares du MRAP et comment on passe d’une association propagandiste à une association professionnalisée ?
Oui. C’est une association qui a fait beaucoup de travail notamment en milieu scolaire. Jean Blum, son comité et ses militants ont fait quantité d’interventions informatives dans les milieux scolaires et périscolaires mais aussi auprès de tout public, comme la distribution de tracts sur les marchés, pour sensibiliser et être présent en cas de faits majeurs de racisme. Par exemple, il y a eu des manifestations à Dax et à Mont-de-Marsan lors de meeting du Front national. Lorsque j’ai pris la direction de cette fédération début 90, on s’est aperçu qu’il y avait de plus en plus de demandes de personnes confrontées à des problèmes statutaires et juridiques avec des dérives racistes. Il a fallu se spécialiser sur la question du droit et dépasser le domaine de l’information générale pour se poser les questions techniques. En 2001, on a décidé là de franchir un seuil et de se doter d’une permanence juridique, mais aussi d’une permanence de médiation, de conseil et de réception. Nous avons un poste d’adulte-relai. Notre salariée s’est auto-formée. Elle est aujourd’hui extrêmement compétente et répond à toutes les problématiques relatives au droit des étrangers et aux discriminations. On l’a abonnée au dictionnaire permanent du droit des étrangers : en temps réel nous avons les jurisprudences et une efficacité dans la défense des gens. Cette nouvelle structure a changé la physionomie de l’association. Il y a toujours ce socle d’information dans les établissements scolaires et sur les marchés. Et nous avons aussi la dimension internationale, notre sigle incluant “l’amitié entre les peuples”. Par exemple, sur le conflit israélo-palestinien, les drames de la Tchétchénie, nous organisons des réunions publiques. Mais nous avons aussi des centaines de dossiers ouverts en permanence : droit des étrangers, statuts, visa, regroupement familial, discriminations… Nous avons organisé des testings dans les boîtes de nuit pour des cas de discrimination, avec le prolongement juridique de l’affaire, puisqu’on les a fait condamner. On intervient avec la professionnelle, appuyée sur le réseau de bénévoles qui font les accompagnements en préfecture ou auprès des administrations. Et très souvent, cela nous amène à faire des médiations : on peut discriminer sans le savoir. Par exemple, il y a des discriminations de fait parce que les fonctionnaires concernés n’ont pas connaissance des textes. En général, par un coup de fil – pour éviter toute judiciarisation – on traite par la médiation. On est souvent en contact avec des mutuelles, des collectivités locales. Par ce contact avec des professionnels, le travail de la permanence a été reconnu. Et on a été sollicités pour faire des formations. Nous assurons désormais des cycles de formation à l’égard des professionnels sur la question du droit des étrangers, des discriminations et des rapports culturels entre les différents publics. On a formé environ soixante assistantes sociales en peu de temps.
Donc ce sont des gens, au départ, qui n’avaient pas été formés du tout sur ces thématiques ? Vous êtes les premiers à les former ?
On est personne-ressource sur ces questions parce que le droit des étrangers est très particulier, extrêmement mouvant et avec des problématiques très larges telles que les pensions des anciens combattants. On ne peut pas exiger de tout professionnel de connaître.
Donc là vous vous adressez à des gens du territoire landais seulement ?
Oui, pour l’instant exclusivement landais, parce qu’on est une petite équipe. Surtout cette partie demande une technicité. Et tout le monde n’est pas forcément intéressé par cette dimension du travail.
Le MRAP de Mont-de-Marsan représente combien de bénévoles ?
Nous sommes une cinquantaine maintenant. Avec des degrés d’investissement divers, parce que vous avez des adhérents investis dans d’autres structures, pris par le temps. Pour l’action permanente, on peut compter sur une quinzaine de personnes.
Ça se sont les fidèles qui sont là depuis des années ? Ou il y a un renouvellement ? Comment ça se passe ?
Antérieurement, nous avions beaucoup d’adhérents, par exemple du monde enseignant, qui par leurs histoires personnelles étaient très sensibles. Ils appréhendaient l’antiracisme par le biais idéologique. Mais l’ouverture des permanences nous a mis en contact avec d’autres publics, venant pour avoir des services. Nous n’avons pas voulu avoir avec eux que des rapports de service. Il s’agissait aussi de construire ensemble. Nous leur avons proposé de participer à des fêtes locales. Chaque année on fait une fête sur la place de la Mairie où les gens viennent exposer leurs histoires personnelles ou collectives avec un stand. Il peut y avoir de la bouffe, des vêtements, des photos, des objets traduisant leur trajectoire. On peut avoir jusqu’à trente-cinq nationalités, certains des primo-arrivants, d’autres là depuis longtemps. Et ça se termine par un repas “auberge du monde” où chacun amène sa bouffe, mise en partage. Donc, les gens qui sont venus à la permanence, sont aussi devenus des acteurs de la vie citoyenne. Et souvent, ils en aident d’autres. Ils sont même encore aidés et aident des primo-arrivants dans des démarches. Donc se crée une dynamique citoyenne extrêmement intéressante. Ça fait changer un peu la physionomie de l’association. Ils sont venus avec une trajectoire différente que la première génération vivra. L’année dernière, pour l’anniversaire de la première loi anti-raciste de 1972, on a eu plus de deux-cents personnes. A Mont-de-Marsan, il n’y a pas beaucoup de réunions publiques où il y a deux cent personnes, y compris politiques. Il y avait le ministre Vidalies et l’un des co-présidents du MRAP national. On avait toute la diversité de société, avec ces trajectoires de militants et du public. Donc on a cette physionomie un peu particulière.
