Membre de l’ASTI Bordeaux
Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des défenseurs de l’accueil et des droits des personnes migrantes, un entretien avec Mme Martine Bissières (ASTI), avait été réalisé le 20 janvier 2014, à Bordeaux. Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous.
Est-ce que vous pouvez me dire ce qui vous a amené à vous impliquer, à être militante ?
En 79, une situation m’a interpellé. J’étais au centre de la sécurité sociale de la rue Henri IV pour demander le remboursement des frais de santé de ma belle-sœur qui venait d’accoucher. La guichetière a refusé de regarder les documents d’un homme d’origine africaine. Avec d’autres personnes, nous nous sommes insurgés et avons fait déplacer la cheffe de service qui a finalement fait traiter son dossier. Par la suite, je cherchais à m’occuper durant mon congé parental. Par l’intermédiaire du père de mes fils, je suis devenue bénévole au centre social de Lormont et je donnais des cours de français aux étrangers. J’ai alors suivi une formation au CLAP (Comité de Liaison des Acteurs de la Promotion). Un des formateurs était membre de l’ASTI (Association de Solidarité avec Tous les Travailleurs Immigrés). Il nous a conviés à participer à une fête organisée par l’ASTI que j’ai ensuite commencé à fréquenter. Je participais aux réunions le soir. Puis j’ai participé aux permanences. En 80, j’ai suivi une formation sur les sans-papiers organisée par la FASTI. En 81, lors du congrès de la FASTI organisé à Bordeaux, je me suis proposée pour représenter l’ASTI-Bordeaux. Je m’étais alors organisée sur le plan personnel. Après mon divorce, ma mère gardait mes enfants en l’absence de leur père lequel, en tant qu’éducateur, travaillait un week-end sur deux. Je pouvais ainsi faire des voyages à Paris et fréquenter les instances nationales. J’ai ensuite été élue déléguée régionale des ASTI de la région Aquitaine à la FASTI. J’avais une vue globale sur ce qui se passait au niveau de l’immigration et des lois. Cela m’a permis d’être plus au fait, de mieux militer au fait et d’animer des collectifs. Je me suis aussi impliquée dans les grèves de la faim à Bordeaux.
Elles consistaient en quoi ces rencontres à la FASTI à Paris?
Je participais au CA (Conseil d’administration) national, qu’on appelait le Bureau national. La région parisienne était très présente en 81, ce qui n’a plus été le cas une dizaine d’années après. Maintenant on a beaucoup de mal à faire bouger les instances de l’Ile de France. Souvent les personnes étaient militantes depuis les années 70, soit d’anciens du PSU (Parti Socialiste Unifié), soit de syndicats comme la CFDT. Certains sont devenus des amis. Contrairement à moi qui suis arrivée par le milieu associatif et très vite, ils étaient formés. Durant plusieurs années, j’ai plus écouté que parlé. Ils avaient une analyse globale politique de l’immigration ce qui est important pour l’animation de collectifs. Je me suis ensuite très investie à l’ASTI, notamment en soirée. Mes enfants avaient grandi. Et j’habitais près du domicile du président qui était rue des Bahutiers. Nos aînés allaient en classe ensemble.
Qu’est-ce que ça apporte d’un point de vue personnel de s’investir à ce point ?
Ça ouvre des portes. D’abord parce qu’on connaît plein de monde. Et puis aussi, je suis issue de la génération de 68, qui discute de tout. Même si en 68, j’ai eu mes enfants et je n’ai pas trop été dans le mouvement féministe. Mais, ça ouvre sur plein de choses de rencontrer plein de gens. J’ai rencontré des copines féministes, à droite ou à gauche, qui étaient dans les ASTI. On discute, on réfléchit, on se rend compte de choses. Lorsque j’ai commencé l’alphabétisation, la formatrice était très féministe et m’a filé des tas de bouquins. Et j’avais plein d’amies. Nous étions solidaires. Nous faisions les réunions chez moi car j’avais les enfants les plus petits. On s’entraidaient dans les contraintes ménagères. Cela m’a beaucoup touchée, parce que j’étais issue d’une famille plutôt fermée. Nous vivions dans deux villas avec mes parents et mes grands-parents. Mais on ne recevait pas beaucoup. Ma grand-mère ne voulait pas aller chez les gens pour ne pas avoir à les recevoir. Moi, pour inviter mes copines, c’était très compliqué. Cela ne me ressemblait pas. Ensuite, après mon mariage, j’ai intégré une belle famille plutôt nombreuse. Cependant, c’était un milieu médical avec des idées politiques différentes des miennes. Donc l’ASTI a été une ouverture fantastique. Mes parents n’étaient pas militants, sauf aux comités de parents d’élèves. J’ai été dans une école privée catholique dominicaine assez bourgeoise. Mon père était artisan, ce n’était pas un ouvrier. Je n’ai manqué de rien. Ma mère n’a jamais travaillé mais mon père, lui, a beaucoup travaillé. L’ASTI a aussi été une ouverture pour mes fils. Même s’ils n’étaient pas présents aux réunions, ils venaient aux fêtes et étaient au courant. Mon absence les arrangeait souvent d’ailleurs, ils en profitaient pour regarder la télévision !
