Francis BACQUEYRISSES
Francis BACQUEYRISSES
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Les séquences

Interviewer : Fara Pohu
Lieu : Bordeaux
Date : 14 avril 2014

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des défenseurs de l’accueil et des droits des personnes migrantes, un entretien avec M. Francis BACQUEYRISSES (La Pastorale des migrants), avait été réalisé le 16 avril 2014, à Bordeaux. Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

 

 

Résumé de l’interview

FRANCIS BACQUEYRISSESJe suis prêtre depuis 62… c’est certainement mon dernier poste, ici, à Pessac, pour donner un coup de main à notre équipe. Et, je suis, en même temps, délégué de l’évêque pour la pastorale des migrants, délégué épiscopal, et puis aussi pour les mouvements de solidarité. J‘anime le conseil diocésain de solidarité, où est présent l’évêque et l’évêque auxiliaire et puis des représentants des mouvements de solidarité. La pastorale des migrants, j’y suis depuis 83. Quand l’évêque me l’a proposé, je lui ai dit, « Mais… je n’y connais rien. Je suis complètement incompétent ! » Et, il m’a répondu, « Vous vous y mettrez ! » À ce moment-là, j’étais délégué épiscopal de la mission ouvrière, c’est pourquoi on m’a proposé la pastorale des migrants en 83.

La pastorale des migrants, j’y suis depuis 83. Quand l’évêque me l’a proposé, je lui ai dit, « Mais… je n’y connais rien. Je suis complètement incompétent ! » Et, il m’a répondu, « Vous vous y mettrez ! »

FARAH POHU – Alors quelle est la fonction de cette pastorale des migrants ?

Elle est double. L’animation et la coordination des aumôneries de migrants catholiques. Et puis, en même temps, les relations avec d’autres migrants. Je pense, notamment, au Maghreb. Deuxième volet, la préoccupation, le respect des Droits de l’Homme. Et, à ce titre, on est amené, quelques fois à prendre part à des actions imprévues au départ. Par exemple, j’ai été accueillant à au moins trois ou quatre grève de la faim !

A ce titre, on est amené, quelques fois à prendre part à des actions imprévues au départ. Par exemple, j’ai été accueillant à au moins trois ou quatre grève de la faim !

Alors, comment est-ce que l’Eglise se positionne par rapport aux pouvoirs publics, par rapport à des lois, je pense aux sans-papiers, je pense à des gens expulsables… ?

Et bien, nous entrons dans les collectifs qui protestent contre ces mesures ! A Paris, nous avons un secrétariat national de la pastorale des migrants. Lesecrétariat national prend position, est présent dans différents collectifs, par exemple, nous avons été à l’origine de la fondation du GISTI, qui est l’instance d’étude juridique, à mon avis, la plus compétente en matière de migrations ! Ce sont des laïques qui le gère et qui l’organise. Au Secours Catholique, il y a un spécialiste de l’étude juridique des textes sur les migrants, et qui, lorsqu’un texte sort, pond une note de vulgarisation, remarquablement faite. Enfin, moi, j’ai ça dans mes papiers, à chaque fois, et c’est à partir de là que je m’informe, et module mon action.

Quelle a été, toutes ces années, et aujourd’hui encore, votre rôle en tant que délégué épiscopal à la pastorale ?

Mon rôle ça a été de veiller à ce que chaque communauté puisse vivre. Alors je les réunis de temps, dans un conseil des migrants, et là on partage à la fois ce que vivent les migrants, ce qu’ils en perçoivent, et ce que chaque communauté vit, réfléchit, quelles initiatives elle prend. Et puis, tous les deux ans, on organise une messe des peuples, présidée par l’évêque, où les différentes communautés interviennent, avec un temps convivial. Mon rôle, donc, c’est cette coordination des communautés, c’est de veiller à ce qu’elles puissent vivre, que, quand il y a un aumônier qui s’en va, veiller à son remplacement, faire face, s’il y a des difficultés qui apparaissent, essayer de travailler à trouver une solution. Et puis c’est surtout de susciter, d’alimenter le dynamisme des communautés.

Mon rôle ça a été de veiller à ce que chaque communauté puisse vivre.

Vous pouvez alerter les pouvoirs publics ? L’Église a ce rôle-là aussi ?

Plus difficilement aujourd’hui. Quand il y avait la CRIG, je pouvais prendre la parole sur ce sujet et… intervenir. Il m’est arrivé, avec d’autres associations, d’intervenir à la Préfecture.

Vous vous considérez comme un prêtre militant ?

[hésite] Je me considère comme un prêtre. Un prêtre qui essaie d’avoir le souci de la vie des Hommes. Et du respect de leur dignité, parce qu’ils sont fils de Dieu. Et après, c’est aux autres de dire si je suis militant, mais pas à moi.

Un prêtre qui essaie d’avoir le souci de la vie des Hommes. Et du respect de leur dignité.

Et qu’en est-il des migrants qui ne sont pas catholiques? Est-ce que c’est aussi votre mission de les accompagner ?

