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Matthieu SAMEL
Matthieu SAMEL
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Les séquences

Interviewer : Fara Pohu
Lieu : Tonneins
Date : 17/04/2014

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des défenseurs de l’accueil et des droits des personnes migrantes, un entretien avec Mr Matthieu Samel (AACI), avait été réalisé le 17 avril 2014, à Tonneins (47). Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

Mes parents, des Français d’Indochine, ont été rapatriés après Dien Bien Phu et les accords de Genève de 54. Ils ont été cantonnés dans le camp de Sainte-Livrade.

MATTHIEU SAMEL – Mes parents, des Français d’Indochine, ont été rapatriés après Dien Bien Phu et les accords de Genève de 54. Ils sont arrivés au printemps 56 et ont été cantonnés dans une cité de transit, le camp de Sainte-Livrade. Il avait pour vocation particulière d’accueillir les cas difficiles de réintégration professionnelle. Mon père, dans la mesure où il était invalide, a été cantonné dans ce camp avec toute sa famille.

Donc il n’avait pas le choix. Il ne pouvait pas rester en Indochine. On leur a imposé le départ ?

Oui. L’accord de Genève prévoyait le retrait de tous les ressortissants français. Mon père était citoyen français. Donc il a été rapatrié comme les autres. Mais il ne pouvait pas s’intégrer facilement : il ne pouvait pas travailler. Puis les autorités ont accepté qu’une unité de fabrication de chaussures s’implante dans le camp lui-même, ce qui a permis à un certain nombre de personnes du camp de travailler. Et, dans la mesure où ils pouvaient travailler et s’autosuffire, ils étaient expulsables selon le règlement militaire, l’arrêté Morlot de 59.

Les gens qui habitaient dans ce camp payaient un loyer ?

Non. De toute façon, ce serait indigne que de faire payer les habitants du camp, tel qu’il était. Les photos montrent à quoi ressemblaient ces bâtiments. Les façades n’étaient pas crépies. À l’intérieur, ce n’était que des cloisons légères qui séparaient ce qui ressemblait à des pièces. Il n’y avait rien d’autre. C’était un dortoir.  Il n’y avait pas de toilettes à l’intérieur : les militaires avaient construit des latrines extérieures.

Ce camp a été construit pour abriter le contingent de militaires censé défendre une poudrerie sur le Livradais. Mais la défaite de juin 40 en a voulu autrement. Si bien que le camp est resté vacant jusqu’à la fin des années 40, date où un contingent de travailleurs indochinois venus a été installé en attendant d’être expulsés vers la colonie.

Et au départ ce camp avait été construit pour qui ?

Ce camp a été construit pour abriter le contingent de militaires censé défendre une poudrerie sur le Livradais. Mais la défaite de juin 40 en a voulu autrement. Si bien que le camp est resté vacant jusqu’à la fin des années 40, date où un contingent de travailleurs indochinois venus de Bergerac a été installé en attendant d’être expulsés vers la colonie. Ils étaient considérés comme des réfractaires qui perturbaient la vie des camps. Ils  étaient infiltrés par des groupes politiques. En effet, en 46, une délégation Viet-Minh menée par Ho Chi Minh était présente en France. Dans le cadre de la conférence de Fontainebleau en juillet 46, Ho Chi Minh et sa délégation étaient reçus par la France en vue d’entériner un accord qui prévoyait que le Vietnam démocratique d’Ho Chi Minh allait posséder des institutions propres, avec son gouvernement et son parlement tout en restant dans le cadre de l’Union française. Mais la conférence s’est conclue par un échec. C’était à cette époque que les délégations ont infiltré les groupes d’Indochinois des casernes ou des camps. Cela a entraîné des manifestations. Ils se révoltaient et ça pouvait se comprendre ! Leur situation procédait un peu de l’esclavage. Parce que, évidemment, ils travaillaient pour rien ! Et quand ils étaient payés, ils étaient payés vingt fois moins qu’il ne le faudrait. 

Les requis sont aussi bien des travailleurs indochinois que des tirailleurs. Ce qui les caractérisait était le fait qu’ils ont été forcés de venir en France pour suppléer à l’effort de guerre de la France.

Pouvez-vous me dire qui étaient les « requis » ?

