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Ana Maria TORRES

Ana Maria Torres
Portugaise en Aquitaine
Née en 1950

Ana Maria TORRES
Ana Maria TORRES
/
Les séquences

Interviewer : Bernadette Ferreira

Lieu : Bordeaux (33)

Date : 6 juillet 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès de l’immigration portugaise en Aquitaine, un entretien avec Mme Ana Maria Torres a été enregistré le 6 juillet 2009 à Bordeaux. Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

ANA MARIA TORRES – Je m’appelle Ana Maria Torres, je suis née au Portugal, dans le sud, à Beja, le 20 novembre 1950. Mon père travaillait la terre lorsque je suis née puis il est devenu cantonnier, il réparait et faisait des routes. Ma mère était à la maison. J’ai émigré en 1978 sur un coup de tête, je voulais voir comment ça se passait ailleurs. J’étudiais en droit à cette époque, et j’avais un fils de 3 ans. L’école obligatoire étant à partir de 5 ans, je me suis dit que j’avais 2 ans pour voyager. Je voulais faire les vendanges, et à la gare routière, j’avais demandé un billet pour une ville où il y avait de la vigne ! et l’on m’a dit « Bordéus », je ne savais même pas qu’on disait Bordeaux, alors, avec mon fils, j’ai pris un billet parce que c’était le moins cher ! Heureusement que j’avais parlé à des Portugais qui étaient assis à côté de moi, parce qu’une fois arrivés, le chauffeur a dit : « On est à Bordeaux » et moi je ne voulais pas descendre parce que ce n’était pas « Bordéus » ! La personne qui était assise à côté de moi a dit que c’était là et je suis sortie.

Mais je suis arrivée trop tôt au mois de juillet, les vendanges au Portugal commencent en principe fin août, et je ne savais pas qu’en France ça commençait plus tard. J’ai donc été obligée de retourner au Portugal pour aller chercher un contrat de saisonnier pour un travail que j’avais trouvé ici, à Génissac. On est repartis au Portugal avec l’argent qu’une famille, que j’ai connue ici, m’avait prêté, puis je suis revenue légalement avec un contrat, toujours avec mon fils pour faire les vendanges. Ensuite, l’homme pour qui j’avais fait les vendanges voulait me faire un contrat pour que je reste chez lui. Ça me plaisait bien, c’était une famille vraiment adorable, mais il ne voulait pas m’avoir en tant que clandestin.

Je suis venue dans un coup de tête, mais c’est parce que j’étais fâchée avec le Portugal à l’époque…

Seulement à la préfecture, on m’avait dit que c’était presque impossible à l’époque d’avoir une carte de travail et comme je n’avais pas tellement envie de repartir au Portugal, une fois en France, j’ai trouvé une petite location avec l’argent des vendanges et j’ai commencé à travailler dans un restaurant portugais en tant que serveuse et c’est là que j’ai connu un beau jeune homme dont je suis tombée amoureuse, et avec qui j’ai décidé de me marier ! Nous avons eu deux enfants et j’ai arrêté de travailler.

BERNADETTE FERREIRA – Comment avez-vous vécu votre départ par rapport à votre famille, votre pays, par rapport au fait que vous étiez quand même une jeune femme, avec un enfant en bas âge ?

Effectivement je suis venue sur un coup de tête, mais c’était parce que j’étais fâchée avec le Portugal à l’époque. Quand j’ai pris la décision d’avoir cet enfant, ça n’était pas évident à l’époque d’être mère célibataire au Portugal, vis-à-vis de la famille, du travail, des amis même, j’étais très mal vue. Et donc c’est vrai qu’au bout d’un moment, j’en ai eu un peu ras le bol de tous ces préjugés, et même si on avait vécu la révolution des Œillets, les mentalités d’un peuple ne changent pas du 25 au 26 et j’ai quand même souffert à cause de ça. Un jour, j’ai décidé de partir pour aller voir ailleurs si c’était différent et finalement je me suis rendu compte qu’en France personne ne me posait de problème par rapport à mon statut de femme seule. À partir du moment où j’ai décidé d’avoir mon fils, j’étais un peu la brebis galeuse, j’avais perdu toute l’estime de ma famille alors quand je suis partie, je n’ai prévenu personne parce qu’on était en conflit. J’avais d’autres ambitions pour ma vie future, que de rester à la maison en attendant qu’un monsieur divorcé ou veuf, veuille bien me prendre pour épouse !

