Quoc Cuong NGUYÊN
Quoc Cuong NGUYÊN
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Les séquences

Interviewer : Fara Pohu
Lieu : Bordeaux
Date : 13 mars 2014

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des défenseurs de l’accueil et des droits des personnes migrantes, un entretien avec Mr Quoc Cong Nguyên (AFVBA), avait été réalisé le 13 mars 2014, à Bordeaux. Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

 

Résumé de l’interview

Je suis issu d’une famille de Mandarins qui est arrivée en France en 51 pour des raisons politiques : mon père était dans le cabinet de l’empereur.

QUOC CUONG NGUYÊN – Je suis issu d’une famille de Mandarins qui est arrivée en France en 51 pour des raisons politiques : mon père était dans le cabinet de l’empereur. Et mon grand-père était le dernier premier ministre de la Cour d’Annam. Nous sommes arrivés avec toute la famille à Cannes où mon père était affecté auprès de l’impératrice d’Annam et de ses enfants. On est restés à Cannes jusqu’à la défaite de Diên Biên Phu. L’empereur a été déposé et mon père a perdu son boulot. Il s’est réinséré dans l’administration française. Il enseignait le français et vietnamien dans divers lycées de banlieues parisiennes. Et il a terminé sa carrière administrative rue de Grenelle au ministère de l’éducation nationale.

FARA POHU – Vous gardez quels souvenirs, vous, de cette période de la petite enfance à Cannes ?

Vraiment une jeunesse insouciante. On a vécu heureux jusqu’à ce que la vie nous oblige à trouver une autre voie car on n’était pas destinés à rester en France. Après 55-56, on s’est installés à Paris où mon père a trouvé du travail. Ma mère a tenu une librairie rue Jussieu. Et tous les enfants – nous sommes quatre enfants, les trois aînés nés au Vietnam et la dernière née à Cannes – ont fait leurs études à Paris. J’ai  fait des études littéraires à la Sorbonne, puis je suis rentré à Sciences Po Paris en section économique et financière. Et ensuite j’ai travaillé dans l’industrie où j’ai évolué sur des fonctions de contrôle de gestion et de finance. Et de poste en poste, je suis arrivé jusqu’à la direction générale d’une société. Et sur les vingt dernières années de ma vie professionnelle, j’étais un dirigeant mercenaire, qu’on louait pour un mandat de trois ou cinq ans pour régler les difficultés des entreprises qui les rencontraient. Et j’étais spécialisé dans l’international. J’ai pu beaucoup voyager dans le monde entier et surtout en Asie. 

A cette époque-là, est-ce que vous aviez des contacts avec la communauté vietnamienne mise à part votre famille ?

Oui parce qu’étudiants, on se voyait entre nous. On jouait au foot ou on faisait de la musique ensemble. Mais ce n’était pas politique. A l’époque, dans les années 60, toutes les asso étudiantes étaient pro-communistes. Issu d’une famille aristocrate, on était pas vraiment contre : il suffit d’envoyer vos enfants faire des études en France pour qu’ils deviennent communistes. D’autant plus que les associations d’étudiants étaient vraiment à fond polarisées contre la guerre au Vietnam. On ne pouvait pas être hostiles à de tels mouvements. On avait les idées des Français de gauche de notre génération. Mais on ne militait pas. 

Je précise tout le temps : je préside une association franco-vietnamienne. Il n’y a aucune visée communautariste.

Donc, à quel moment vous vous rapprochez des mouvements de sensibilisation à la culture vietnamienne ?