Les requis sont aussi bien des travailleurs indochinois que des tirailleurs. Ce qui les caractérisait était le fait qu’ils ont été forcés de venir en France pour suppléer à l’effort de guerre de la France. Cela a commencé en 38 jusqu’à la défaite de 40, date où les transports ont été bloqués. L’État a alors été obligé de les cantonner dans des camps ou des casernes, mais sans qu’ils n’aient quoi que ce soit à faire, en attendant que les liaisons maritimes soient rétablies. Ils sont restés jusqu’à 52, soit plus de dix ans, cantonnés en France, pour pratiquement rien. Et sans leur famille. Certains ont été affectés, prêtés, loués à des patrons français qui les utilisaient dans les travaux de type agricole. Pour l’anecdote, les travailleurs indochinois du Gard, du côté d’Arles, ont mis en place un système de production de riz issu des colonies. La région du Gard est ainsi devenue riche grâce à l’apport du savoir-faire des Indochinois. Les derniers requis sont partis fin 52, date butoire du départ. Un petit nombre, environ un millier, est resté. Certains ont rencontré des femmes françaises et se sont mariés ou d’autres ont trouvé un travail. 

Donc vous, vous avez grandi au sein du CAFI. Quel souvenir en gardez-vous ?

Ce sont des souvenirs d’enfance puisque mes parents ont été expulsés du camp en 74 alors que j’étais un jeune adolescent. En effet, le règlement du camp prévoyait que les Français d’Indochine susceptibles de subvenir aux besoins de leur famille étaient expulsables. C’était le cas de mon père bien que invaliden après avoir contracté une tuberculose en Indochine qui avait occasionné une ablation de poumon. Quand l’usine a fermé ses portes, moins de dix ans après notre départ du camp, il s’est retrouvé avec ses crédits sur les bras. Et il a eu du mal à retrouver un autre travail. Il a eu des allocations chômage, puis a eu les pires difficultés pour régler ses traites. Mes souvenirs d’enfance, je les résume en des jeux d’enfants. Nos frères et sœurs ainés, nés en Indochine et ayant vécu une partie de leur enfance là-bas, ont emporté avec eux des jeux vietnamiens. On les a reproduits sur place, comme par exemple le « da câu » : on fabriquait un volant avec une pièce de monnaie trouée et, on jonglait avec.

Vous, vous êtes né ici ?

Je suis né dans le Villeneuvois en Lot-et-Garonne. C’est en cela que je peux dire que je suis assimilé, pour ne pas dire intégré. Pour moi, l’intégration est impossible. Je suis assimilé dans le sens où j’ai une forme de pensée qui s’apparente à celle de tout Français de souche, même si j’ai conservé la langue et une forme de pensée de mes parents.

Ce que j’ai souvent reproché aux autorités gestionnaires, c’est d’avoir recréé toute l’infrastructure socio-culturelle et médicale au sein même du camp. Si bien que la population n’avait pas besoin de sortir pour s’intégrer.

Vous étiez scolarisé au sein même du centre ?

Oui. Ce que j’ai souvent reproché aux autorités gestionnaires, c’est d’avoir recréé toute l’infrastructure socio-culturelle et médicale au sein même du camp. Si bien que la population n’avait pas besoin de sortir pour s’intégrer. C’était un paradoxe. Donc l’école était implantée au camp. Le service social et médical et les cultes aussi. Beaucoup se sont amusés à appeler le CAFI « Le p’tit Vietnam » parce que nos parents ont reproduit leur habitude de vie. Nos mères ne cuisinaient que vietnamien au point que certains certains commerçants se sont mis à ne vendre que des produits exotiques. J’ai le souvenir d’un agriculteur qui s’est enrichi en cultivant des légumes vietnamiens. C’est dire que la situation était bien singulière. Depuis quelques années, un projet de réhabilitation du site s’est mis en place. Même si les associations ne sont pas toutes satisfaites de la manière dont la concertation a été menée, les vieux, en tout cas, vont finir leur vie dans de meilleures conditions. Bien qu’on puisse craindre qu’ils soient à nouveau dépaysés par les déplacements d’habitations, qui sont un autre déracinement.

Et donc des infrastructures internes au centre, comme l’école, les centres médico-sociaux, sont toujours existantes ?

Non. A la fin des années soixante-dix, les enfants de l’école du camp ont tous intégré l’école de la commune. Et, au fur et à mesure du temps, les éléments socio-culturels ont disparu ! Sauf les lieux de cultes qui sont toujours là, même s’ils sont moins utilisés parce que la population vieillit.

Les gens de la deuxième génération sont disséminés sur le territoire. Quand on les voit, c’est essentiellement lors des fêtes ou de leurs congés.

Et les deuxième et troisième génération se sont implantées au même endroit ? 

