Instituteur en Algérie 1958-1969
Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des défenseurs de l’accueil et des droits des personnes migrantes, un entretien avec M. Stanislas Swietek (instituteur en Algérie 1959-1968), avait été réalisé le X, à X. Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous.
Stanislas SWIETEK – Mes parents sont d’origine polonaise. Mon père est originaire de Poznań. Il est issu d’une famille nombreuse. Il est arrivé en France avec deux de ses frères qui sont restés dans l’agriculture, et lui a été recruté dans les mines du Pas-de-Calais. Ma mère, issue d’une famille d’ouvriers agricoles, est arrivée à peu près en même temps de l’est de la Pologne. Ils sont venus en France par hasard. Ils se sont rencontrés à Barlin où ma mère était devenue femme de ménage. À Barlin, il y avait une grande communauté polonaise. A l’école primaire des Houillères où j’étais scolarisé, 50% des effectifs étaient d’origine polonaise. Durant la guerre, on a souffert de la discrimination de certains enseignants qui nous traitaient de sales polaks, puisqu’on était à l’origine de la guerre.
Je me souviens de cet enseignant de sport qui nous traitait de sales polaks en pleine récréation.
Farah POHU – Comment on vit ça quand on a dix ans ?
On se rend compte d’un certain nombre de choses. Des scènes me sont restées en mémoire. Je me souviens de cet enseignant de sport qui nous traitait de sales polaks en pleine récréation. A la fin de la guerre, pour fêter l’armistice, chaque classe a accroché les drapeaux des pays qui ont participé à la guerre. Et, chose curieuse, ils ont oublié d’y mettre le drapeau polonais. Est-ce que c’était de la provocation, de la bêtise ou de la naïveté ? On a fait un sitting dans la cour pour avoir des explications : la Pologne, que ce soit du côté communiste ou britannique, a participé à la guerre. On s’est tous levés et on a entonné l’hymne polonais. Le directeur de l’école a fait venir le consul de Pologne pour accrocher le drapeau polonais dans les classes. Mais à côté des enseignants discriminants, d’autres m’ont beaucoup aidé et encouragé à m’en sortir. En rentrant en sixième, j’ai dit à mon enseignant de français, « Moi, je veux être instituteur ». Et je suis devenu instituteur, même si je suis devenu principal de collège après.
Après l’école d’officiers de réserve de Saumur, j’ai eu le choix de mon affectation en tant que sous-lieutenant et j’ai demandé l’Allemagne. J’ai eu en charge la formation de jeunes appelés pour l’Algérie.
Donc cette vocation d’instituteur, vous la mettez en œuvre très rapidement, y compris quand vous êtes au sein de l’armée française ?
Absolument. Après l’école d’officiers de réserve de Saumur, j’ai eu le choix de mon affectation en tant que sous-lieutenant et j’ai demandé l’Allemagne. J’ai eu en charge la formation de jeunes appelés pour l’Algérie. Mais je me suis aperçu en lisant les dossiers du peloton qu’il y avait beaucoup d’illettrés, parfois plus de 20%. Ils venaient surtout du nord et de l’est. J’ai proposé au capitaine de l’escadron et au colonel de créer des cours du soir. Très rapidement, le nombre d’élèves a augmenté et j’ai demandé l’aide de collègues. On a créé des classes de niveaux et on a mis en place une formation d’alphabétisation pour adultes. Fin mai 59, j’ai été appelé en Algérie. J’ai été affecté au sixième régiment des chasseurs d’Afrique qui stationnait dans le Ouarsenis. Dès le premier jour, j’ai eu presque un accrochage avec mon colonel qui m’a demandé de remplacer l’officier de renseignement qui partait. J’ai refusé. C’était contre mon éthique. On savait très bien ce que devait faire un officier de renseignement. On nous l’avait susurré à Saumur. D’autant plus que mon prédécesseur était un sous-lieutenant d’origine pied-noir, qui parlait arabe et qui avait obtenu d’excellents résultats. Et je ne voulais pas savoir de quelle manière il les avait obtenus. Mon colonel a alors décidé de me nommer à la direction de l’action psychologique, en charge de la propagande envers les populations locales. Je faisais des discours au souk ou près des postes militaires. Je devais parler des bienfaits de la France, leur demander de se rallier et de ne pas écouter les rebelles. Mais quand on a vu l’état de cette région en arrivant, il était clair que la France ne s’en était