Et les rapports avec les usagers de l’ASTI ? Comment ça s’est passé? Vous me dites, vous ne connaissiez pas bien l’immigration…
Oui, j’ai un peu mieux connu. Après mon divorce en 83, mon nouveau copain pouvait garder mes fils certains soirs, même s’il était également éducateur. J’avais aussi le samedi matin de disponible, où il y avait école à l’époque. Je faisais des permanences. Les lois étaient beaucoup plus simples et moins pointues. Tandis que maintenant, il faut la petite virgule et l’interprétation. Aujourd’hui, je ne le ferai plus.
Alors, ils avaient quelles demandes ces usagers ?
Il y avait deux catégories. Il y avait ceux qui étaient exploités par leur employeur. Je me souviens d’une grosse affaire, où on a gagné, de sept travailleurs immigrés sous-payés et non déclarés. Ils n’ont jamais eu leurs indemnités car l’employeur avait tout mis au nom de sa femme. Et il y avait ceux qui arrivaient sans-papiers. Il y avait aussi ceux qui étaient domiciliés à l’ASTI pour leur courrier ou ceux qui venaient pour faire lire un courrier qu’ils ne comprenaient pas. Certains voulaient un bénévole particulier, c’était compliqué. On renseignait aussi les documents administratifs, notamment ceux de la CAF et des impôts. Rapidement, j’ai animé des collectifs. Cela m’a permis de rencontrer les associations, les syndicats et les partis politiques. Et c’était folklo. C’était du temps où il y avait encore la LCR et d’autres beaucoup plus à gauche. C’était terrible au début [Rires] On diffusait aussi des films, notamment africains. Puis, il y a eu la grève de la faim de 80.
Lors des autres grèves, certains sont restés jusqu’à quatre-vingt jours et ont été hospitalisés
Alors, quel était le rôle de l’ASTI au moment de la grève de la faim?
C’était des Turcs et des Tunisiens sans-papiers souhaitant leur régularisation qui sont venus nous demander de les soutenir. On s’occupait de la partie logistique. Alors, ça se faisait dans les églises à l’époque. On appelait les associations, les partis politiques et les syndicats pour soutenir la grève et obtenir un rapport de force face aux autorités. Le comité de soutien se réunissait tous les soirs. C’était assez lourd. Ça s’engueulait évidemment. On faisait des manifestations tous les samedis, ou deux ou trois fois par semaine. Ça prenait beaucoup de temps.
Ils ont eu gain de cause sur cette manifestation-là ?
Oui, en avril 80, ils sont restés trente jours en grève. Ça s’est terminé le 1er mai. Lors des autres grèves, certains sont restés jusqu’à quatre-vingt jours et ont été hospitalisés. C’était devenu de plus en plus dur. C’était à l’église Saint-Eloi, qui appartenait à l’archevêché, mais qui avait un problème de toiture. D’ailleurs, la grève n’a pas eu lieu dans l’église, mais dans un local accolé. On s’occupait de la logistique. Les grévistes devaient boire beaucoup de thé. On s’était débrouillés avec des médecins qu’on connaissait pour qu’il y ait une assistance médicale sur place. Puis, en 81, Mitterrand a décidé la régularisation. J’ai dû passer à peu près un mois à la préfecture où l’ASTI siégeait au sein d’une commission. J’y étais parfois de 8 heures du matin à 22 heures le soir, sortant accompagnée de RG par des couloirs souterrains. La majorité a été régularisée. En principe, les autorités régularisaient ceux qui étaient en grève de la faim. Nous, on demandait la régularisation de tout le monde, même des non-grévistes. On en a eu quelques-uns. Mais le problème est qu’après leur régularisation, ils ne continuaient pas à se mobiliser pour les autres, contrairement à Paris notamment. En 91, il y a eu une nouvelle grève de la faim de demandeurs d’asile turcs et kurdes. Elle a duré une soixantaine de jours. C’était rue du Noviciat en face de l’église Sainte-Croix.
