Gérard CLABÉ
Gérard CLABÉ
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Les séquences

Interviewer : Fara Pohu
Lieu : Lormont
Date : 20 janvier 2014

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des défenseurs de l’accueil et des droits des personnes migrantes, un entretien avec M. Clabé (Réseau éducation sans frontière), avait été réalisé le 20 janvier 2014, à Lormont. Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

Fara POHU – Monsieur Clabé, comment votre implication à RESF a démarré ?

Gérard CLABÉ – Elle a démarré à l’occasion de l’écoute d’une émission de radio, sur France Inter ou sur France Culture, en 2006, qui m’a fait découvrir RESF, le Réseau Education Sans Frontières. C’est alors une période terrible où on vient arrêter des enfants dans des écoles, ainsi que leurs parents ou leurs grands-parents les attendant à la sortie. RESF a été créé à Paris par des enseignants, des éducateurs et des personnalités, rapidement rejoints par des syndicats. Ce réseau invite à faire la même chose en province.

Mais, vous n’avez pas été confronté à ça en tant qu’enseignant ?

Si. La pression gouvernementale sur les sans-papiers commençait à devenir très sérieuse en 2006. Au lycée Elie Faure à Lormont où j’enseigne, des élèves ont commencé à être inquiétés. RESF naît de cette situation, pour aider les enfants – qu’ils soient petits, en primaire, au collège, au lycée ou apprentis – et leurs parents. Il naît pour faire en sorte que ce qu’ils ont commencé en France, ils puissent le terminer convenablement, à savoir des études et une formation.

Avec d’autres enseignants du lycée Elie Faure, on a souhaité créer une antenne RESF dans le lycée. Et la circulaire Sarkozy régularisant les parents d’enfants scolarisés a été publiée à cette époque, nécessitant de remplir des dossiers assez complexes. RESF s’est engouffré dans cette ouverture. Il a fallu créer rapidement des permanences et recevoir les parents qui avaient des difficultés à remplir les dossiers. On a vite débordé du cadre du lycée pour élargir à d’autres associations. La commune de Lormont a été très aidante et nous a proposé un local. Les permanences étaient hebdomadaires, puis bimensuelles.

Et parmi les professeurs d’Elie Faure vous êtes nombreux ?

Spontanément on a été une douzaine de profs très concernés. On se disait : “Si on ne le fait pas, qui le fera ?” Et c’était aussi une fierté de notre profession de savoir réagir en disant : “On est enseignants certes, on est éducateurs, mais on s’adresse à des enfants, à des élèves, à des jeunes, et c’est insupportable d’avoir un jour la chaise vide.” C’est un des slogans de RESF : “Pas de chaises vides à la rentrée”. C’est insupportable de savoir qu’un élève qu’on a eu dans sa classe – ça peut être aussi des élèves qu’on a pas eus, de l’établissement – puisse disparaître comme ça, du jour au lendemain et d’apprendre quelques jours après qu’il a été arrêté et expulsé.

Je n’ai pas connaissance de mobilisations précédentes, si ce n’est dans un cadre syndical classique. La naissance de RESF est d’une très grande originalité. D’abord parce qu’on ne veut pas monter une association avec des statuts mais un réseau avec l’idée que chacun, là où il est, puisse monter son réseau à la taille qu’il veut bien lui donner. Et ça, c’est quand même tout à fait atypique. C’est l’idée de collectif qui pourrait s’installer un peu partout en France.

Alors, comment et qui vous adresse ces publics ?

Alors, quand il a été question de remplir des dossiers dans le cadre de cette circulaire Sarkozy, les familles ont appris assez vite qu’il y avait localement la possibilité de se faire aider. Mais, plus tard, quand la fenêtre s’est fermée, et pour longtemps, on a continué à faire nos permanences car les situations ont continué à être importantes. Mais le système s’est alors inversé, on était informés par les collègues d’établissements scolaires ou de structures éducatives et on se déplaçait, sur les écoles en particulier, pour monter des comités de soutien, s’il y avait assez de force sur place et si les familles étaient prêtes à le faire.

