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Alvaro PIMENTA

Alvaro Pimenta
Portugais en Aquitaine
Né en 1940

Alvaro PIMENTA
Alvaro PIMENTA
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Les séquences

Interviewer : Raymond Arnaud

Lieu : Léognan

Date : 16 avril 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès de l’immigration portugaise en Aquitaine, un entretien avec M. Alvaro Pimenta a été enregistré le 16 avril 2009 à Léognan (33). Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

ALVARO PIMENTA – Je m’appelle Alvaro Pimenta, je suis né le 18 mars 1940 dans le petit village de Mogege, canton de Vila Nova de Famalicão au Portugal. C’est à 30 kilomètres au nord de Porto entre Guimarães et Porto. Fils d’agriculteurs, je suis entré à l’âge de 15 ans dans l’industrie au Portugal et à l’âge de 25 ans, en 1965, j’ai émigré en France. Je n’ai jamais été à l’école, mes parents me payaient des cours du soir et j’ai eu mon certificat d’études à 17 ans. À l’époque, on était pauvres, et l’école des années cinquante, c’était pour les riches. J’étais l’aîné de quatre enfants. Plus tard, mes frères et soeurs, plus jeunes, sont allés à l’école.

Mes parents cultivaient le maïs, le seigle, les haricots et ils avaient aussi du bétail. Ils n’étaient pas propriétaires des terrains, et à la fin de l’année, ils payaient une rente en céréales au propriétaire de la ferme. Ils s’occupaient d’une centaine d’hectares et avaient au moins dix têtes de bétail. C’était énorme.

J’ai fui le Portugal pour des raisons économiques, parce que même si j’étais assez bien placé, je ne gagnais pas correctement ma vie à l’époque. Et moi je voulais aller plus loin !

J’ai aidé mes parents à travailler la terre puis vers l’âge de 15 ans, je suis allé travailler à l’usine. On faisait du tissu pour l’Afrique. J’y suis resté 8 ans avant de faire mon service militaire en 1971. J’ai fait 18 mois d’armée, et j’ai eu la chance de ne pas être mobilisé alors que presque tous mes collègues sont partis en Angola. À l’époque, 40 % du budget de l’État partait à l’armée.

J’ai continué ensuite à travailler jusqu’à mes 25 ans, mais on ne gagnait pas notre vie, ça ne me suffisait plus et la vie était trop chère, c’était la crise. J’ai donc décidé de partir en France pour améliorer un peu ma situation. J’avais quelques adresses dans ma poche, dont notamment une, route de Pessac à Mérignac, dans le bourg où des cousins m’attendaient.

Des passeurs, j’en ai connu plus de trente. Il y en avait un qui passait le groupe clandestin à un autre, et un autre qui le passait à un autre… Aujourd’hui, il se passe la même chose.

Je suis venu clandestinement, car on ne pouvait pas quitter le Portugal sans formalités. Parti le 14 mai, je suis arrivé le 30, 16 jours de voyage difficile avec une trentaine de passeurs, à pied dans la montagne pour traverser les frontières, en autobus aussi pendant 23 heures ! Si on se faisait prendre par les autorités espagnoles, ils nous ramenaient et touchaient 500 escudos par réfugié. Une fois passée la frontière, l’État français nous recevait très bien et il n’y avait plus de problèmes. On avait un ticket chacun pour sa destination. J’avais donc un ticket pour la Gironde, pour Bordeaux et je n’ai rien eu à payer. On devait ensuite se présenter à la gendarmerie la plus proche pour avoir un récépissé provisoire.

Arrivé à Bordeaux, j’ai pris un taxi qui m’a amené à l’adresse que j’avais chez quelqu’un qui m’a hébergé pendant 20 jours. Il ne manquait ni à manger ni à boire, il manquait le confort. Mais ça importait peu puisqu’on ne l’avait pas avant non plus ! J’ai trouvé rapidement un contrat d’un an au bout duquel j’ai eu des papiers légaux pour retourner au Portugal d’où j’ai pu émigrer légalement.

RAYMOND ARNAUD – Vous avez donc trouvé du travail très vite dans une entreprise…

On faisait des tranchées dans les routes pour mettre le gaz, l’eau, l’électricité. J’ai passé un an à travailler avec la pelle et la pioche.

Puis vous êtes retourné au Portugal, pourquoi ?

J’avais la nostalgie du pays, j’avais 26 ans à l’époque. J’y ai passé deux mois de vacances. Puis j’ai repris mon travail en France avec mon passeport légal en poche, car l’État portugais ne pouvait plus me refuser de papiers comme j’avais un contrat de travail en France.

Quand vous êtes arrivé en France, est-ce que vous parliez français ?

Non, pas du tout ! J’ai beaucoup appris le français avec les Espagnols républicains avec qui je travaillais. Par le biais de l’espagnol, j’apprenais le français. Je posais des questions en espagnol ou en portugais, comme nous nous comprenions, et j’apprenais le français avec eux. En 1968, je suis revenu au pays à nouveau parce qu’on avait peur de la grève. On est tous partis. Je suis resté encore un bon mois et demi puis j’ai fait émigrer mon épouse.

J’ai appris le français avec les Espagnols, républicains, avec qui je travaillais beaucoup. On parlait l’espagnol et par le biais de l’espagnol, j’apprenais le français.

Ce n’était pas possible de l’emmener plus tôt ?