C’est quand je suis arrivé en Aquitaine. J’avais déjà cinquante ans quand j’ai été mis en contact avec des Français d’origine vietnamienne. D’ailleurs, je précise tout le temps : je préside une association franco-vietnamienne. Il n’y a aucune visée communautariste. Et je crois que nous sommes la seule association franco-vietnamienne de France. Les autres se réfèrent toujours à une communauté. Cela explique que des Français de souche ou des Vietnamiens devenus Français – c’est un choix, ils auraient pu reprendre leur nationalité vietnamienne – nous rejoignent. On donne des cours de vietnamien aux Français et aux enfants de couples mixtes. On organise des manifestations culturelles pour mieux faire connaître le Vietnam d’avant et de maintenant. Et c’est à ce titre qu’on est aussi en contact avec d’autres associations qui représentent les autres branches de la diversité et qu’on a adhéré au RAHMI. Cest très particulier. Ce n’est pas militant non plus, sauf sur le plan culturel. Par exemple, nous préférons ne pas recevoir de subventions de l’ambassade du Vietnam plutôt que d’être contraints à programmer certains artistes. Donc nous finançons tout nous-mêmes par les cotisations des membres. Quand on fait des manifestations, parfois la mairie de Bordeaux nous aide, et les autres associations avec qui on le fait comme le RAHMI ou l’ALIFS. 

Comment vous avez été amené à devenir président de cette association ?

C’est lors d’un dîner professionnel que j’ai été présenté à un Vietnamien qui était en Aquitaine depuis très longtemps et qui, par la suite, m’a proposé d’adhérer à l’association car il recherchait des personnes susceptibles de d’impulser un nouvel élan. Donc je suis rentré dans l’association, mais j’avais encore des activités professionnelles très prenantes. Je suis un peu moins actif depuis que je suis à la retraite. 

Donner des cours de vietnamien implique de donner quelques éclairages sur la culture vietnamienne aux élèves.

Et au départ, cette association elle n’était pas exactement ce qu’elle est aujourd’hui. Comment est-ce qu’elle a évolué ?

Donner des cours de vietnamien implique de donner quelques éclairages sur la culture vietnamienne aux élèves. Et il faut illustrer ce qu’on dit par des manifestations culturelles. Donc l’idée nous est venue de pérenniser cette activité culturelle. A l’origine, l’Association Franco-Vietnamienne de Bordeaux Aquitaine (AFVBA) s’appelait le “Cours vietnamien de Bordeaux”. Aujourd’hui, elle a deux branches. Une branche pédagogique où on enseigne le vietnamien. Et on a également un cours de cuisine qui est très très populaire. Et depuis quelques années, nous organisons des cours de cithare vietnamienne. Et il y a la branche manifestation culturelle soit en tant qu’unique responsable, soit en collaboration avec les autres associations, en particulier avec la coopération du Musée d’Aquitaine. Depuis cinq ans, ce sont des manifestations très visibles et connues. C’est quasiment une sorte de marque. Nous avons organisé les manifestations “Entre Garonne et Mékong”, pour illustrer les deux versants culturels de l’association, et l’année dernière “Bon baiser du Vietnam” avec le RAHMI et l’ALIFS. 

La population vietnamienne à Bordeaux, elle est importante ?

Pas trop. Les statistiques sont toujours approximatives. On estime qu’en France, il n’y aurait que deux-cent mille Vietnamiens. En revanche, les Franco-viets alors, là ! [Rires] Parce qu’on ne soupçonne pas que les gens ont du sang vietnamien. C’est pour ça qu’il n’y a pas ce côté revendicatif, agressif.

A Bordeaux, les gens qui sont arrivés du Vietnam, dans quelle branche d’activité ils se sont retrouvés ?

Il faut distinguer plusieurs vagues d’immigration. Bordeaux n’est qu’une illustration du phénomène qui s’est passé en France. Jusqu’à la défaite de Diên Biên Phu, ceux qui allaient en France étaient des étudiants de l’élite, qu’on envoyait pour se former en métropole. Et ceux qui sont restés, c’est qu’ils avaient épousé des Françaises. Donc qui dit étudiant dit certains métiers qui sont très représentatifs. Vous avez beaucoup de médecins, d’avocats et d’ingénieurs. Je mets à part la première vague des années 14-18 où la France a fait venir soixante mille annamites qui ont fini dans des usines d’armement. Une partie a été rapatriée. Ce sont des immigrés de force sous la colonisation. La seconde vague étant en 39-45. Après la défaite, certains ont été rapatriés d’Indochine dans des camps. Mais ils ne représentaient pas un nombre important. Et ils étaient traditionnellement soumis. Ils ne témoignent pas. Ils ne veulent pas remuer tout ça.  

