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Danielle ROSIN
Danielle ROSIN
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Les séquences

Interviewer : Fara Pohu
Lieu : Lormont
Date : 7 mars 2014

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des défenseurs de l’accueil et des droits des personnes migrantes, un entretien avec Mme Danielle Rosin (Ay Carmela et LDH), avait été réalisé le 7 mars 2014, à Lormont (33). Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

 

Résumé de l’interview

DANIELLE ROSIN – Je n’ai pas été élevée dans un milieu politisé. Mais mai 68 a été une grande découverte et à partir de là, toute chose politique et sociale m’intéressait, ne serait-ce que par mon métier où j’ai rencontré toutes sortes de jeunes et de situations difficiles. J’ai aussi passée une partie de ma vie de jeune femme avec la grand-mère de mon mari qui était une résistante, condamnée à mort, qui est allée à Ravensbrück et à Mauthausen. Ce fut une prise de conscience de grand respect pour l’Homme. Alors, dès que mes enfants ont fini leurs études, je suis allée à la Ligue des Droits de l’Homme à Bordeaux où j’avais des amis. La première année, j’ai écouté : il ne faut pas chercher à faire quand on ne sait pas. Puis j’ai commencé à faire des petites choses. Un jour j’étais dans ma classe et le président de l’époque m’a demandé de le remplacer l’après-midi. Je me suis retrouvée à une réunion, pour défendre un petit ukrainien, Nikita, dont les parents allaient être renvoyés dans leur pays où ils étaient pourchassés par des députés corrompus. Nous étions ensuite reçus par le secrétaire général de la préfecture. Et j’ai appelé le président, paniquée. Je n’avais aucune formation de juriste ! J’étais accompagnée de deux profs d’espagnol comme moi de la FSU et de la CGT. Pourtant, dans le bureau du Préfet, les choses se sont faites naturellement. Nous n’avons pas eu un langage militant, et quelque part, ça a aidé parce qu’il a été surpris par nos arguments. J’ai commencé à réaliser le type d’argumentation sur lequel on pouvait se baser pour présenter une meilleure défense possible des gens. Quand on parle vrai, qu’on n’y va pas pour hurler mais pour expliquer, les choses passent.

Toute la chose politique m’intéressait et la chose sociale aussi, ne serait-ce que par mon métier où j’ai rencontré toutes sortes d’adolescents et de situations difficiles

Mon principal travail à la Ligue est d’étudier à fond le dossier des étrangers en épuisement de voies de recours. Je cherche les failles et je regarde l’argumentation humaine et, de plus en plus, juridique. J’ai quand même fait une formation sur le droit des étrangers depuis. Les dossiers sont présentés à la préfecture ou au conseil général pour les mineurs isolés et les jeunes majeurs. C’est très variable. Certains dossiers sont préparés pour un avocat afin qu’il ait quelque chose de solide pour aller au tribunal administratif. C’est parfois difficile, parce qu’on s’immisce dans la vie personnelle des gens et on a toujours peur d’être un voyeur. Et ça remue aussi nos propres souffrances et vécus. Il faut essayer d’être extrêmement délicat. Ce sont des gens qui ont très peur de retourner dans leur pays. Parfois ils ne mesurent pas les choses et racontent des histoires parce qu’ils pensent que ça va mieux passer de cette façon. Il vaut mieux que ce soit moi qui m’en rende compte plutôt que la préfecture. Il faut démêler et ce n’est pas toujours facile psychologiquement. J’ai des moments durs. Il faut un grand respect de la personne en face de soi, tout le temps. Si on n’a pas compris ça, c’est pas la peine de militer. Respect, solidarité et fraternité.  Pour ce petit Nikita, dont les parents ont eu l’autorisation de séjour, dans ce fameux bureau du secrétaire général de la préfecture, nous étions donc profs, descendants de républicains espagnols. Nous avions les mêmes valeurs, inculquées dès la plus profonde enfance. Mon père était un républicain espagnol, arrivé en France en 39 au moment de la débâcle de l’armée espagnole. Maman est française. Mais j’ai été élevée depuis le berceau dans ces valeurs de profond respect de l’humain. Les gens qui viennent vers nous sont adressés soit par d’autres associations, soit par des institutions. Le panel est très large. Beaucoup de demandeurs d’asile. Il y a quelques demandes économiques et puis les jeunes. Le dernier problème était celui des jeunes majeurs isolés mis à la porte des foyers au jour anniversaire de leurs 18 ans. Le gros est gagné. En tant que vice-présidente, j’essaie de suppléer à l’action du président. J’ai le dossier des étrangers qui est LE gros dossier, à la Ligue. Je fais d’autres choses aussi. Il y a quelques années, quand les Ligues des droits de l’homme ont soutenu le juge Garzón en Espagne, j’ai été chargée de ce dossier. J’ai rencontré les associations de républicains espagnols, que je n’avais jamais fréquentées de ma vie. Mon père avait cessé de les fréquenter, s’était marié à une Française et s’était intégré entre guillemets [rires]. Donc, je les ai rencontrés et ça a été un coup de cœur. Je me suis aussi occupée de la réhabilitation des fusillés pour l’exemple de la guerre de 14-18. Nous avons demandé à ce qu’ils soient réhabilités. Il fallait alerter les députés pour qu’une loi soit votée. C’est en cours. Les actions de la Ligue des Droits de l’Homme évoluent au cours des années en fonction de l’environnement social et économique. Il y a un grand travail de réflexion en profondeur sur des thèmes. J’ai participé à celui sur l’extrême droite. Nous ne faisons pas que de l’action sur le terrain. C’est important parce que, depuis le début, la Ligue est une espèce d’autorité morale. Il faut que nous soyons capables de l’exercer en connaissance de cause.

