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Edouardo BERNAD

Président de l’Association des retraités espagnols et européens de Gironde

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Edouardo BERNAD
Edouardo BERNAD
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Les séquences

Interviewer : Fara Pohu
Lieu : Bordeaux
Date : 26 mars 2014

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des défenseurs de l’accueil et des droits des personnes migrantes, un entretien avec M. Edouardo BERNAD (Association des retraités espagnols et européens de Gironde), avait été réalisé le 26 mars 2014, à Bordeaux. Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

EDOUARDO BERNAD – Je suis né en 39 dans le sud de la province de Huesca après la Retirada, la débâcle. On s’était réfugiés à Barcelone en Catalogne, puis en France. On a atterri à Étais-la-Sauvin dans l’Yonne. On arrivait de l’enfer. J’avais connu la faim, les bombardements, la mort. J’avais vieilli de six ans ! J’avais des raisonnements d’un gamin de 14 ans, alors que j’en avais que 7. En France, j’ai trouvé un monde insouciant, d’abondance, avec des gens accueillants. Ça paraissait irréel. On a pu contacter mon père, qui était membre de la FNT et anarchiste et il nous a rejoint quelques mois plus tard. C’était le paradis ! Mais en septembre 39, les Allemands ont attaqué la Pologne et c’était à nouveau la guerre. En 40, on a vu défiler les Allemands à Paris et l’armée française en déroute. Nous avons vécu cachés dans les bois.

On arrivait de l’enfer. J’avais connu la faim, les bombardements, la mort. J’avais vieilli de six ans ! J’avais des raisonnements d’un gamin de 14 ans, alors que j’en avais que 7. En France, j’ai trouvé un monde insouciant.

FARA POHU – Dans ce village, il y avait une forte communauté espagnole ?

Ils habitaient dans les communes alentour, mais venaient faire leurs achats au village. La maison de mon père était un peu le centre d’informations. En 41, beaucoup d’Espagnols sont arrivés. Le gouvernement de Vichy avait mobilisé les Compagnies de travailleurs qu’il fallait remplacer. Il utilisait la main-d’œuvre qu’il avait, et surtout les Espagnols.

Vous y êtes restés jusqu’à quand dans ce village ?

On est restés jusqu’en 1945. Ma mère est tombée gravement malade, puis mon père. En tant qu’aîné, j’étais obligé d’assurer. Mais mon père avait aidé beaucoup de gens dans la misère, que ce soit des Espagnols ou des Français. Et on a retrouvé cette fraternité. Mon père est décédé le lendemain de mon certificat d’études : j’avais treize ans. Des amis de mon père se sont occupés de nous.

À quel moment êtes-vous arrivé à Bordeaux ?
 

Je suis arrivé en 52, 53. J’étais dans une école professionnelle de tailleur de pierres. J’ai travaillé dans le bâtiment. J’ai suivi des cours du soir au centre Miguel Hernandez, un centre culturel à la bourse du travail, qui regroupait plus de 110 jeunes. Il y avait des Espagnols, mais aussi des Français et des gens issus de l’immigration de 14-18. Des professeurs d’université venaient faire des conférences sur la culture espagnole. A l’époque, c’était une chance ! J’ai redécouvert ma culture. Mon père me récitait des poèmes de Garcia Lorca mais ça me passait au-dessus. Je me suis engagé syndicalement aussi même si c’est difficile de concilier les études du soir et le reste !

Dans les années soixante, il y avait 30 000 vendangeurs dans la région de Bordeaux. Ils étaient Espagnols et considérés comme des parias. Les profs de la fac d’espagnol nous avaient contactés pour tenter de les défendre et faire appliquer les lois. On a créé la FATE. Mais il y avait aussi beaucoup d’autres associations : celles créées par les socialistes, par les anciens résistants ou encore par des troupes de théâtre. Il y avait une vie culturelle très riche.

Bordeaux a été le centre de la Résistance espagnole du sud-ouest. L’association des retraités a été créée par ces résistants.

Avez-vous réussi à améliorer les conditions de vie de ces travailleurs espagnols?