Vous m’avez dit aussi que c’était vous qui gériez la fédération. Il y aussi le comité de Mimizan, est-ce que vous pouvez m’en dire plus ?
Oui. Le comité de Mimizan est un plus petit comité qui existe depuis vingtaine d’années et présidé par Rose-Marie Dupouy. Ils interviennent beaucoup sur les établissements scolaires. Les questions de droit sont renvoyées à notre salariée Amina et à notre permanence. Mais on fait aussi une permanence à Dax où on est sollicités. Ils sont sur une zone de passage. Avec la crise économique, beaucoup d’Espagnols, de Portugais et de Maghrébins subsahariens remontent vers le nord de l’Europe. Les structures d’accueil d’urgence de Dax ont été complètement débordées.y Nous réalisons des formations et Amina se déplace. Notre objectif est de monter un comité sur place avec un noyau dur de bénévoles compétent sur la question du droit.
Là, il y a la campagne électorale des municipales qui est en place. Comment le MRAP se mobilise dans des moments importants de la vie française?
Le rapport avec la politique, il convient d’être extrêmement prudent. On fait très attention au MRAP à laisser nos passions politiques à la porte, parce qu’il peut y avoir des gens d’opinions différentes, parfois contradictoires. Maintenant, sur le champ qui est le nôtre, nous avons un message à faire passer, quelles que soient les couleurs politiques. Nous sommes pour la régularisation des sans-papiers. On l’exige de tous qu’ils soient à gauche, à droite. Nous sommes très prudents dans l’intervention politique sauf un point où nous nous prononçons : faire échec au Front national. D’ailleurs ça nous a conduit à faire une prise de position récente : l’un des colistiers du Front national s’est montré sur son compte Facebook en train de faire une quenelle devant le centre des impôts. On ne l’a pas loupé parce que pour nous la quenelle a un sens politique et ne se laisse pas prendre par une notion d’anti-système. On a aussi pris position dans la presse sur la vidéo “Le rimmel de la respectabilité a fondu laissant paraître le visage sans phare de l’extrême droite traditionnelle”. Là, on se prononce politiquement. Mais le reste droite-gauche, ce n’est pas notre champ d’intervention. Par contre, on va leur causer des problèmes et on les interpellera : régularisations des sans-papiers, regroupement familial…
Sous quelle forme vous les interpellez ?
Alors ça peut être des questions au niveau national. Au local, on envoie des lettres et des demandes à tous les partis politiques leur demandant de se prononcer sur les questions qui sont les nôtres. On attend des réponses. Et on est sans complaisance. Sur la question des Roms, on aura pas plus de complaisance avec le gouvernement d’aujourd’hui que celui d’hier puisque c’est avant tout les principes qui l’emportent chez nous.
Et sur des questions de sensibilisation notamment par rapport à l’extrême droite, est-ce que vous travaillez en réseau avec d’autres associations militantes ?
On contacte nos partenaires lorsque se produisent notamment des faits graves. Notre partenaire historique est la Ligue des Droits de l’Homme. Il y a aussi la CIMADE. Puis on s’adresse à toutes les organisations syndicales et politiques, sauf le Front national, s’il y a, par exemple, nécessité d’une manifestation ou d’une pétition. Répondent et viennent ceux qui veulent.
Et après toutes ces années de militantisme, on a l’impression que ça sert à quelque chose ? On se bat pour quelque chose ? Ça change les choses ?
Question très délicate. Ça change par cycles, mais parfois on a l’impression qu’il y a des résurgences de l’histoire. D’ailleurs en ce moment, il y a une période de reflux. Idéologiquement, il y a un fort retour de choses que l’on croyait enfouies dans les poubelles de l’histoire et qui nous reviennent en pleine figure. Dans les Landes en tout cas, c’est important. Ce qui s’est passé autour du mariage pour tous a été la traduction de la résurgence d’une vieille France morassienne raciste, les homophobe et sexiste qui mène une attaque frontale. Il est nécessaire d’unifier aujourd’hui tous les combats contre le racisme, contre l’homophobie, contre le sexisme, parce que les trois génèrent des discriminations. On voit une déculpabilisation complète des gens du Front national sur les marchés, qui n’hésitent plus à dire qu’ils sont d’extrême droite. Avant, personne ne disait “ je suis raciste”. Et aujourd’hui, il y a des gens qui n’hésitent pas à le dire. Donc, il y a effectivement des choses extrêmement inquiétantes. Donc, est-ce que ça change ? Par cycles oui. Mais c’est un combat permanent.