jamais occupée. Alors, on pouvait se poser des questions. Mais j’ai été très rapidement sensibilisé par ces gamins des rues qui quémandaient du pain. Lors des premières sorties que j’ai faites avec eux aux alentours du douar, j’ai constaté l’extrême dénuement des populations. Les gamins étaient bergers et gardaient les moutons. Quelques semaines après mon affectation, j’avais demandé au colonel de créer une première école au Mellab de façon à pouvoir récupérer tous ces gamins qui trainaient. Pour moi, la meilleure action de pacification, entre guillemets, était le contact humain avec les enfants. Et c’était elle la plus riche. Le premier jour d’école a été consacré à une visite médicale et d’hygiène car ces gamins étaient dans un triste état avec toutes sortes de parasites, poux, puces mais aussi des trachomes aux yeux et de la teigne sur le cuir chevelu. J’avais dans mon équipe deux instituteurs qui ont tout de suite joué le jeu. Le plus difficile était de commencer. Le premier jour, on a eu un interprète mais ce n’était pas toujours le cas. Il fallait trouver une méthode d’initiation au langage. Et ça nous est venu presque naturellement. On désignait un objet, on le donnait, on le nommait en français et on faisait répéter. Petit à petit, à l’objet, on ajoutait un adjectif, puis une phrase. Ça n’a pas été évident. Mais les gamins étaient très demandeurs et attentifs. Ils étaient superbes d’attention et de gentillesse. Ils voulaient faire des progrès. C’était tout nouveau pour eux.
Les enfants venaient de douars parfois éloignés et certains faisaient un bout de chemin, jusqu’à une heure de marche à travers les sentiers de montagne.
Et votre action, comment était-elle perçue par les familles ?
Au départ il y avait quand même une hésitation, une suspicion d’envoyer les enfants au milieu des militaires. On y a mis une certaine autorité. Et puis, ils ont vu qu’on les soignait et qu’on les nourrissait avec ce qu’on trouvait à l’intendance – du pain, du chocolat ou de la vache-qui-rit et parfois même des sardines, ils étaient évidemment d’accord. Les enfants venaient de douars parfois éloignés et certains faisaient un bout de chemin, jusqu’à une heure de marche à travers les sentiers de montagne. Ils restaient donc toute la journée. Leurs parents ont découvert un nouvel aspect de la France et ont toujours validé. Cela m’a permis d’ouvrir d’autres écoles dans la région du Mellab auprès de tous les postes militaires. J’ai eu quelquefois des difficultés avec certains commandants d’escadrons pour qui seule la violence comptait : « On est venus ici pour gagner la guerre, pas pour faire la charité ». Il a fallu persuader. Mais le colonel m’a toujours donné carte blanche.
Le 9 octobre 59, Colette, ma future femme, est arrivée. Elle avait déjà travaillé avec le sixième régiment de chasseurs d’Afrique dans le Dhara, près de la côte. Elle avait une expérience du contact avec la population, les femmes et les enfants en particulier. Elle faisait partie des équipes médico-sociales itinérantes. A l’origine, elle était PFAT, Personnel féminin d’armée de terre. Sa présence nous a fait changer nos activités notamment dans le soins des femmes et des enfants des douars. Dans les villages les plus éloignés, qui avaient eu beaucoup plus de contacts avec le FLN et les fellaghas qu’avec l’armée française, nous étions toujours très bien accueillis parce qu’il y a une chose qui marche très bien en Algérie, c’est le téléphone arabe. Les nouvelles passent, on ne sait pas trop comment, mais c’est très efficace. Et lorsqu’on arrivait dans un douar, nous étions toujours très attendus ! Les gens nous recevaient avec beaucoup d’hospitalité et un accueil chaleureux. Même si quelques fois ce n’était pas évident. Pour l’anecdote, lorsque j’étais à Mazouna, nous avons eu la visite d’un chef de région après le cessez-le-feu du 19 mars. Il m’a demandé de continuer à faire fonctionner les écoles. Il nous a dit en partant, « Je vous connais très bien tous les deux. Vous étiez à Ouarsenis, que vous faisiez ceci et cela, et par deux fois, on s’est retrouvés dans le même douar, vous en train de boire le café dans une mechta, et moi de boire le café dans une autre mechta ». Donc, s’ils avaient voulu nous descendre, ils l’auraient fait. Et c’est vrai que c’était une histoire de stratégie pour le FLN.