Oui ! On a réussi. On a alerté les services sociaux de la ville de Bordeaux qui ont mis en place une structure officielle au sein du gouvernement. Nos mauvaises relations avec le consulat d’Espagne se sont améliorées en 76 avec l’arrivée d’un nouveau consul démocrate qui a normalisé l’accueil des migrants espagnols. Sur le plan culturel, on a fait beaucoup de choses avec l’université et les peñas des étudiants de Bordeaux. Les bénéfices des pièces de théâtre nous aidaient financièrement à soutenir les vendangeurs.

Bordeaux a été le centre de la Résistance espagnole du sud-ouest. L’association des retraités a été créée par ces résistants. Elle comptait une centaine d’adhérents : elle organisait des repas ou des voyages pour ces personnes qui avaient beaucoup souffert et voulaient passer de bons moments. Des actions étaient aussi menées en faveur des droits des anciens soldats de l’armée républicaine et leur accès à une pension. D’autres avaient travaillé à la base sous-marine et attendaient des indemnités du gouvernement allemand. La FATE gérait ces fonds.

Lorsque ma génération a pris sa retraite, on a pris la suite et on a fait évoluer l’association dans le sens de la société. On a aussi commencé à faire un travail de mémoire. Il suffisait d’aller voir les familles d’anciens adhérents et leurs archives familiales. On a eu un tas de documents. Et on a décidé de faire une exposition à l’Hôtel de Région, en 76, en catimini car ce n’était pas prévu au programme. Elle regroupait une vingtaine de tableaux en noir et blancs sur les résistants Espagnols de la région de Bordeaux. Elle a eu beaucoup de succès : cinq-cent personnes ont défilé. Pour notre dernière exposition, ni le conseil régional, ni le conseil général, ni l’institut Cervantès ne souhaitaient nous soutenir. Alors on s’est tournés vers les services culturels du musée d’Aquitaine où j’avais un ami. Ils nous ont accueilli à bras ouverts. En 2008-2009, notre exposition a eu neuf mille visiteurs et une trentaine de lycées et collèges. On a ensuite publié un livre.

Que pouvez- vous me dire de ce livre ?

Il traite de la résistance des Espagnols qui était méconnue jusqu’en 2008. En 95, la FATE a fait une exposition à Paris sur la contribution des Espagnols à la libération de la France, mais c’était très généraliste. Elle avait eu un grand succès. C’était avec Jean Moulin et la mairie de Bordeaux. Mais les Espagnols dans la Résistance à Bordeaux n’étaient pas reconnus. Il y avait une plaque, au 54 quai Richelieu, pour un résistant espagnol tué. On était les seuls à savoir qu’il avait sauvé le pont de pierre. Il fallait mettre en valeur. Le livre a permis d’entrer dans les détails. Là, c’est l’enterrement de Pablo Sanchez, qui a sauvé le pont de pierre.

Et aujourd’hui, vous avez l’impression d’avoir rendu hommage à cette mémoire espagnole ou il y a encore des choses à faire ?

 
Il y a beaucoup à faire ! Le grand public bordelais n’est pas au courant. Neuf mille personnes ont visité l’exposition. Beaucoup possèdent le livre mais c’est une petite minorité.

La France, qu’on le veuille ou non, est très métissée. Et c’est une richesse !

Vous êtes un peu les derniers garants de cette mémoire ?

Je pense que non. Il y a d’autres associations qui se sont montées qui se disent les héritiers mémoriels. Mais ça me fait rire, parce qu’un héritage, ça se construit. Ce n’est pas une monarchie où on hérite d’un trône. C’est le travail de mémoire, de recherches, de découvertes et de divulgation qu’on peut apporter qui compte. Cela fait partie du patrimoine français et espagnol. Il faut que les gens connaissent leur patrimoine ! C’est un service qui est rendu. Et c’est bien aussi que les gens se rencontrent et partagent. A l’association, on a des Martiniquaises, des Maghrébins, des Portugais et beaucoup de Français qui sont contents de découvrir l’Espagne. La France, qu’on le veuille ou non, est très métissée. Et c’est une richesse !

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