Il fallait les conditions… je n’étais pas préparé, je parlais très peu français, il me fallait une maison, une situation puisqu’il y avait déjà un enfant, mon fils de 11 mois. En 1968, je suis allé habiter à Bordeaux avec un Espagnol qui m’a cédé sa chambre et une cuisine où j’ai vécu pendant environ 5 mois jusqu’à trouver un petit logement, ici à Léognan, où l’on a emménagé en novembre. Le travail, ce n’est pas ce qui manquait à l’époque et pour 10 centimes de plus je changeais de patron. C’est là que j’ai commencé à rentrer dans le bâtiment, ce que je souhaitais et à voyager un peu plus pour toujours améliorer ma situation. En 1970, je suis devenu maçon. En 71, j’étais déjà chef d’équipe. Puis en 75, je suis devenu chef de chantier. En 1979, j’ai commencé à travailler à mon compte, j’ai monté une petite entreprise qui existe encore aujourd’hui. C’est toujours resté une entreprise familiale, je n’ai jamais eu d’ouvriers, que des apprentis, j’ai travaillé avec mes enfants et j’ai acquis une clientèle.

Et quelles étaient vos relations avec le Portugal pendant toute cette période ?

Je suis venu au Portugal avec mes enfants tous les ans passer un mois de vacances comme tout le monde. J’ai surtout renoué des liens avec le Portugal, lorsque j’ai monté l’Association franco portugaise.

Souvent, chez les immigrés, il y a le désir de revenir au pays. Est-ce que ça a été votre cas ?

Tout le monde passe par là, c’est la nostalgie. À un moment avec mon épouse et mes enfants, nous avons été obligés de prendre une décision. Et c’est ce que j’ai fait en 1988, en demandant la nationalité française. Je suis un Portugais intégré, je dois beaucoup à la France je me suis investi en France. Au Portugal, je n’ai plus de famille, mes enfants sont ici, alors qu’est-ce que je ferais au Portugal ? Le Portugal pour moi, c’est toujours mon pays d’origine. La France, c’est mon pays actuel. J’ai donc la double nationalité.

Le Portugal, c’est toujours MON pays d’origine. La France, c’est mon pays actuel. Pour moi j’ai la double nationalité, et je ne peux pas entendre dire du mal ni du Portugal, ni de la France.

Parlez-nous un peu plus de votre activité associative.

À un moment donné, la municipalité de Léognan nous a tous regroupés et nous a encouragés à monter une association pour favoriser l’intégration. Ça a été l’une des premières associations portugaises à être créée en Gironde. Nous avons fait des cours de portugais et de français et c’est ici qu’a été monté le premier groupe folklorique. L’association a ensuite joué un grand rôle pour le jumelage avec Joane et Léognan et il y a aujourd’hui plus de 1 000 Léognanais qui sont allés au Portugal et vice-versa, par le biais de ce jumelage et c’est toujours une joie quand les Français vont là-bas et quand les Portugais viennent ici tous les ans. Il y a des échanges culturels, sportifs, le tourisme, plein de gens qui ont fait des échanges chez eux, créant une véritable convivialité.

Vous avez aussi une vie politique ?

Oui, bien sûr, j’aime la vie politique. Je suis devenu conseiller municipal à Léognan en 2003 et conseiller de l’assemblée de la république des Portugais à l’étranger. Nous sommes 4 millions et demi de portugais dans le monde entier, et nous avons une assemblée de la république à titre consultatif. Nous sommes huit en France, et nous représentons l’immigration à l’étranger. Je suis le représentant de la communauté portugaise du grand Sud-Ouest. Ça représente quand même 19 départements et à peu près 150 000 Portugais.

Le conseil des communautés portugaises travaille en commissions pour faire remonter les besoins et les problèmes de notre immigration. C’est un pouvoir consultatif, l’intermédiaire entre les institutions françaises et le portugaises.

Et comment avez-vous été élu ?

Il y a la loi 96 qui est passée et qui stipule qu’il faut des élus à l’étranger. J’ai donc été candidat, et élu par les Portugais de la diaspora. Je suis à peu près l’équivalent d’un député à l’étranger, un représentant politique du Portugal en France. Nous travaillons par commission à l’assemblée de la République portugaise pour voir ce qui se passe avec notre immigration, ce dont elle a besoin, ses problèmes. Nous faisons beaucoup le conseiller social quand il y a des problèmes. Nous essayons de communiquer, d’avoir des relations avec l’État, les pouvoirs publics français. Nous n’avons pas le droit d’intervenir d’un point de vue juridique, mais nous pouvons intervenir dans le social. Nous faisons l’intermédiaire entre le pouvoir français et le pouvoir portugais.

Les problèmes aujourd’hui sont les mêmes que pour les Français, le manque de travail, de logement, les problèmes administratifs, etc. J’ai un accès par mes fonctions, je me présente, on m’écoute, je suis certainement mieux reçu que n’importe qui, on m’accorde un certain crédit, mais autrement, je n’ai pas plus de pouvoir qu’un autre. Tous les ans, on rencontre la communauté portugaise avec l’ambassade et les élus d’origine portugaise. Nous avons commencé en 2002, nous étions 330, nous sommes aujourd’hui 4 500. Je vais souvent au Portugal et à Paris dans le cadre de ces fonctions d’élu. Aujourd’hui, il y a un million et demi de Portugais en France, dont 51 % qui sont français.

Comment considérez-vous l’évolution du Portugal à travers les divers voyages que vous effectuez ?

Le Portugal a beaucoup évolué, surtout à partir de la révolution de 1974. Aujourd’hui, c’est un pays exactement comme la France simplement cinq fois plus petit, avec 11 millions d’habitants.

Je n’aurais jamais imaginé arriver au point où j’en suis maintenant. Parce que quand je pense que je suis né dans la poussière, que je suis venu dans la poussière… et qu’aujourd’hui, je suis devenu un petit homme public…

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