Je fais une parenthèse avec la période de notre mariage. L’armée avait fait construire en dur les casernes. Quand nous nous sommes mariés, le colonel nous a alloué un logement dans la cité à l’extérieur du camp construite pour les Harkis. Et les enfants, qui commençaient à bien nous connaître, passaient le week-end. Il y avait une des fillettes, Yamina, qui venait très souvent. Nous l’avons emmenée en vacances trois semaines en France, à Tonneins, dans le Pas-de-Calais.
En 61, avec ma femme, on a demandé à changer un peu d’horizon. Et on sentait qu’une autre politique s’amorçait. On savait pertinemment qu’on allait pas pouvoir rester au Mellab jusqu’au bout. Et donc, j’ai eu ce poste d’instituteur à Saint-Aimé. Puis, en octobre 62, j’ai eu la visite de l’inspecteur primaire qui m’a demandé de prendre la direction de l’école de Mazouna, petite ville de 10 000 habitants berbères. C’était une école de garçons et de filles dotée de 23 classes, soit plus d’un millier d’élèves. Parmi les enseignants, il y avait des Pieds-Noirs et des Algériens. Et déjà à cette époque, les relations entre les communautés étaient très tendues. En février 62, à l’approche du cessez-le-feu, une quinzaine d’enseignants pieds-noirs est partie pour des questions de sécurité. Je commençais aussi à avoir des difficultés pour enseigner et prendre en charge les classes. Mazouna était une petite ville totalement berbère. Nous étions les deux seuls européens. La ville recevait des familles entières de réfugiés de grandes villes. C’était l’époque de l’OAS. Un jour, alors que j’étais en train de discuter avec un parent qui venait d’arriver et que je parlais de mes problèmes, il m’a dit : « Mais, on peut peut-être vous aider ». Dans ces réfugiés, il y avait des architectes, des médecins, des enseignants, des étudiants. Et petit à petit, j’ai récupéré des enseignants tout à fait novices qui ont pris en charge les classes.
En 62, nous avons décidé de revenir en Algérie. L’inspecteur départemental m’a demandé de prendre la direction du collège et des écoles primaires de Cassaigne Sidi Ali dans le Dhara.
Donc quels choix avez-vous fait au-delà de 1962, après l’indépendance ?
Alors nous avons décidé de revenir en Algérie. L’inspecteur départemental m’a demandé de prendre la direction du collège et des écoles primaires de Cassaigne Sidi Ali dans le Dhara. Et ma femme connaissait cette région puisqu’elle y avait travaillé. Nous sommes restés à Cassaigne. Il y avait beaucoup de choses à faire. Dès la première année, j’ai créé une cantine scolaire et un internat pour les élèves qui étaient éloignés du collège. L’internat s’est installé dans les villas des Pieds-Noirs qui étaient partis. Et on m’a aussi demandé d’être le conseiller pédagogique, puisqu’il y avait un afflux d’élèves dont le nombre a pratiquement doublé en primaire et peu de personnels. Avec le maire et le bureau politique, on a réquisitionné d’anciens locaux militaires. Et, à la fin de l’année, j’ai dû réquisitionner l’église et le presbytère où on a installé trois classes.
En 68, vous êtes rentré pour des raisons personnelles et de santé. Vous seriez resté en Algérie si vous aviez pu le faire ?
Ah, très certainement. Oui, je serais resté en Algérie encore quelques années. J’avais des amis Pieds-Noirs avec qui j’avais fait connaissance à l’indépendance. Eux sont restés jusqu’en 72.
Pour moi, ce n’est pas à contre-courant, c’était dans dans le courant de mes idées. Je continuais le travail et les idées que j’avais en prenant l’action psychologique dans le Ouarsenis.
Comment est-ce qu’on décide d’aller à contre-courant ? Tout le monde rentrait, vous, vous restez là-bas…
En fait je ne sais pas si c’est à contre-courant. Pour moi, ce n’est pas à contre-courant, c’était dans dans le courant de mes idées. Je continuais le travail et les idées que j’avais en prenant l’action psychologique dans le Ouarsenis. Les contacts avec la population, cette misère, ce besoin qu’avaient ces enfants de sortir, d’apprendre et de découvrir autre chose que leur milieu, m’ont toujours incité à continuer. Ce n’était pas à contre-courant, c’était naturel. Un courant normal quoi !