C’est décourageant parfois ?
Non, parce que le tout c’est de savoir que l’histoire fonctionne par cycles. Donc décourageant, non. C’est qu’il faut être plus présent et plus ferme à certains moments. Ce qui est décourageant c’est qu’il y a un problème de recrutement qui se pose. Parce que les gens ont tellement de préoccupations en tête, qu’on trouve moins de bénévoles. C’est pas seulement sur notre champ, même le domaine sportif qui est un élément important de citoyenneté. Oui, j’ai oublié de vous le mentionner, on mène une grosse action en direction du sport. Nous sommes des partenaires officiels de la fédération de football des Landes et du stade montois car se sont produits des actes graves d’incivilité et de racisme sur les stades. On a fait condamner un dirigeant de club de football qui tenait des propos racistes. On a été sollicités par le stade montois rencontrant des problèmes avec un groupe de jeunes d’un quartier populaire qui a eu un comportement tout à fait incivique. Nous sommes intervenus au côtés du maire pour rappeler le droit, y compris à des gens qui peuvent eux-mêmes être victimes de discrimination et de racisme. On a rappelé des grands principes : ce n’est pas parce qu’on est victime soi-même de discrimination et de racisme qu’on doit le reporter sur les autres. On n’hésite pas à avoir un discours très ferme. On a même entendu “sale blanc” dans les tribunes à l’égard d’un dirigeant. Même si pour nous, il n’y a pas de racisme anti-blanc systémique, le propos lui est raciste et tombe sous le coup des lois en vigueur. Le racisme est systémique : c’est toujours les mêmes qui le subissent. Mais les lois s’appliquent à tous.
C’est payant ? Vous êtes entendus par ces jeunes-là ?
Oui. Une jeune qui nous a dit : “Moi quand je dis “sale blanc” c’est pas du racisme parce que moi je suis un dominé dans la société”. On lui a dit : “Tu nous la feras pas. Ton propos, la loi on te l’a dit. La loi c’est ça. Tu tombes sous le coup de la loi.” Ça calme. Mais il y a un rapport franc qui se fait. Je veux dire. Et puis, en plus, on a un crédit. Ces jeunes savent qu’on sera à leurs côtés s’il y a un problème. Donc, on peut se permettre d’avoir un discours ferme que n’auront pas d’autres. Parce qu’il y a aussi ce que l’on est. Et ça se sait. On est au service. Parfois leurs parents ont eu affaire à nous.
Est-ce que par exemple vous pouvez être aussi en vigilance par rapport à ce qu’il se passe dans les médias ?
Ah oui, notamment les médias Internet. Lorsque j’étais au Bureau national du MRAP, j’ai rédigé un rapport sur les mouvements extrémistes sur Internet, sur la nécessité de prévention et de contrôle des contenus. Il a été publié dans le journal Le Monde. L’ambassadeur de France à Viennes m’a demandé de le présenter à la conférence internationale de l’OSCE. Je suis intervenu à Viennes, puis à Varsovie et à Berlin. Mon rapport visait toutes les mouvances d’extrême-droite en France et dans l’espace francophone. Elles se sont déchaînées contre moi. Donc j’ai eu des menaces de mort. On a porté plainte. Il y a eu un procès à Mont-de-Marsan puisque les services de police ont retrouvé les adresses IP des ordinateurs qui émettaient. C’était des gens du Sud-est. L’un d’eux a récidivé contre moi. On a porté plainte à Paris. Fin 2012, il a été condamné à nouveau.
Quel type de condamnation ils ont eu pour ça ?
Prison avec sursis et des amendes. Donc le MRAP est très impliqué sur les questions de communication, surtout sur Internet. Dans nos interventions scolaires, on intervient beaucoup sur ces questions : Internet n’est pas une zone de non-droit et on explique les lois en vigueur. Internet donne un pouvoir de nuisance extrême à des imbéciles qui ne représentent rien d’ailleurs. D’où l’importance de s’investir sur le terrain des nouvelles technologies pour les antiracistes. J’ai réalisé ce rapport parce que j’étais informaticien. C’est un hasard de trajectoire personnelle. J’ai créé le site Internet national du MRAP. Mais Internet est devenu un moyen de structuration de l’extrême droite. Par exemple, la soixantaine de personnes qui a occupé le toit de la mosquée de Poitiers s’est organisée à partir d’Internet qui crée des liens et des connexions. C’est devenu une zone de non-droit. Il y a peu de services d’Etat qui se penchent dessus. Les progrès sont insuffisants : ils sont de plus en plus nombreux et c’est un vrai problème.