FARA POHU – Est-ce que vos engagements ont changé au fil des années ?

Ils ont évolué [rires] ! La façon de les remplir a évolué. C’est le privilège de l’âge :  plus de réflexions et surtout de recul pour se protéger ainsi que les autres. Je suis amenée à être moins spontanée, moins rapide dans mes jugements. Prendre le temps. Mais mon enthousiasme face à ce que je fais est toujours aussi vif.

On respecte l’humain qui est en face de soi. Alors la charité, non. La solidarité, oui. La fraternité, encore plus.

Il y a du découragement parfois ?

Oui, j’ai beaucoup de découragement quand j’ai l’impression que je ne vais pas y arriver. Dans ce cas, je me rends compte que, toute seule, il faut être humble. Donc, je travaille souvent avec d’autres, des amis à l’ASTI, à la Cimade et d’autres associations. Et un œil extérieur apporte beaucoup. Il faut savoir se remettre en cause, c’est très important. Savoir tout le temps qu’on ne détient pas la vérité et qu’il faut prendre le temps de voir les choses.

Est-ce que l’immigration actuelle fait que vos interventions sont différentes ?

Les interventions ont un peu changé. Il y a une dizaine d’années nous étions souvent reçus par un chef de bureau de la préfecture pratiquement pour chaque dossier que nous défendions. Aujourd’hui, on a très peu de rendez-vous. Par contre, on est toujours reçus quand on défend des dossiers collectifs comme celui des mineurs isolés ou de l’accueil en préfecture, même si c’est parfois de façon musclée. Je me souviens de l’été dernier [rires]. Nous étions sur la place Pey Berland avec des demandeurs d’asile : ceux qui avaient droit à un logement, et qui, faute de places, étaient laissés à la rue avec leurs enfants et ceux qui n’avaient pas droit à un logement. Ils étaient une vingtaine. Avec d’autres associations, nous avons mis sur la place une tente, pour montrer que, à la limite, on les ferait camper là, car c’était la semaine du vin, Vinexpo [rires].  Imaginez l’émoi que ça a créé [rires]. Les RG sont arrivés. Et pour que le problème soit réglé rapidement, les représentants d’assos ont été emmenés dans leur voiture avec le gyrophare [rires]. Je n’avais jamais circulé sur les rails du bus à contre-courant de la circulation. Nous avons tout fait ce jour-là [rires]. Nous avons rencontré le Préfet qui a fait loger ces gens dans le gymnase de Cenon. Ils y sont restés deux ou trois jours. Puis, certains ont été logés ou dirigés vers le COS Quancard. Nous les y avons rejoints. L’objectif était de nous éparpiller et ils ont fait venir la brigade canine. Nous nous sommes retrouvés avec des couples et des enfants à 10h du soir devant la brigade canine !

Malgré ça, on continue à s’engager ?

Surtout pour ça ! On continue à s’engager surtout pour ça.

Vous savez, chaque fois qu’il y a une petite chose de gagnée, un sourire d’enfant, un sourire de femme. C’est ça qui permet de faire face et de dire : « Je continue. Je vais y aller ! »

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