— Homepage / Mémoire orale / Défenseurs de l’accueil et des droits en Aquitaine /

Naïma CHARAÏ

Militante associative et conseillère régionale

Votre navigateur ne supporte pas la vidéo
Naïma CHARAÏ
Naïma CHARAÏ
/
Les séquences

Interviewer : Fara Pohu
Lieu : Bordeaux
Date : 27 février 2014

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des défenseurs de l’accueil et des droits des personnes migrantes, un entretien avec Mme Naïma Charaï, avait été réalisé le 27 février 2014, à Bordeaux. Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

 

Résumé de l’interview

NAÏMA CHARAÏ – Mon père est un ancien tirailleur marocain, engagé pour l’armée française. Il a fait plusieurs guerres coloniales, dont la guerre d’Indochine et a émigré seul, après, dans le Lot-et-Garonne, dans une petite ville qui s’appelle Fumel, et possédait l’usine Pont-à-Mousson, fleuron de l’industrie sidérurgique. Nous, on est arrivés dans le cadre du regroupement familial avec ma mère, en 1976.

On a vécu dans une petite cité HLM, entourée de champs de maïs. Puis, on a déménagé lorsque l’une de mes grandes sœurs a fugué parce que mes parents souhaitaient la marier de force. Je crois que mon engagement, en fait, a commencé à ce moment-là. J’étais toute petite, mais j’ai pris conscience du destin qui était fait aux filles. On a déménagé dans un village de campagne. On était la seule famille issue de l’immigration, et il y avait du racisme ! Ça m’est arrivée de me faire traiter de « sale arabe »…

J’ai connu l’échec scolaire, mais après une discussion avec l’une de mes amies qui m’avait indiquée qu’elle ne pouvait pas tenir une conversation normale avec moi, puisque je ne faisais pas de Philosophie, j’ai pris conscience que, si je ne bougeais pas, je serais, probablement, une femme immigrée humiliée, dominée toute sa vie.

Je suis donc rentrée à l’Université, en Psychologie. Et ça s’est très bien passé ! En même temps, je donnais des cours de soutien scolaire dans un centre social, à Pessac, à Fort Manoir. En 1994, j’ai créé une association, Place Publique, qui a œuvré pour les enfants du Rwanda à l’époque du génocide. J’étais aussi engagée, quand j’étais étudiante, dans un syndicat alternatif. Et puis je me souviens de ma première manifestation, c’était contre la loi Devaquet. J’avais 13 ans je crois, 13 ou 14 ans. Je me suis levée dans la classe et j’ai demandé à ce qu’on débraye, à 13 ans [rires].

Avril 2002, l’arrivée du Front National au second tour de l’élection présidentielle. À ce moment-là, j’ai eu une vraie interrogation sur mon engagement.

J’ai terminé mes études en Psychologie, et j’ai travaillé assez rapidement. J’ai coordonné un réseau de soins pour les usagers de drogues, à l’époque de la mise en place des traitements de substitution. J’étais par ailleurs bénévole à Médecins du Monde, sur le programme d’échange de seringues, j’intervenais dans la rue, auprès des usagères de drogues prostituées. C’était fin des années quatre-vingt-dix, et là, j’ai vu arrivé sur Bordeaux des femmes d’origine sub-saharienne, d’Europe de l’est, qui se prostituaient sur les trottoirs. Avec un groupe de personnes, on a décidé de créer une association, IPPO, qui existe encore, pour travailler auprès des personnes en situation de prostitution.

Et puis… est arrivé avril 2002, l’arrivée du Front National au second tour de l’élection présidentielle. Et là, à ce moment-là, j’ai eu une vraie interrogation. Je me suis dit que mon engagement associatif était important, nécessaire, mais pas suffisant. Donc, c’est à partir de ce moment-là que j’ai pris ma carte au Parti Socialiste. Et lors, d’un voyage pour aller à Paris, dans un TGV, on m’a présenté le maire de Blanquefort, Vincent Feltesse, qui était aussi le directeur de campagne d’Alain Rousset aux régionales. Il m’a rappelé quelques mois plus tard et m’a proposé d’être sur la liste des régionales, en 2004. Après m’être longuement interrogée, j’ai accepté !

FARAH POHU – Et vous ressentiez quoi ?