Non. Les gens de la deuxième génération sont disséminés sur le territoire. Quand on les voit, c’est essentiellement lors des fêtes ou de leurs congés. C’est un des problèmes que la réhabilitation a posé, puisque lorsque la deuxième génération revient au pays, elle a du mal à partager les petits logements offerts à leurs parents maintenant. Ils sont contraints d’aller dans les hôtels. Pour ma part, quand mes parents ont quitté le camp, j’avais 14, 15 ans. Je n’ai pas connu de problème d’adaptation dans la mesure où mes parents n’ont plus voulu en entendre parler du camp ! Pourtant ils n’étaient pas loin parce qu’ils se sont réinstallés à Sainte-Livrade à un kilomètre et demi du camp. Mon père n’y allait que pour acheter des produits exotiques. Et ma mère, jusqu’à sa mort, n’y a jamais remis les pieds. Il y avait probablement de la colère et un rejet de ce que pouvait représenter une population déracinée qui ne correspondait pas à ce qu’elle aurait voulu pour ses enfants. Elle refusait qu’on reproduise, même si on était pleinement intégré à l’école française.  

Est-ce que vous pouvez me parler de la création de votre association ?

C’est l’association pour les arts et la culture d’Indochine, l’AACI. Elle a été créée en 84 pour prendre le relais d’une association qui existait au camp depuis 67, la Maison des Jeunes et de la Culture. L’association organisait les fêtes du calendrier vietnamien. La fête incontournable est celle du Têt, hein, le nouvel an en janvier ou février selon le calendrier lunaire. Et l’autre fête importante est dédiée aux ancêtres, le quinzième jour du septième mois lunaire, en juillet ou en août. Elle a donné l’idée à l’association des résidents du CAFI de créer une fête annuelle tous les 15 août.

Le documentaire que j’ai réalisé en 92 s’appelle « Les fruits amers du Lot-et-Garonne ». J’ai mis en avant cette notion d’amertume qui reflète l’état d’esprit des Français d’Indochine.

Pourtant vous n’étiez plus, vous-même, au sein du CAFI ?

Non. Mais c’était le lieu de mon enfance. C’est là où j’ai grandi. Je n’ai jamais oublié ce camp ! C’est aussi le lieu des souffrances de nos parents, même s’ils n’en parlaient jamais. Ils étaient discrets car ils avaient en tête l’avenir de leurs enfants. Ils ne se plaignaient pas, ils subissaient. Le documentaire que j’ai réalisé en 92 s’appelle « Les fruits amers du Lot-et-Garonne ». J’ai mis en avant cette notion d’amertume qui reflète l’état d’esprit des Français d’Indochine, notamment de leurs enfants, témoins privilégiés. En 2010, j’ai écrit un bouquin intitulé « Les requis indochinois et la marâtre ». Si j’ai retenu le terme de « marâtre », c’est parce qu’il s’agissait d’un terme utilisé par les « requis » eux-mêmes quand ils évoquent la manière dont dont la France les traitait. C’était pourtant la France d’après 46, le pays des droits de l’homme, dans le contexte de la Libération, ce qui était encore moins acceptable ! 

Mon projet à venir est la réalisation d’un film sur la seconde génération, celle à laquelle j’appartiens. Mais, je ne veux pas en faire un réquisitoire.

Alors ce travail de mémoire que vous avez effectué a permis à la communauté de Sainte-Livrade de s’exprimer et de relancer le débat de cette histoire.

Je suis persuadé que je n’en suis qu’aux prémices parce les faits me le confirment. Aujourd’hui encore, quand les responsables livradais évoquent les différentes migrations sur le territoire, ils en oublient toujours certaines comme celle des « requis » indochinois. Elle ne semble pas à l’honneur de la France. Mais ce n’est pas une raison pour l’occulter. Donc il y a encore du travail. Les anciens d’Indochine n’acceptent pas de mettre sur la table une histoire qui ne leur plaît pas, notamment la défaite Dien Bien Phu. Je reçois régulièrement des courriers de certains lecteurs « requis » indochinois qui sont presque insultants ! Ça ne plaît pas de savoir que la France pouvait être une marâtre. Mon projet à venir est la réalisation d’un film sur la seconde génération, celle à laquelle j’appartiens. Mais, je ne veux pas en faire un réquisitoire. Je préfère témoigner et demander à mes congénères de témoigner. Ce sera éloquent de toute façon. Je ne veux surtout pas adopter une démarche journalistique. En tant que documentariste, je traiterai le sujet sur un plan psychologique et probablement plus humain.

 

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