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Fernanda ALVES

Fernanda Alves
Portugaise en Aquitaine
Née en 1971

Fernanda ALVES
Fernanda ALVES
/
Les séquences

Interviewer : Bernadette Ferreira

Lieu : Cenon

Date : 6 août 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès de l’immigration portugaise en Aquitaine, un entretien avec Mme Fernanda Alves a été enregistré le 6 août 2009 à Cenon (33). Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

FERNANDA ALVES – Je suis née le 18 août 1971 au Portugal plus précisément à Arcos de Valdevez, dans un petit village qui s’appelle Miranda. C’est dans la région du Minho.

BERNADETTE FERREIRA – Que faisaient vos parents à ce moment-là ?

Ma maman travaillait la terre et mon papa avait un taxi.

Et à quel moment avez-vous décidé de venir en France ?

Décider, ce n’est pas vraiment le mot. C’était un besoin presque. J’avais 16 ans quand je suis venue en France, parce que la vie était très dure au Portugal et c’était l’âge où l’on souhaite vivre correctement, et mes parents n’avaient que peu de moyens. Ayant mon frère ici, en France, j’ai donc demandé la permission à mes parents de le rejoindre et même si ce fut un déchirement, ils ont accepté. Moi, je voulais venir en France pour avoir simplement une vie meilleure, pour pouvoir aider mes parents car je travaillais déjà au Portugal.

Comment êtes-vous arrivée en France ?

Je suis partie en bus, depuis Arcos, où mes parents ont dû me faire une autorisation puisque j’étais mineure. Ce fut un voyage très long et je me rappellerai toujours parce qu’à Burgos, on a eu un accident et le bus s’est retourné. Ce ne fut pas trop grave parce qu’on est reparti dans le même bus… Et, quand je suis arrivée à Bordeaux, mon frère m’attendait. Le fait d’avoir ici de la famille, mon frère et des tantes, des cousins a fait que je me suis vite sentie chez moi.

Avec qui êtes-vous venue ? Avec des amis, de la famille ?

En rentrant dans le bus, il y avait des visages familiers, des jeunes comme moi, mais personne que je connaissais vraiment.

Et quelle image aviez-vous de la France à ce moment-là ?

Quand on était petit, au Portugal, on se disait que la France c’était le luxe, c’était riche, que tout était beau… Pour nous, c’était tout ce qui était merveilleux, le bien-être en somme. Quand je suis arrivée, ce n’était pas tout à fait ça, parce qu’avoir 16 ans et chercher un travail, ce n’était pas évident… Ce qui m’a marquée, c’est que je suis arrivée dans le quartier Saint-Michel, comme tous les Portugais et les Espagnols, et je me disais que c’était vieux, que tout était vieux ! Chacun vivait pour soi. Nous, en tant que Portugais, on était très famille, on se parlait beaucoup dans les petits villages, alors qu’ici, je voyais les gens partir chacun de son côté, à son travail, on ne pouvait pas s’arrêter pour parler les uns avec les autres. C’était boulot-maison, maison-boulot…

Et quelle est la dernière image que vous avez eue du Portugal ?

L’image de mes parents bien sûr, puisque c’est la première fois que je laissais la maison, la tranquillité…

Est-ce que vous parliez français, en arrivant à Bordeaux ?

Pas du tout, je savais dire « merci » et « oui » comme tout le monde, mais je ne parlais pas un mot et petit à petit, j’ai appris. J’ai commencé par l’espagnol quand je suis arrivée ici, puisque j’ai travaillé deux mois dans un restaurant espagnol. Pendant six mois, j’ai appris à parler espagnol, langue que je parle couramment aussi aujourd’hui. Le français, je l’ai appris en parlant avec les gens, je voulais vraiment m’intégrer, j’ai acheté beaucoup de livres, j’ai lu beaucoup et je tenais vraiment à apprendre. Par la suite, j’ai travaillé chez des particuliers avec des personnes âgées, j’allais dormir le soir avec des mamies qui ne voulaient pas dormir toutes seules. Je les couchais, je les faisais manger et c’est avec elles que j’ai vraiment appris à parler. Après, j’ai commencé à faire des heures de ménage, comme beaucoup de gens. C’était en 1988.

Et vous aviez des papiers ?

Non, je les ai eus en 1989, quand je me suis mariée. Avant, je vivais à l’aventure, quand j’allais chez le médecin je payais et je priais le bon Dieu pour ne pas tomber malade et atterrir à l’hôpital… Je me suis mariée en 1989 avec un Portugais que j’ai connu ici, et qui est originaire d’un village à côté du mien, là-bas au Portugal.