Au niveau du respect des Droits de l’Homme, oui. Au niveau religieux, non. Par contre, je participe au dialogue islamo-chrétien depuis une vingtaine d’années. Sans interférences mutuelles dans le domaine de chacun. Je ne me mêle pas de la conduite de la Mosquée de Bordeaux. Et ils n’ont jamais interféré dans la manière de conduire les communautés migrantes. Le dialogue est confiant. Totalement confiant.

Mais du coup, vous, avec vos années de recul sur l’immigration ici, en Aquitaine, quelle évolution vous avez pu observer ?

Alors je dirais qu’à l’heure actuelle, c’est une immigration qui vient de l’Est. Arménie, Kosovo, et surtout de Roumanie et de Bulgarie. Et puis, une nouvelle immigration portugaise, plus jeune et une immigration espagnole plus réduite, d’une certaine élite.

Est-ce que l’Église parvient à approcher ces populations, notamment les populations de l’Est ?

Il y a un squat à Pessac de Roms, depuis décembre. Nous avons adapté les paroissiens, et provoqué plusieurs rencontres, tous les quinze jours, trois semaines. Il y a en moyenne 25 paroissiens qui se réunissent, et qui essaient d’être présents à ce squat.

Il y a une animation tous les mercredis, avec des enfants. On a travaillé à leur domiciliation officielle auprès de la mairie, auprès du CCAS. Et puis à l’insertion scolaire des enfants. Il a fallu quatre mois pour qu’ils puissent être intégrés dans le monde scolaire. C’était très difficile puisqu’ils allaient de squats en squats, dans des villes différentes… ce qui rendait difficile la preuve de domiciliation pour scolariser ensuite les enfants.

[coupe] Et sur ce type de dossier, pardon, vous travaillez… de façon isolée ou vous êtes en réseau avec d’autres associations ?

En réseau avec d’autres. C’est la Ligue des Droits de l’Homme qui nous a appris qu‘il y avait le squat. L‘action, actuellement, c’est le soutien des enfants. Tous les mercredis, par exemple, on les réunit et on les fait jouer. Et ensuite on vient en aide, on amène [rires] du bois ! Du bois. Pour la cuisine et le chauffage ! Rudimentaire. Ils sont orthodoxes pour la plupart, quoi. Nous respectons profondément leur assise religieuse, nous ne faisons pas de prosélytisme. L’immigration est devenue un domaine ultra-sensible… C’était relativement marginal dans la vie de la société française, puis ça a pris une résonnance politique assez déterminante comme argument électoral, comme épouvantail. Après le naufrage qu’il y a eu à Lampedusa, l’opinion publique a été touchée pendant quelques jours ! Et puis le soufflé est retombé. Et il se trouve que, à ce moment-là, il y avait une rencontre européenne des ministres de l’Intérieur. Ils avaient une occasion de revenir sur la loi de Dublin II et permettre de demander l’asile dans le pays où on le souhaite. Il fallait revenir, il faut revenir sur Dublin II.

J’ai accompagné plusieurs grèves de la faim de Kurdes avec un collectif. Ils sont venus demander l’asile à l’Église.

J’ai accompagné plusieurs grèves de la faim de Kurdes avec un collectif. Ils sont venus demander l’asile à l’Église. Et c’est là que j’ai eu des rapports pas faciles avec les autorités départementales, et même nationales. La première grève de la faim, elle a eu lieu en 91. Elle s’est déroulée pendant cinquante-trois jours dans un local que nous avions en face de l’église Sainte-Croix, qui était l’ancienne chapelle du Noviciat des jésuites. C’est un local qui appartient au Diocèse ! Dans le comité de soutien, l’ASTI était très présente. Notre collaboration avec l’ASTI était tout à fait confiante, et j’ai continué à avoir des rapports avec eux et j’ai beaucoup d’estime pour l’action de l’ASTI. Le cardinal Eyt était évêque et je n’ai jamais rien fait sans son accord total. A partir du quarante-cinquième jour, les vies sont en danger. Alors il y avait un suivi médical très régulier. Des hospitalisations quand les santés s’avéraient défaillantes. Au bout de cinquante-trois jours, le gouvernement Rocard est tombé. Et, au sein du gouvernement Rocard, il y avait quelqu’un qui était un ami intime du père Eyt. Et nous espérions que, par là-même, on pourrait débloquer les affaires. Il n’en a rien été. Il y avait à l’époque un directeur départemental de la police, qui s’appelle monsieur Borne, qui a été un homme courageux, humain, et pour qui j’ai le plus profond respect. Les négociations ont duré jusqu’à 2h du matin. J‘avais su que la police arrivait. Le cardinal est venu dans la salle. Et moi je suis resté à l’extérieur, auprès du directeur de la police. Et, je l‘ai vu temporiser par rapport aux ordres du préfet qui insistait. Monsieur Borne a fait interroger chaque gréviste de la faim, pour lui demander s’il souhaitait être hospitalisé ou pas. Et devant la réponse unanime de chaque gréviste, il a fait retirer les forces de police. Et, j’entends encore un CRS dire, « C’est la première fois depuis 68 que nous repartons sans avoir effectués ce pour quoi nous avons été envoyés ». Et, là, en public, devant 500 personnes, j’ai rendu hommage à l’action du directeur départemental de la police, mais je ramais littéralement à contre-courant devant la [rires]… la foule, qui était n’était pas spécialement [rires] favorable.

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