Au Portugal, à l’époque, les gens ne comprenaient pas comment une femme pouvait vivre toute seule et assumer son enfant toute seule.

Quand vous êtes arrivée à Bordeaux, vous ne parliez pas français ?

J’avais quelques bases, parce qu’à l’école j’avais appris le français pendant 4 ans et ça m’a permis de me faire comprendre un petit peu, mais j’ai quand même eu du mal. Quand je suis arrivée à Bordeaux, j’ai eu une petite déception parce que j’étais habituée à Lisbonne, une capitale, très belle ville, et c’est vrai que quand je suis arrivée à Bordeaux, le premier endroit que j’ai connu c’était Saint-Michel et ce n’était pas, pour moi, l’image que j’avais de la France avec la Tour Eiffel, l’avenue des Champs-Élysées… Mais j’ai goûté la liberté et c’est pour ça que j’ai de suite aimé Bordeaux qui est devenue une belle ville.

Comment gérez-vous votre vie avec votre fils et la communauté portugaise ?

Là, j’ai commis des erreurs par rapport à mon fils quand je suis arrivée ici. Je lui ai dit « le Portugal, c’est fini ! » Je me suis coupée de tout contact avec la communauté portugaise. D’un côté, c’est vrai que je ne connaissais personne et les gens que j’ai connus par rapport au travail étaient surtout français et c’est vrai qu’après, je pense que ça s’est fait inconsciemment, je m’entourais beaucoup plus de gens d’origine française que de Portugais. Mon fils, lui, s’est très bien adapté à l’école. Ses copains étaient français, les voisins étaient français donc mon fils a très bien accepté ça. J’ai un regret aujourd’hui, c’est de l’avoir coupé un peu de sa langue maternelle. Mais la vie nous joue des tours, et aujourd’hui mon fils qui se trouve être prof de maths, a une classe européenne, et s’est mis au portugais qu’il enseigne même !

Est-ce que vous êtes revenue au Portugal ?

Oui, évidemment, une fois la colère passée, je suis devenue adulte, moi aussi, j’ai géré tout ça, je suis allée voir ma famille et j’ai demandé quelques explications, après au moment de la réconciliation, le Portugal avait évolué et les gens ont reconnu qu’ils étaient un peu sévères avec moi.

Mon histoire personnelle, mes souvenirs, mon enfance… tout fait que je dis souvent que l’endroit le plus poétique, le plus magique du Portugal, c’est l’Alentejo !

Quels sentiments avez-vous éprouvés la première fois que vous avez franchi la frontière, que vous êtes revenue ?

C’est un mélange de sensations. Quand j’ai traversé la frontière, je me rappelle très bien ces odeurs que j’avais en moi, les eucalyptus, tout ça m’a vraiment envahi d’émotions, de revoir ma famille aussi. Mais en même temps, je me sentais une étrangère.

Je n’ai plus mes parents, malheureusement, ils sont décédés, mais mon mari a encore sa mère, donc on essaye d’aller la voir tous les ans pour en profiter au maximum. Quand mes fils étaient en bas âge, souvent on intercalait pour les vacances le Portugal ou les Pyrénées, parce qu’il y a cette partie de la France que j’adore aussi.

Et donc si vous allez dans le Nord avec votre mari, vous faites quand même un détour quand vous pouvez vers l’Alentejo ?

Ah oui, ça, c’est un détour obligé ! On ria plus les coquelicots, détruits par les pesticides apparemment, c’est dommage, mais il commence à y avoir un retour à l’écologie, et j’espère qu’un jour il y aura de nouveau des plaines remplies de fleurs. L’Alentejo est un endroit où il n’y a pas beaucoup d’eau et chaque fois qu’on trouve un point d’eau, il y a toute une végétation qui ressort et qui prolifère comme la menthe sauvage, c’est une odeur que j’adore. Les jours de pluie, la terre mouillée, c’est quelque chose d’extraordinaire, je ne peux pas rater ça quand je vais dans l’Alentejo. Tout ça me manque, surtout quand je m’arrête dans la journée et que je commence à penser… Mais vivre au Portugal, non je ne pourrai plus, je suis désormais très éloignée de leur façon de vivre. Bordeaux m’a acceptée, Bordeaux m’a adoptée et moi j’ai adopté Bordeaux aussi, je suis bien ici ! Je ne veux pas être désagréable avec les Portugais, parce que chacun à sa façon de faire, mais je trouve le Portugal petit pour moi, ils s’attachent à des choses qu’en France on a dépassées. Tous les ans, ils me demandent si j’arrive avec la même voiture, pourquoi je ne l’ai pas encore changée ! Mais elle roule, pourquoi je devrais la changer ? Ça se comprend car ils ont tellement été longtemps privés de biens matériels… Mais pour moi ça n’a pas d’importance, voilà, ça n’en a jamais eue, je ne me sens pas supérieure, ce n’est pas du tout ça, mais j’ai vu et appris d’autres choses, il y a des choses beaucoup plus importantes. Ils sont très attachés à leur maison aussi, si la voisine achète un canapé, il faut que le voisin aussi ait un canapé, si la voisine a un tapis persan, il faut que l’autre voisin aussi. Et puis on va couvrir les tapis avec du plastique pour ne pas les abîmer !

