Bernard ROUCHALEOU
Bernard ROUCHALEOU
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Les séquences

Interviewer : Fara Pohu
Lieu : Sabres
Date : 23 avril 2014

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des défenseurs de l’accueil et des droits des personnes migrantes, un entretien avec Mr Bernard Rouchaléou (Culture et loisirs), avait été réalisé le 23 avril 2014, à Sabres (40). Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur le bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

 

Résumé de l’interview

Bernard ROUCHALÉOU – Je suis directeur d’un “Pays”, le Pays des Landes de Gascogne, après avoir été président de l’association locale “Culture et loisirs” à Sabres, un petit village de douze-cents habitants. J’en suis aujourd’hui vice-président. Et je suis chargé d’une section de cette association, l’AIRLF “Atelier Itinérant de Redécouverte de la Langue Française”.  

Les activités historiques de gemmage et d’exploitation du bois ont été source de venue de populations espagnoles et portugaises. Les années 70 ont connu, face à la crise du bois, l’implantation de grands domaines agricoles. Et là est apparue une migration maghrébine.

Fara POHU – D’accord, alors avant de partir sur votre parcours professionnel et associatif, est-ce que vous pouvez me donner un petit peu le contexte régional, et me dire ce qui s’est passé au niveau de l’immigration dans cette région?

C’est une région, donc, située au cœur du massif forestier aquitain : un million d’hectares de pins. Et au cœur de ce massif, c’est une population peu dense, avec des petits villages de cinq-cent habitants en moyenne. Je travaille sur l’espace de plus de cent communes où il y a eu une forte désertification dans les années 60, après l’arrêt des activités historiques de gemmage et d’exploitation du bois qui avaient été source de venue de populations étrangères notamment espagnoles et portugaises plus récemment. Les années 70 ont connu, face à la crise du bois, l’implantation de grands domaines agricoles. Et là est apparue une migration maghrébine venant travailler sur ces domaines, même si une partie travaillait aussi dans la forêt ou dans les usines de bois.

Quelles autres immigrations il y a eu dans la région ?

Espagnole, portugaise et maghrébine par poches sur certains endroits, mais de manière plus organisée. Il y a sur une commune, Labouheyre, par exemple, des migrants asiatiques déplacés et installés dans des cités. Aujourd’hui, Labouheyre est une communauté de trois mille habitants de quatorze nationalités. Sur l’ensemble du territoire de ces communes, il y sept pour cent de population étrangère. soit trois à quatre mille personnes, ce qui n’est pas négligeable, même si dispersé. Il n’y a pas de poche forte de population étrangère sauf à la Labouheyre. Ce sont deux ou trois familles ici et là dans des villages et qui n’étaient pas problématiques. Il n’y avait pas de tensions. J’étais à l’école avec des enfants espagnols, portugais et américains après restés après la guerre. 

Est-ce que vous pouvez m’expliquer le rôle du Pays des Landes de Gascogne par rapport à la population ?

Le Pays de Gascogne est une organisation volontaire de communes qui ont mis en commun leur énergie pour revitaliser cet espace. Elles ont élaboré un projet commun et se sont accordées sur les priorités. Elles ont négocié des moyens pour développer des actions et rendre ce territoire un peu plus attractif.

Quels types d’actions par exemple ?

Dans le domaine économique, social et des services. Dans les centres-bourgs qui étaient en déliquescence, il fallait rénover l’habitat, réhabiliter et offrir des conditions d’accueil à de nouvelles populations. La population partait. L’espace n’est pas enclavé : il est au milieu de l’Aquitaine et facilement accessible. Donc, on part facilement mais on y vient facilement aussi. Il fallait changer cette image d’espace désert et montrer ses potentialités et ses dynamiques. Ce travail a été long mais a porté ses fruits. A la fin des années 90, la population a augmenté de manière presque brutale. Aujourd’hui, le problème, ce n’est plus tant de faire venir que de consolider les installations, même si la mobilité a son bon côté. C’est structurer et créer du vivre-ensemble. 

A Sabres, il y avait un vide collectif d’offres de services aux familles. Des parents d’élèves, dont je faisais partie, ont créé l’association “Culture et loisirs”.

Ça, ça fait partie de vos préoccupations professionnelles et par ailleurs, vous vous êtes investi aussi. Vous avez même créé une association. Est-ce qu’on peut parler de ça ?

