Sylvestre Soares
Portugais en Aquitaine
Né en 1957
Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès de l’immigration portugaise en Aquitaine, un entretien avec M. Sylvestre Soares a été enregistré le 13 octobre 2009 à Bordeaux. Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.
SYLVESTRE SOARES – Je m’appelle, en français pour faire plus simple, Sylvestre Soares, et je suis né le 28 février 1957 au Portugal, dans un petit village du nom de Minas. Mon père a travaillé pendant longtemps dans une compagnie minière anglaise, au Portugal. Ma mère ayant émigré en France, mes parents se sont séparés et lorsque la mine en question a fermé, mon père a émigré en Espagne au début des années 70, où il a fini sa carrière. Nous étions restés à l’époque sur le Portugal avec mes frères et sœurs, j’ai donc fait une scolarité normale jusqu’au bac, à Viseu.
J’avais étudié le français comme langue étrangère, mais l’apprentissage était axé l’enseignement sur l’écriture. Donc, à la fac, la première année, au niveau oral c’était très compliqué.
J’ai ensuite fait une tentative d’inscription dans une fac étrangère, à Salamanque d’une part et à Bordeaux d’autre part. À l’époque, suite à la révolution, il y avait un service civique qui obligeait les étudiants et les bacheliers qui sortaient du Bac, à patienter un an avant de s’inscrire en fac. Donc comme j’avais la possibilité de tenter une inscription à l’étranger, j’ai fait une demande et j’ai choisi Bordeaux parce qu’ils ont été les plus rapides à répondre.
RAYMOND ARNAUD – Vous parliez français ?
Non, enfin j’avais le français comme langue étrangère, comme tout le monde, où l’essentiel était axé sur l’écriture, c’était beaucoup plus compliqué au niveau oral.
Pourquoi avoir choisi Bordeaux ?
Ma mère étant à l’époque sur Périgueux, en Dordogne, la fac la plus proche en droit, c’était Bordeaux. J’ai d’ailleurs commencé à l’Institut Juridique de Périgueux pendant deux ans, jusqu’au DEUG, et ensuite c’était Bordeaux. C’est uniquement une histoire de proximité familiale. Puis j’ai fait une Licence, Maîtrise de droit public, un DEA en troisième cycle. Et plus tard donc – j’exerçais déjà une activité professionnelle –, un DESS à la fac de Droit de Pau.
J’ai commencé, comme souvent les étudiants, à faire de l’enseignement, des vacations, des travaux dirigés essentiellement de droit public, droit administratif, droit constitutionnel, pendant quatre ans, et ensuite je suis rentré dans la fonction publique territoriale, en 1987. J’ai d’abord été nommé secrétaire général de la commune de Sauveterre-de-Béarn, un petit canton assez sympathique, où je suis resté 8 ans. Je suis parti ensuite en Aveyron, où j’avais été nommé chef de service juridique et des marchés publics à la mairie de Rodez, où je suis resté 5 ans. Puis j’ai intégré à nouveau Bordeaux où j’ai été nommé chef du service juridique à la région Aquitaine jusqu’en 2005. Depuis, je suis directeur général des services à Soulac-sur-Mer, petite ville du Nord-Médoc.
Quand vous avez commencé vos études en France, est-ce que vous avez ressenti des difficultés au niveau de la langue ou de l’adaptation à la vie en France ?
Il faut une année d’adaptation pour la version orale de la langue. Le côté écrit, il n’y a aucun problème. L’intégration, je dirais dans la culture, la civilisation, ne pose aucun problème pour quelqu’un qui est Européen du Sud comme moi, et qui a émigré pour des raisons liées aux études. Ce n’est pas tellement quand on a 18-20 ans que c’est compliqué.
Est-ce que le fait que votre mère soit à Périgueux a facilité votre intégration, et de quelle manière ?
Oui, dans le sens où l’on a un point de repère familial. À l’époque, il y avait une communauté portugaise à Périgueux, qui existe toujours d’ailleurs, et que j’ai côtoyé pendant les quelques années où j’étais sur la Dordogne, des gens du même âge qui faisaient des métiers divers.
Pendant mes études, j’ai été appelé pour le service militaire au pays mais j’avais cru bon de ne pas y aller… J’ai donc été interdit de séjour puis, 5 ans après, le gouvernement a amnistié ceux qui étaient dans ma situation en échange d’une petite somme !
Quel lien avez-vous conservé avec le Portugal durant la période de vos études en France ?
Pendant mes études très peu, parce que j’étais interdit de séjour pendant cinq ans… j’avais fini ma première année de droit lorsque j’ai été appelé pour le service militaire et, ne voulant pas interrompre mes études, j’ai décidé de ne pas y aller ! Ils ont envoyé la gendarmerie me chercher quand je ne me suis pas présenté, ce qui affolait pas mal de gens qui étaient sur place, et donc du coup j’étais interdit de séjour, entre guillemets, sous peine d’être pris si je passais la frontière. J’ai donc préféré ne pas tenter le coup.