Moi j’ai toujours eu conscience, en fait, que j’étais française, même si j’étais une fille de l’immigration… Mais ça a interrogé ma citoyenneté. Et c’est l’une de mes grandes sœurs, qui n’a pas fait d’études, qui a un certain nombre de difficultés, qui a fait basculer ma décision. Elle m’a dit, « Si tu le fais pas pour toi, fais-le au moins pour nous, quoi ! ». Et j’ai été élue dès ma première présentation à une élection. Donc voilà, j’ai mis en place rapidement un plan régional de luttes contre les discriminations.  Ce plan, on l’a voté en 2006, en assemblée plénière. L’idée, c’était de prévenir et de lutter contre les discriminations, par rapport au développement économique, la formation professionnelle, l’apprentissage, sur les politiques publiques… Donc y’a eu un appel à projets avec des fonds dédiés. On a mis en place, en région Aquitaine, c’est la première collectivité de France qui l’a mis en œuvre, le CV anonyme. Et l’idée c’était, « Et si on commençait par nous-mêmes ? »

On a travaillé sur le champ de la formation professionnelle et de l’apprentissage, sur la question des représentations et des préjugés, sur la question de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Et puis on a mené un beau combat, avec Alain Rousset, sur la décristallisation des pensions des anciens combattants des anciennes colonies, ce qu’on appelle, en fait, les « indigènes », en 2006 aussi je crois… J’ai été sollicité par un « collectif décristallisation », qui regroupait des associations, des avocats, qui nous ont alerté à la région, en nous disant que le film Indigènes avait poussé Jacques Chirac à annoncer la fin de la cristallisation des pensions et l’égalité de droits avec leurs frères d’armes français.

Pour moi c’était acquis, mais en fait non… Seules les pensions de feu ont été décristallisées, pas les pensions militaires, celles qui étaient les plus couteuses. Avec ce collectif, on a donc mené une bataille auprès du tribunal administratif… qu’on a gagné ! Et puis après, le Conseil d’Etat a aussi statué et a permis la décristallisation de l’ensemble des pensions, de toutes les anciennes colonies.

Moi j’ai toujours eu conscience, que j’étais française, même si j’étais une fille de l’immigration… j’étais avant tout une citoyenne française !

Ensuite, en octobre 2012, j’ai été nommée par le Président de la République, présidente d’une agence nationale de cohésion sociale et d’égalité des chances, créée après la révolte de novembre 2005 qui faisait suite aux décès de Ziyed et Bouna à Clichy-sous-Bois. Cette agence travaille autour des notions de cohésion sociale, avec un gros volet sur l’éducation, et met en œuvre les programmes de réussite éducative, les cordées de la réussite, les internats de l’excellence. Il y a aussi tout ce qui est en rapport avec le développement économique, l’aide à la création d’entreprise dans les quartiers. Nous accompagnons 12 000 associations chaque année, 4000 adultes relais, plus le volet autour de la culture et de la promotion de l’image de la diversité, avec une commission qu’on préside avec le CNC. Donc, on est producteur d’un certain nombre de films ou d’émissions télés !

Je n’ai pas abandonné… ce combat pour l’égalité et la justice sociale m’habite. Les moyens d’actions ont changé. On change d’échelle, mais l’engagement est resté le même.

Alors avec le recul, quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’immigration et les lois qui l’entourent ?

Moi j’étais très, très sévère avec le gouvernement précédent et je l’ai combattu, de manière assez féroce, en fait. Notamment l’installation du Ministère de l’immigration et de l’identité nationale, qui a affectée, en fait, les questions de l’intégration et de l’immigration sur le volet répressif, en le rattachant au Ministère de l’intérieur. Ça me semblait complètement déconnecté de mes valeurs et de la réalité de l’immigration. Donc j’ai milité pour que les questions de l’intégration soient sorties du Ministère de l’intérieur. On ne peut pas faire de l’intégration ET, en même temps de la répression.

Les enjeux sont grands, en termes de cohésion sociale et de cohésion nationale.

Il est temps de mettre fin à la confusion entre l’accueil des primo arrivants, et la question de l’intégration… moi je parlerais plutôt d’insertion… quand vous êtes de troisième génération, je suis pas sûre qu’il faille parler d’intégration. Les valeurs, elles, sont tout à fait intégrées. Par contre, les difficultés qui se posent, c’est, pourquoi, quand j’ai un nom à consonance étrangère, ou quand j’habite Clichy-sous-Bois, j’ai quatre fois moins de chances d’accéder à un entretien d’embauche ? Sur la question du logement, c’est extrêmement problématique aussi. Et pourquoi je me fais contrôler plus que le reste de la population ? C’est plutôt ces sujets-là, autour de la prévention des discriminations, qui interrogent aujourd’hui la société française.

Ce sont plutôt les sujets autour de la prévention des discriminations qui interrogent aujourd’hui la société française, beaucoup plus que la question de l’intégration…

Partager :

Interviewer : Fara Pohu
Lieu : Bordeaux
Date : 27 février 2014

Les séquences (1)

Autres témoignages

Gérard CLABÉ
Défenseurs de l’accueil et des droits en Aquitaine

Gérard CLABÉ

Joël COMBRES
Défenseurs de l’accueil et des droits en Aquitaine

Joël COMBRES

Alain COSTE
Défenseurs de l’accueil et des droits en Aquitaine

Alain COSTE

Manuel DIAS
Défenseurs de l’accueil et des droits en Aquitaine

Manuel DIAS