Et il y en a eu une en 2001 aussi, parce que moi je suis arrivée à Bordeaux en 2000…
Oui, il y en a eu une. Mais l’ASTI n’a pas soutenu les Turcs grévistes, noyautés par un parti politique turc qui a refusé le recours à des interprètes dans lesquels l’ASTI avait confiance.
Votre investissement à l’ASTI est de quand à quand ?
En 91, j’étais un peu moins investie parce que j’avais mon fils aîné qui passait le bac. Et je n’avais pas une confiance illimitée dans sa capacité à travailler tout seul. Donc, je voulais être présente. En plus, la grève démarrait au mois d’avril et j’étais en congés à Nantes à ce moment-là. Quand je suis rentrée, les choses étaient mises en place. Après j’étais beaucoup plus présente. Mais, les grèves de la faim, quand on n’est pas présent dès le début, c’est très compliqué car ils s’affaiblissent de plus en plus. Par contre, j’étais très présente à la grève chez les dominicains. J’étais porte-parole avec deux autres personnes. C’était à la demande des grévistes. On disait toujours qu’on était contre les grèves de la faim dans la mesure où, au niveau de la santé, c’est une vraie catastrophe. D’ailleurs, il y en a qui ont de très gros problèmes de santé maintenant. Si on ne fait pas une réalimentation correcte, on se bousille l’estomac. Et on a essayé chaque fois de la mettre en place. On leur faisait des soupes et eux allaient manger des gros sandwichs hallal, trop vite. Pourtant, on avait trouvé des médecins de Saint-André, Pellegrin et Bagatelle qui acceptaient de les prendre en charge. Contrairement au SAMU qui intervenait sur ordre du préfet, ces médecins n’hospitalisaient que si nécessaire.
Et donc, après ces grèves de 91, vous avez…
Après, en 97, j’ai quitté la FASTI quatre ans. Je suis maintenant à la Maison des Femmes. Au départ, j’y représentais l’ASTI qui était membre des Amis de la Maison des Femmes. Je représentais l’ASTI aussi au Collectif Bordelais pour le Droit des Femmes qui est à l’origine de la Maison des Femmes. J’ai découvert un autre milieu militant et féministe. Là aussi, j’ai pris le train en marche. A l’ASTI, je m’entendais moins bien avec les nouveaux membres du CA. Ils sont arrivés après les grèves de 91 et 95. Ils étaient plus âgés, moins engagés politiquement, plus branchés permanences juridiques. Il faut dire que les lois aussi étaient devenues de plus en plus complexes. Ils se sont formés au droit pour pouvoir accompagner les étrangers qu’ils avaient rencontrés durant les grèves. La bataille politique de l’ASTI était donc en recul. Et j’étais en porte-à-faux dans la mesure où, en tant que représentante nationale, je transmettais des directives. Du coup, je me suis fait virer du bureau et du CA.
C’était douloureux ça un peu pour vous ?
Un peu. Au niveau national, la FASTI souhaitait que je reste car j’étais désormais ancienne et notamment formatrice des nouveaux. Lorsque certains ont été surpris de mon absence, je ne me suis pas gênée pour l’expliquer. L’ASTI n’est plus un moteur politique à Bordeaux sur l’immigration. Avant elle était sollicitée lors d’événements importants, les partis et les syndicats évitant de s’immiscer pour une récupération. L’ASTI travaillait depuis 68 sur l’immigration et avait une vraie légitimité, ce qui n’est plus le cas.
Il y a d’autres associations qui ont pris le relais ?
Oui, ce sont des collectifs d’associations notamment avec RESF. En 2001, l’ASTI, qui avait des difficultés à trouver des membres pour siéger, notamment au national, m’a proposé une nouvelle place au CA et au congrès national. J’ai refusé celle du Bureau. J’avais moins de temps, car entre-temps, j’étais devenue militante de la Maison des femmes. En 2011, j’ai arrêté l’ASTI. Je prenais ma retraite et souhaitais partir trois mois en Guyane. Et puis je fatiguais et il fallait un renouvellement. De plus, l’ASTI avait changé pour moi. Avant, j’y avais beaucoup d’amis. Je pouvais être hébergée par eux dans toute la France. Enfin, l’ASTI avait désormais des salariés, ce qui était lourd à gérer. J’ai dû réaliser le licenciement d’un ancien ami qui nous avait manipulés.
Avant aux manifs pour les sans-papiers, on pouvait avoir plus de mille personnes à Bordeaux
Donc, c’est quoi votre rôle à la Maison des Femmes ?