Puis, à une époque, ont été amnistiés tous ceux qui étaient dans le même cas que moi, et on a dû payer une sorte de droit, qui n’était d’ailleurs pas très important, en compensation d’un service militaire qu’on n’a jamais fait ! Depuis, je reviens régulièrement au Portugal. À une époque c’était plutôt une fois tous les deux ans, et c’est assez drôle, je ne sais pas si c’est l’âge, ou les circonstances, mais désormais j’y vais pratiquement tous les ans et même plusieurs fois par an sans aucun objectif particulier sinon de revenir un petit peu tremper dans les sources, aux racines, pour des raisons familiales uniquement.
Avez-vous conservé de la famille au Portugal ?
Oui, en fait j’ai mes parents qui sont revenus puisqu’ils sont retraités tous les deux depuis quelques années. Ensuite, j’ai un de mes frères qui habite toujours au Portugal et qui est enseignant.
Vous étiez combien de frères et sœurs ?
J’ai un frère qui est resté au Portugal, une sœur en France et un autre frère en Espagne, on est un peu éparpillés partout !
Et durant ces séjours, avez-vous senti des différences, des évolutions ?
En 30 ans, tout a changé, ça c’est clair. Les distances sont beaucoup plus “courtes” qu’avant. Le réseau routier a complètement changé, les mentalités aussi… Je pense que l’Europe y est pour beaucoup, les gens sont dans le coup. Au niveau social, il y a tout un tas de services qu’on ne trouve presque pas encore en France, des transports de bus pour les personnes âgées, des repas à domicile, des foyers pour personnes âgées de proximité, des services qui sont vraiment à la pointe.
Comment expliquez-vous justement cette évolution rapide du Portugal et ce souci social ?
L’adhésion à l’Europe y est pour beaucoup et d’autre part comme le retard était important, on comble les décalages beaucoup plus vite, l’évolution politique, également, fait qu’on est beaucoup plus ouverts qu’on ne l’a été auparavant.
Quand on comprend l’humour de Raymond Devos, c’est qu’on a compris la finesse de la langue française, donc on est bon ! On est complètement intégré.
Vous sentez-vous plus français que portugais maintenant ?
Pendant longtemps, je me suis posé la question. Pendant des années, j’étais plus portugais que français peut-être puis j’ai senti le basculement à un moment donné. Je dis souvent qu’on est intégré, c’est idiot, mais je pense que c’est vrai, à partir du moment où l’on comprend l’humour d’un pays, la finesse de l’humour, pas l’humour grossier. Quand on comprend l’humour de Raymond Devos, c’est qu’on a compris la finesse de la langue française, on est intégré complètement. Je pense que c’est par la culture qu’on s’intègre.
Et du point de vue professionnel, est-ce que pour vous, il y aurait une éventuelle possibilité de travailler au Portugal ?
Je pense que ça serait très difficile. Surtout quand, comme moi, on est de formation de culture française et quand on a choisi une matière qui est difficilement transposable. Le droit reste quand même un droit national et puis maintenant je suis fonctionnaire territorial français, naturalisé. J’ai gardé la double nationalité volontairement, parce qu’on peut la refuser, j’ai donc deux cartes d’identité du coup [rires].
Est-ce que vous avez le souci de la promotion des Portugais vivant en Aquitaine, en France, ou est-ce que c’est un sujet qui ne vous intéresse pas vraiment ?
Ça m’intéresse, disons, intellectuellement. Je reconnais à la vague d’immigration qui a été générée dans les années 60/70 et en suivant, une qualité intrinsèque aux peuples du sud, dont je viens, qui était d’être des bosseurs. Mais je ne participe à aucun organisme qui a un lien étroit avec le Portugal. Quand j’étais sur Bordeaux, il y avait des associations que je ne fréquentais pas forcément, mais je connaissais leur existence. J’étais régulièrement invité et je gardais un petit contact avec le milieu consulaire que je connaissais, mais en dehors de ça, après, comme lors de mes études, je n’ai jamais croisé de Portugais, dans les facs de droit mais dans les facs de langue il y en avait. Ça vient également du fait que j’ai beaucoup bougé, je n’ai jamais eu trop le temps de m’installer.
Pour conclure, je pense qu’il y a beaucoup de similitudes dans la façon de fonctionner entre la France et le Portugal, de façon générale, le style de vie, on doit avoir un côté cartésien les uns et les autres, hérité de je ne sais où. Mais en fait, j’ai l’impression d’être Européen, d’être bien quel que soit l’endroit, depuis longtemps. Je n’ai jamais ressenti de préjugés par rapport à mes origines. Je pense même que le Français est curieux, il est très ouvert à ce qu’il ne connaît pas, à l’étranger, en général, surtout dans les milieux étudiants. Le nom qui est assez marqué à l’origine, l’accent, tout ça ne m’a jamais empêché d’être recruté dans les établissements publics, de droite ou de gauche d’ailleurs, j’ai été recruté pour mon CV, et non pour mes origines, mon accent, ou mes opinions politiques.
Mon village est tout près de Vila Nova De Paiva, « le village le plus français du Portugal », une vraie terre d’immigration vers la France. On y parle français en toute saison… si un Français se perd là-bas, il y a pas de problème !