Pourquoi traditionnellement soumis ?

Ils ont beaucoup souffert. Ils étaient rapatriés dans des baraquements militaires sous un régime militaire. Et ils avaient honte parce qu’ils étaient parmi les vaincus. A Sainte-Livrade, il y a une magnifique revanche puisque le petit-fils d’un rapatrié, François Trinh Duc, est un attaquant de l’équipe de Rugby. Donc, la diversité des gens qui ont une relation avec le Vietnam est grande. On a toujours un oncle ou un cousin qui a fait l’Indochine. La plupart sont bien intégrés.  Premièrement parce qu’une partie a bénéficié d’une éducation supérieure. Deuxièmement, ils ne sont pas nombreux. Troisièmement, ils viennent d’une culture, d’une philosophie où tout se mérite. Il faut bosser. Il faut faire de bonnes études. Il ne faut pas injurier ceux qui vous accueillent. 

Pouvez-vous en dire plus de cette philosophie ? 

Elle est issue de l’école de Confucius. Tout se mérite et il faut respecter l’autorité. La première autorité, c’est ses parents. Et la famille est la cellule de base de la société. Pour que tout marche harmonieusement, les relations père-fils doivent être respectées. On obéit à son père. Et ensuite, vis-à-vis de l’extérieur, pour que des relations ne soient pas conflictuelles, il faut être très poli et ne jamais montrer ses émotions car c’est insulter les autres. On manifeste sa joie alors que l’autre est dans la peine, par exemple. Ce qui explique l’Asiatique toujours impassible. Tout cela explique que les Asiatiques, les jeunes, de nos jours à l’école, travaillent bien. 

Comment, lorsqu’on vit en France et qu’on est vietnamien, on s’accommode de la double culture ?

Ça dépend des familles et du milieu social. Par exemple, j’évoquais le sort des gens rapatriés dans des camps militaires. C’était des familles très décomposées, généralement des dames, dont les maris sont morts à la guerre, qui sont parties avec les enfants. Alors imaginez, vous êtes exporté vers un pays que vous ne connaissez pas, avec des enfants à nourrir et sans l’homme qui les a fait. C’est beaucoup plus douloureux. C’est évident. Dans mon cas, c’est beaucoup moins douloureux socialement. Ce qui est douloureux est notre affaire de famille, c’est tout. Dans les évènements politiques, notre famille a payé son tribut. Mais pour moi, c’est assez difficile de généraliser. 

Je me considère culturellement à quatre-vingt pour cent français. J’ai toutes les valeurs françaises, toutes les attitudes françaises. Je n’ai pas de conflit dans ma tête.

Quand vous évoquez la philosophie de vie vietnamienne, différente de la philosophie de vie française, comment on s’accommode de ça ? Vous par exemple ?

Dans notre famille, on n’a pas eu ce genre de conflit. C’est venu très progressivement et tout seul. Par exemple, moi je me considère culturellement à quatre-vingt pour cent français. J’ai toutes les valeurs françaises, toutes les attitudes françaises. Je n’ai pas de conflit dans ma tête alors que chez des camarades ou des amis de ma génération, ils continuent à être parfaitement perturbés. 

Donc, par exemple, exprimer vos sentiments n’est pas quelque chose de compliqué pour vous ?