Je suis co-présidente. Je suis membre du CA et militante. La Maison des Femmes a deux volets. L’accueil violences est réalisé par des personnes formées, une salariée et des bénévoles, Et il y a la partie culturelle, sur le droit des femmes, le féminisme, le genre… On organise des pièces de théâtre, des conférences, des vernissages. Le lieu d’accueil est non mixte dans la journée. Et le CA est non mixte aussi. Le soir, n’importe qui peut venir. Il y a des vernissages de femmes qui n’auraient pas forcément l’opportunité d’exposer. C’est un tremplin artistique. Et il y a un volet pour les femmes isolées : elles peuvent venir discuter, demander des renseignements. Et on les aide dans l’insertion. Il y a aussi trois ateliers : un atelier relaxation, un atelier arts plastiques et un atelier couture. Mon rôle est de rencontrer les financeurs. J’interviens peu au niveau du féminisme car je manque de connaissances. Auprès des financeurs, je suis plus à l’aise dans la mesure où j’étais secrétaire-comptable. Et je représente aussi l’association dans les réunions ou les rencontres avec d’autres associations, notamment au sein du réseau national “Solidarités Femmes”.
Après toutes ces années de militance, quel regard portez-vous sur tout ça ? Est-ce qu’on a l’impression que ces associations sont clés dans l’histoire de l’immigration, qu’elles changent les choses et qu’aujourd’hui elles continuent leur travail de la même façon ou que les choses ont changé ?
La FASTI a quand même marqué. Mais son problème est qu’elle n’a jamais très bien su se vendre. Elle a eu des orientations et des revendications que d’autres assos très médiatisées ont récupérées. Ce n’est pas très grave, l’essentiel est que ça marche. Les ASTI se battent aussi pour le droit de vote des étrangers. Et à Bordeaux, à un moment, on était incontournables. Aujourd’hui, la lutte des sans-papiers est beaucoup moins bien acceptée compte-tenu de la crise. Il y a une dérive complète, un retour en arrière. Mais pas que sur l’immigration, sur les femmes c’est pareil. On revient sur des droits. On l’a vu au moment du mariage pour tous. Les gens qui étaient contre avant et qui n’osaient pas trop la ramener, maintenant ils la ramènent, et de manière très violente. Avant aux manifs pour les sans-papiers, on pouvait avoir plus de mille personnes à Bordeaux. Tout en sachant que Bordeaux a toujours moins mobilisé que des villes comme Nantes, Montpellier, Toulouse ou Paris. Bordeaux, je l’ai vue bouger une seule fois lors des attentats rue Copernic à Paris. Donc, c’était déjà très difficile de mobiliser Bordeaux. Et maintenant, ça ne mobilise plus. Une manif à cinquante personnes, c’est plus la peine. Je pense qu’il faut toujours se battre. Je suis moins active mais j’ai deux amies à Paris et à Valence, qui continuent cheville au corps, nuit et jour, sept jours sur sept. Elles vont y finir un jour leur vie. Moi, j’ai un peu lâché.
On y croit moins ?
Moi, j’y crois. Mais l’ambiance générale est moins bonne. Et les autorités maintenant, même de gauche, sont de vrais murs. Avant, on avait l’impression de faire avancer les choses. On allait à la préfecture, on rencontrait les chefs des services des étrangers. On avait affaire à des gens un peu humains. Et, on arrachait un petit truc. Maintenant, on arrache plus rien. La gauche a continué ses politiques de droite, ça il n’y a pas de problèmes. A la préfecture, on dépose désormais son dossier dans une boîte à lettres. Et il n’est pas traité avant un délai fantastique, même pour un renouvellement de carte. Il va y avoir une mobilisation. C’est vrai que c’est beaucoup plus dur. Il y a moins de militants parce qu’il faut vraiment être accroché. A l’ASTI, il y a Sylvie et Françoise ASTRUC, une ancienne avocate, ainsi que beaucoup de jeunes juristes qui continuent quand elles deviennent avocates ou juges. Mais, c’est quand même très difficile. Et puis ce n’est pas très porteur de se battre, aujourd’hui, sur la place publique sur les sans-papiers. Alors, RESF avait un petit peu essayé par l’intermédiaire des écoles. Même leur collectif n’existe plus. Sur les femmes, ça risque de repartir avec l’histoire de l’IVG espagnol. Il va y avoir une mobilisation européenne. Parce que si l’Espagne, qui a été la première à faire une loi favorable, régresse, tous les gouvernements européens vont le faire. Déjà qu’en France, on a des difficultés pour réaliser les IVG. A Saint-André, il n’y a plus de Service. Les médecins acceptent de moins en moins de le faire. C’est un énorme recul. Si la droite repasse au pouvoir, il y a des chances qu’ils reviennent en arrière. Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’associations, mais elles ne sont pas des associations militantes et revendicatrices. C’est plus difficile.