Je suis originaire de la région et j’ai la chance d’y avoir trouver un emploi. Dans la commune où je me suis implanté, Sabres, il y avait un vide collectif d’offres de services aux familles. Des parents d’élèves, dont je faisais partie, ont créé l’association “Culture et loisirs” en ce sens. On a créé un cinéma local et un village-vacances pour animer cet espace. L’association, dont j’ai été pendant quinze ans le président, avait pour vocation de créer du lien dans la commune entre ses populations au travers l’offre d’ateliers. Une centaine de familles y participe chaque année. 

La participation aux ateliers était volontaire et gratuite. L’objectif était l’apprentissage et l’autonomie. Le public était féminin à quatre-vingt pour cent au départ. Puis, il y a eu un mélange allant jusqu’à une vingtaine de nationalités par ateliers.

Donc des activités culturelles, sportives, principalement ?

Oui, culturelles, sportives et de loisirs. Puis l’association a été agréée pour créer un centre de loisirs d’accueil des enfants pendant les vacances scolaires et le mercredi. L’association a une approche professionnelle : elle a deux salariés et recourt à des professionnels pour ses ateliers. Par la suite, nous avons constaté que peu d’enfants maghrébins, pourtant nombreux à l’école, se rendaient au centre de loisirs. Surtout, on ne voyait jamais leurs mères à nos ateliers : elles ne sortaient pas de chez elles pour diverses raisons. Un membre de l’association, qui avait travaillé pour des ONG au Maghreb, a proposé de rentrer en contact avec elles en proposant des cours de français afin qu’elles gagnent en autonomie. Cinq ou six femmes ont accepté de venir. Il a fallu négocier avec le mari et le prétexte de l’enfant a été pris. Nous avons alors créé la section Culture et Loisirs. J’ai ensuite constaté que les besoins de formation étaient forts sur notre espace, sans jamais avoir de réponse adaptée. Et je souhaitais pérenniser les actions de Culture et loisirs par la formation. Mais Sabres était trop petite et devait s’associer à d’autres communes. Cependant, la population était diffuse : les villages étaient espacés d’une dizaine de kilomètres. La mobilité était bloquante : il fallait que l’association se déplace et non les familles. Nous avons cherché des lieux d’accueil en convaincant d’autres communes, dont je connaissais le maire et la sensibilité de part ma profession, de tenter l’expérience. Nous avons été accompagnés par le Conseil général. Nous avons débuté des ateliers itinérant avec des salariés. Très vite le public a répondu. Les Communes se sont intéressées, les Conseils municipaux votant une participation financière. Notre communication se voulait discrète, sous la forme de réseaux, notamment des services sociaux, les éducateurs, les instituteurs, les institutrices qui orientaient les gens qui en avaient besoin. La participation aux ateliers était volontaire et gratuite. L’objectif était l’apprentissage et l’autonomie. Le public était féminin à quatre-vingt pour cent au départ. Puis, il y a eu un mélange allant jusqu’à une vingtaine de nationalités par ateliers. Cela a fonctionné : le lien social et l’entraide étaient là. Il n’y a jamais eu de rivalités, mais une émulation étonnante. Puis, on a senti le besoin d’élargir au-delà de la langue. Et on a mobilisé les apprenants pour un moment grand public. Il s’est appelé “Les mets, les mots”. Chacun a fait un atelier cuisine pour se réunir ensuite sur un vaste repas. Et en même temps, il y a eu une exposition de tous les écrits des ateliers mais aussi des récits de vie, des poésies et divers écrits. Ils ont ainsi pu présenter le fruit de leur apprentissage, mais aussi faire connaître leurs parcours. L’idée c’est de créer des moments forts d’ouverture et de rencontre entre les populations et les territoires.

Les apprentissages ont aujourd’hui un cadre très formel. Et on devient en partie sous-traitant d’organismes de formation. Mais on garde nos valeurs : cela ne représente qu’un tiers de notre activité.

C’est une respiration. Vous avez soufflé de l’air sur ce territoire. 

Bernard ROUCHALÉOU – Oui, c’est le fond de notre projet, de AIRLF et on le défend. fort. On avait un projet avec l’association Ancrages qui diffuse dans une revue  des récits de vie dans le Lot-et-Garonne mais cela n’a pas abouti. L’édition est un système lourd, coûteux et ponctuel. Depuis 2000, on réfléchit sur un espace web, un lieu d’échanges et de connaissances afin à la fois de créer du lien entre les apprenants au travers ces outils et d’ouvrir à l’extérieur et de nous faire connaître. Cela progresse doucement. Mais ces dernières années, les contraintes des politiques publiques qui nous financent nous ont amenés à rentrer dans un système de formation à la carte avec des compétences-clés. Les apprentissages ont aujourd’hui un cadre très formel. Et on devient en partie sous-traitant d’organismes de formation. Mais on garde nos valeurs : cela ne représente qu’un tiers de notre activité. Et on ne dépassera pas la moitié. On intègre les compétences-clés dans nos ateliers sous forme de cycles de trois semaines puis on repart sur les apprentissages de la langue.  En parallèle, notre public a aussi évolué. Au départ c’était un lieu de rendez-vous féminin : se rencontrer, se raconter, apprendre et agir ensemble. C’était le lien social et l’autonomie. Aujourd’hui, le besoin est l’insertion économique avec un rajeunissement du public confronté à des difficultés sociales et financières lourdes. 