On avait mis au point une stratégie. Il fallait bien : on n’avait pas de pouvoir. On était dans un rapport de force. Il fallait s’organiser et s’opposer à la préfecture et au risque d’expulsion. Donc on prenait le pari de la médiatisation : mobilisation sur place des enseignants, des parents d’élèves, signatures de pétitions. On associait la presse autant que possible pour un article dans le journal. Et, à tort ou à raison, nous pensions que, du côté de la préfecture, il y aurait moins d’envie d’expulser une famille qui était connue pour être encadrée, entourée, accompagnée. Globalement, je crois qu’on avait raison de jouer ce jeu-là, même si, dans certaines situations, il y a eu expulsion. C’est alors terrible car cela remet en cause notre accompagnement. Mais je crois que c’était fait aussi pour ça. A ce moment-là, la préfecture avait envie d’envoyer un signe fort à RESF et à tous ceux qui accompagnent les étrangers pour dire : “On peut décider de l’expulsion malgré vous. La force est de notre côté.”

Et vous, depuis 2006, comment est-ce qu’on garde l’envie de s’impliquer, la motivation malgré – alors, il y a des choses qui ont marché, il y a des choses qui ont moins marché – malgré quelques échecs, malgré quelques déceptions sûrement ?

D’abord, parce qu’on ne sort pas de là aussi facilement, car on découvre des situations vraiment très dures et on apprend à être humble. Et puis on se rend compte que si on n’est pas là, il n’y a personne. Donc, on ne peut pas lâcher le terrain comme ça… Ça change l’approche de la vie. Tant qu’on se sent utile dans cette action, il faut la poursuivre. C’est éventuellement si on perd la motivation, ou si on ne voit plus l’utilité, qu’il vaut mieux abandonner. Mais, là, on ne se force pas pour continuer parce qu’une situation s’enchaîne, suit une autre. Un coup chasse l’autre. Et on est tout le temps avec des situations qu’il faut prendre en charge. En plus, comme on s’est formés sur le tas, on connaît mieux les choses, on perd moins de temps, on est plus efficaces. Et de fait, tout ça c’est précieux. Tout militant actuel qui s’en va fait perdre de l’efficacité au mouvement en général.

Il y a toujours autant de gens qui ont besoin de votre aide ou ça fluctue cette demande ?

Il y en a de plus en plus, parce qu’on élargit aussi nos interventions, même si elles sont toujours liées à l’école. Je vais citer quelques exemples. Quand on est enseignant sur la rive droite à côté la cité de la Benauge, on a des enfants roms, qui viennent de Bulgarie ou de Roumanie, qui sont dans des bidonvilles, dans le chaos de l’habitat et le chaos de la situation. On les menace de les expulser tous les jours. D’autres élèves sont des enfants de demandeurs d’asile, qui ont fui leur pays parce que chez eux ils étaient en situation de grand danger. C’est un monde à part, avec des complications juridiques considérables. D’autres enfants encore ont un père ou une mère qui travaille au noir ou qui ne trouve pas de travail. D’autres enfin sont des mineurs isolés : ces jeunes qui quittent leur pays et qui se retrouvent en plein hiver à Bordeaux, sans rien. En France, on a une loi qui protège les mineurs. Mais il faut faire des pieds et des mains pour que soit reconnue leur protection. Parce que ces jeunes quand ils ont 15 ou 16 ans et qu’ils sont dans la rue, ils ont vite fait d’être happés par la délinquance. Donc les situations sont vraiment multiples.

Et vous qui êtes historien de formation, et qui enseignez l’histoire, c’est quelque chose sur laquelle vous pouvez sensibiliser vos élèves?

Dans mon métier de prof, sur le compte-tenu des cours, je fais très attention. Mais je partage les choses. Je ne fais pas de militantisme, néanmoins, ça m’arrive d’inviter à échanger sur la question de l’immigration. Dans les programmes officiels, on nous y invite d’ailleurs. J’ai donc l’occasion de le faire officiellement. Donc, je vais apporter un compte-tenu peut-être plus étoffé sur ce sujet. Mais je ne vais pas chercher à convaincre. Je vais donner une parole qu’on n’entend pas forcément. La neutralité des manuels scolaires peut être un refus d’engagement. Donc on en parle. On invite des intervenants. J’ai entendu récemment que les jeunes, à partir de 22 ou 23 ans, votent Front national. Par contre, les jeunes des collèges et des lycées, au contraire, sont scandalisés à chaque expulsion – la dernière c’est Léonarda. Donc, ils sont a priori en sympathie avec le mouvement de ceux qui accompagnent les étrangers.