Non. En fait, lorsque vous n’avez pas dix ans, que vous êtes avec des petits Français à la cour de récré et que vos parents ne s’occupent pas trop de vous, enfin, ont d’autres activités, le mimétisme du milieu joue beaucoup plus rapidement. Donc, non, c’est venu très insensiblement. Alors, la preuve, dans ma propre famille, c’est très individuel. Mon frère aîné a fait une magnifique carrière mais à sa retraite il a voulu rester au Vietnam sept mois par an. A ma retraite, j’ai fait le choix de rester en France. Pour d’autres, la situation est inverse. Certains jeunes franco-viets, voyant leur avenir bouché en France, sont rentrés au Vietnam à quarante ans. Ils ont le choix. Mais beaucoup n’arrivent pas à choisir. Et ils sont très mal dans leur peau. 

Et là, votre investissement dans l’association, il est hyper dur. Vous allez continuer à y œuvrer ?

Tant qu’ils me réélisent [Rires]. Non, ça me convient très bien. Cela me donne l’opportunité de me replonger dans des lectures sur la culture vietnamienne, voire ma culture familiale. C’est égoïste de relire ce qu’écrivaient mon père et mon grand-père. Mais ça enrichit la réflexion, parce que le côté bi-culturel est intéressant. Je me remets à regarder certains évènements qui se passent maintenant, en France et en Europe, avec un prisme différent. Je n’ai pas la même vision que ceux qui sont “uni-culturels” parce que, quelque part, il y a quelque chose qui est autre. Mais je pense que c’est enrichissant. 

Nous sommes très fiers parce que l’association a mené jusqu’à Paris VII une dizaine d’étudiants français au DEUG de vietnamien.

Et ça, au sein de l’association, c’est quelque chose que vous partagez avec les autres adhérents ?

Je ne crois pas. Mais c’est ça qui est intéressant aussi, parce que, quand on rejoint une association, surtout culturelle, ce n’est pas une motivation unique. Certains y restent quelques années pour apprendre un peu le vietnamien. D’autres passent même des examens. Nous sommes très fiers parce que l’association a mené jusqu’à Paris VII une dizaine d’étudiants français au DEUG de vietnamien. La plupart se sont faits muter dans des organismes culturels proches du Vietnam. Mais dans l’immense majorité, les Franco-viets qui nous rejoignent se sentent à l’aise justement parce que ce sont des Franco-viets. C’est ni français, ni viet. 

Cela représente beaucoup d’adhérents ?

On est une cinquantaine avec une dizaine d’actifs. Sauf qu’ils viennent aux repas [Rires].

Et ce lien, vous ne l’avez pas eu pendant quelques années. Vous le retrouvez une fois que vous avez plus de disponibilité ?

Oui, même si je suis dans d’autres associations. Mais la différence est que je me sens comme dans ma famille. Le volet traditionnel ressort. Par exemple, ils ne m’appellent pas président, ils m’appellent tous “tonton”. Ma parole est celle d’un parent aîné. 

Le Vietnam fait partie intégrante de l’histoire affective des Français, une cohabitation avec des valeurs communes. Ils ont toujours un regard différent vis-à -vis du Viet. Je connais des Français à cent pour cent qui s’investissent à cent pour cent dans des trucs à cent pour cent vietnamien.

Êtes-vous abordé par des gens qui adoptent des enfants vietnamiens ?

Oui, depuis quatre ou cinq ans, on a ouvert à ce titre un cours pour enfants. Cette année je crois qu’on a eu trois dans ce cas là. Souvent, ils ont intégré l’enfant d’abord, puis décident de ne pas lui cacher qu’il vient d’ailleurs. L’envoyer à deux ou trois ans, ça ne sert à rien parce que c’est l’empêcher de s’intégrer quelque part. Les parents français s’investissent dans l’asso puisque leur enfant apprend des choses. Ils sont les plus actifs. Et le Vietnam fait partie intégrante de l’histoire affective des Français, une cohabitation avec des valeurs communes. Ils ont toujours un regard différent vis-à -vis du Viet. Je connais des Français à cent pour cent qui s’investissent à cent pour cent dans des trucs à cent pour cent vietnamien.

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