Donc ce sont des migrants qui viennent d’arriver. 

Oui. Et depuis trois ans, des migrations européennes, notamment hispaniques, portugaises reprennent, plus jeunes et plus éphémères aussi. Au départ, c’était ouvert. C’était les réseaux locaux qui nous orientaient les gens. Aujourd’hui, dans le cadre des compétences-clés, ce sont les organismes publics tels que la Mission locale, Pôle Emploi ou Cap Emploi qui font passer des tests et orientent. Sauf que, sur notre territoire, on est la seule réponse qui existe. Les prescripteurs ont tendance à nous envoyer tous les publics. Nos salariés sont alors confrontés au quotidien à des situations lourdes, difficiles et qui ne sont pas du ressort d’AIRLF. Les administrateurs de l’association ont un rôle fort à jouer pour rappeler le cadre et les limites. Nos salariés sont généreux et ces populations se raccrochent souvent à cette générosité, qui est est le dernier maillon. On ne peut pas tout traiter. Notre objectif est de sortir les gens de là où ils sont et de les faire progresser. Nous nous interrogeons sur les personnes qui continuent à venir au bout de cinq, six ans. Il ne faut pas non plus que AIRLF soit le seul refuge.

Donc, là, vous avez deux types de populations qui se côtoient ou bien il y a une partie de cette population qui venait depuis cinq ou six ans, qui ne vient plus ? 

Si, ils viennent. Et l’avantage est qu’ils créent le lien avec les autres, les stimulent, les rassurent. Ça donne du sens car ils transmettent les valeurs de l’association. Mais les ateliers ont évolué. Aujourd’hui, ils ont beaucoup lieu dans les médiathèques sur ordinateur. Et ça fonctionne. 

Et vous, alors, dans votre parcours au sein d’AIRLF, vous continuez à vous investir. 

Oui, je préserve ce domaine. Parce que c’est un domaine un peu délicat. Et c’est délicat à gérer dans une association qui a plusieurs vocations.

Et il faut rester strict sur nos valeurs et sur nos façons de voir les choses, ne pas se laisser entraîner vers des dérives. Il faut agir à la fois avec fermeté et tranquillité. Mettre les gens devant leurs responsabilités. 

Vous n’êtes plus président de l’association ?

Non, mais j’ai gardé la section de l’AIRLF parce que sa pérennité passe par des bonnes relations avec nos partenaires financiers. Et il faut rester strict sur nos valeurs et sur nos façons de voir les choses, ne pas se laisser entraîner vers des dérives. Il faut agir à la fois avec fermeté et tranquillité. Mettre les gens devant leurs responsabilités. Notre force est qu’on est les seuls sur cet espace. Par exemple, l’Etat nous a demandé d’intégrer les compétences-clés en sous-traitance avec un organisme qui n’utilisait pas toutes les heures qui lui étaient octroyées. Sur notre espace, il a fait zéro heure. En un an, on a fait trois mille heures. On a démontré que notre méthode produisait des effets : la proximité, l’itinérance, les réseaux. On est cités en référence. Parfois, un peu trop à mon avis parce que les moyens qu’on nous donne ne sont pas à la hauteur [Rires] des références qu’on nous porte. En particulier, les salariés ne sont pas reconnus au niveau de leur engagement, que ce soit financièrement, socialement ou pédagogiquement. On met toujours en avant l’investissement, mais ils doivent vivre aussi. Et ils ont des familles. Ils vieillissent même s’ils étaient jeunes au départ et plein de fougue. Aujourd’hui, c’est toujours les mêmes. Du jour au lendemain, ils peuvent partir et c’est légitime. Et leur remplacement sera difficile : ce sont des formateurs atypiques. Mais l’association perdure.  Au début, on croyait naïvement que le besoin allait s’étioler. Mais non. Il y a autant de public, autant de besoins. Ça se renouvelle. Et les situations s’aggravent même. Donc, ce service, il a toute sa légitimité.

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