Par rapport aux actions que vous avez pu mener – je sais que vous avez amené de la documentation – vous pouvez m’expliquer ce que vous avez pu faire ?

Sur la rive droite, on a travaillé avec le Collectif pour l’égalité des droits qui organise tous les ans à la fin du mois d’août l’événement “Planète”. Et c’est une belle idée. Alors que tout le monde est parti en vacances, il y a des gens qui sont restés : une fête gratuite est proposée avec de la musique. Et c’est aussi l’occasion d’aborder les thèmes de l’immigration. Et cette année, on a fait la treizième Planète à Bassens. Sinon, j’ai eu l’occasion de faire partie du Collectif des travailleurs sans-papiers bordelais créé en 2008 avec des travailleurs clandestins qui se se sont réunis tous les samedis à l’ASTI durant trois ans. On était soutenus par de très nombreux syndicats locaux et organisations. On était dans l’accompagnement de la régularisation de ces travailleurs, en lien direct avec le discours de l’immigration choisie de Sarkozy selon lequel : “Pour ceux qui travaillent, il n’y a aucun problème. S’ils travaillent, c’est qu’on a besoin d’eux. Ils seront régularisés.” Dans la pratique, ça a été d’une très grande difficulté. Et on est arrivés quand même à faire régulariser une centaine de travailleurs. Alors, ce n’est pas seulement grâce à nous, c’est évident. Mais, leur donner cet espace de parole leur a permis d’avancer et d’avoir moins peur.

Je me rappelle de rencontres très intéressantes, certains disant “Moi j’en ai marre. J’ai fini de vivre comme un rat, caché, mentant à tout le monde. Je suis travailleur sans-papiers. Je travaille tous les jours. Et je viens à ces réunions. Et je veux demander à la préfecture ma régularisation parce que je suis un homme. J’ai des droits. Donc je veux arrêter d’être un esclave, une ombre que vous ne voyez pas et qui a peur de l’arrestation au faciès.” Encore une fois je disais que la France est une démocratie, mais certaines choses sont insupportables. Le fait qu’un homme noir qui marche sur un trottoir parte en courant face à deux flics qui traversent la rue pour le contrôler. C’est insupportable. On a fait des manifestations à Bordeaux pour que ces travailleurs ne soient plus des ombres. On a soutenu des familles d’enfants scolarisés. La famille Altun à Cenon a été une des premières. On a rassemblé nos témoignages. Parce que quand on accompagne des familles en préfecture, on voit de tout, des gens sympas au guichet, d’autres qui ne font pas leur boulot, qui sont humiliants, qui en rajoutent. Donc, on a souhaité rassembler nos témoignages avec d’autres organisations. On demande également à ce que les choses soient modifiées. Ça a fait un petit peu quand même bouger les choses, même si c’est l’ancienne équipe préfectorale qui l’avait reçu avant le changement de majorité. Mais, on a aussi voulu ne pas être broyés par la machine et réagir en tant qu’accompagnants à la préfecture contre des pratiques qui ne sont pas démocratiques. Actuellement, c’est un peu retombé dans le néant.

Donc, ça veut dire se remobiliser à terme là-dessus ?

Oui. C’est ce qu’on va faire. Ça va être difficile parce que désormais à la préfecture, on s’adresse aux agents préfectoraux sous forme de rendez-vous. Ils ont ainsi résolu le problème de la file d’attente. Sauf que lorsqu’on dépose un dossier de demande de régularisation, il n’est traité qu’au bout de quatre mois. Or quand c’est un travailleur qui a trouvé du travail ou une promesse d’embauche, il ne va pas attendre quatre mois. Ce n’est pas adapté. On est à nouveau dans quelque chose qui ne va pas du tout sur l’accueil en préfecture.

Enfin, RESF 33 tient deux rendez-vous par an, ouverts au public : un rendez-vous d’hiver – au mois de mars et Sylvie KARBIA est très partie prenante dans l’organisation ; et un rendez-vous estival au mois de juin sur la place Saint-Michel où on fait un bal folk qui fait venir beaucoup de monde. C’est aussi l’occasion de rencontrer plein de gens qui sont dehors à cette période de l’année. On vend de la bière pas chère, de la restauration commune. Et c’est l’occasion de faire passer nos idées et de faire connaître RESF pour ceux qui ne connaissent pas encore.

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