Au Portugal, mon entourage s’attache à des choses qu’en France, j’ai dépassées… L’importance de posséder des biens matériaux, une nouvelle voiture… Ça ne me concerne plus, je m’attache à d’autres valeurs…

Est-ce que vous avez le sentiment qu’il y a eu des moments où cette intégration vous a demandé des efforts ?

Non, jamais. Même si j’ai toujours entendu dire que les Bordelais étaient froids ou snobs, moi je ne le pense pas. Timides ou discrets, oui, mais j’ai trouvé ici des gens extraordinaires et si d’ailleurs aujourd’hui je suis conseillère municipale, c’est aussi peut-être un peu pour ça, parce que j’ai vis-à-vis de cette population une dette.

Est-ce qu’il y a des moments où vous vous sentez plus portugaise que française ?

Là où je me sens vraiment portugaise, c’est dans la langue, parce que le français est une langue qui me pose beaucoup de problèmes, je lis mal les mots, je ne prononce pas bien et ça m’énerve ! Quand je vais au Portugal, les premiers jours, évidemment, je suis contente de voir tout le monde, mais après ma maison commence à me manquer, et quand j’arrive à Bordeaux, je me dis que je suis enfin chez moi.

Est-ce qu’aujourd’hui vous avez des rapports avec la communauté portugaise ?

Oui bien sûr, mais bon, quand je connais quelqu’un, je ne m’arrête pas au fait de savoir s’il est portugais ou français. J’ai des amis portugais, français ou espagnols, dans toutes les communautés.

Est-ce que vous vous tenez au courant en tant que conseillère municipale de l’actualité portugaise ?

Oui, déjà parce que c’est dans mon caractère, et c’est mon pays quand même, mais je suis aussi déléguée en relations internationales, donc c’est la moindre des choses que je sois au courant de ce qui se passe dans mon pays. Le Portugal a beaucoup évolué en 30 ans, mais j’ai un regret, je pense que nous avons de bons exemples, aujourd’hui, on n’a pas besoin de chercher à se valoriser toujours par rapport à notre passé, le monde des conquêtes, il est loin, et d’autres peuples ont fait d’autres choses. On continue, à chaque fois qu’on doit se présenter, à amener ceci comme carte d’identité et je trouve que c’est dommage parce que je pense que les Portugais ont fait d’autres choses depuis et l’on est toujours en train de se valoriser par rapport à ce qu’on a fait il y a 1 000 ans, mais c’est fini ça. Le Portugal est un petit pays, ça sera toujours un petit pays et on ne sera jamais une grande puissance économique. Je pense qu’on aurait pu profiter par contre de cette image, de ce cliché que nous avons comme pays d’accueil, hospitalier, en développant le côté touristique de façon raisonnée.

Et que pensez-vous de la jeunesse portugaise aujourd’hui ?

Elle est comme la jeunesse française, c’est pareil, il n’y aucune différence, ils ont les mêmes problèmes, les Portugais sont peut-être encore dans une société de consommation que les Français ont déjà dépassée. Les Portugais commencent à se détacher de la famille, alors que les Français y reviennent maintenant, il y a toujours un petit décalage…

Pour conclure, si je vous demandais de caractériser le Portugal pour le décrire à un français…

Ce n’est surtout pas la morue, ni le porto ou le fado ! Je dirais « Hospitalidade »…

Au Portugal, on vit trop dans le passé, l’ancien monde des conquêtes. Et c’est dommage ! Car je pense que les Portugais, on a fait d’autres choses après ça !

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