Combien de temps après êtes-vous retournée au Portugal ?

Pratiquement aussitôt, puisque je suis arrivée en janvier ici et le mois d’août de la même année je suis partie en vacances voir mes parents. Par la suite, je partais tous les ans. La première fois, ce fut vraiment la joie de retrouver ma famille, mes parents bien sûr. On ouvre la vitre de la voiture et puis on prend l’air, tout est beau, et c’est là qu’on a les larmes aux yeux en se disant qu’on ne pouvait pas avoir la même vie ici qu’en France. On a constamment cette nostalgie du pays.

Et quand vous revenez au Portugal, comment êtes-vous considérée par ceux qui sont restés au pays ? Comment les Portugais vous perçoivent ?

C’est malheureux à dire, mais vous savez, ici, on est des Portugais, des étrangers, et quand on arrive là-bas on est des Français… Les gens nous appellent « les Français », nous sommes les maçons et les femmes de ménage, qui sont allés en France pour nettoyer ce que les Français ne veulent pas nettoyer… Mais ce n’est pas la réalité. C’est la vie qui veut ça. On n’a pas de diplômes, on n’a pas fait d’études et on a eu beaucoup de chance de trouver des gens qui nous donnent du travail. Aujourd’hui, les choses changent et les mentalités évoluent. C’est différent.

Vos enfants, de 14 et 17 ans, parlent-ils portugais ?

Oui, mes enfants sont bilingues tous les deux. On a toujours parlé portugais à la maison, tout le temps, on y tient. Ils ont toujours passé deux mois de vacances au Portugal, chez les grands-parents, ils sont fiers d’aller au Portugal.

Vous-même, y a-t-il des moments où vous vous sentez plus portugaise ?

Je me sens tout le temps portugaise, je suis tout le temps portugaise et je le serai toujours. Lorsque des Portugais viennent vers moi, lorsqu’ils ont besoin d’aide, qu’ils ont des difficultés, peut-être que je deviens la Portugaise qui va les aider et j’en suis fière.

Vous dites que les Portugais viennent vers vous. Avez-vous des liens avec la communauté portugaise ?

J’ai fait le catéchisme aux enfants pendant des années, ce qui m’a amené à croiser beaucoup de monde. Il y a deux ans, j’ai aussi monté une émission de radio en portugais et depuis 20 ans, je suis par ailleurs dirigeante dans un club de foot, le C.S. portugais à Villenave-d’Ornon, où joue mon mari. Ces activités me font rencontrer pas mal de gens. Et depuis l’année dernière, j’ai été élue conseillère municipale à la mairie de Cenon, déléguée à la culture et à la communication et je suis aussi présidente du comité de jumelage. Il faut préciser qu’à Cenon, sur 24 440 habitants, il y a plus de 2000 Portugais.

Que pensez-vous du Portugal d’aujourd’hui et de celui que vous avez quitté ?

Le pays a beaucoup évolué heureusement, et plutôt positivement. Ici, on a l’image d’un Portugal figé mais, en réalité, le Portugal d’aujourd’hui est très moderne. Beaucoup de choses sont bien plus modernes qu’en France. Au niveau du travail, c’est vrai que c’est difficile, mais il n’y a plus beaucoup de travail partout ! Je crois que le SMIC au Portugal est à 426 euros en ce moment, alors quand on sait que le prix de l’essence est plus cher qu’en France, le lait est plus cher qu’en France, on se demande comment les Portugais peuvent vivre là-bas. C’est très difficile mais je pense que les gens aiment tellement ce pays qu’ils ne veulent pas le quitter. C’est un pays magnifique qui évolue mais garde aussi un côté très rural, auquel les habitants sont attachés. Ces paysages, ces cascades d’eau, ces rochers, des zones protégées, des parcs nationaux protégés où l’on a encore des loups, des chevaux sauvages… Pour nous, c’est important de garder cette culture.

Est-ce que vous envisagez de revivre au Portugal ou d’y revenir plus longtemps ?

Il y a quelques années de cela, je vous aurais dit oui, c’était un rêve. Aujourd’hui, les enfants ont grandi, ils sont nés ici, ils font leurs études ici… J’adore mon Portugal et si j’avais les moyens, je passerais un peu plus de temps là-bas. Peut-être qu’à ma retraite… mais dans l’immédiat non, j’ai une vie sociale ici, peut-être que je pourrais l’avoir aussi mais ce n’est pas pareil, je ne pense pas y retourner pour y vivre.

Revenons à la communauté portugaise. Pour vous, c’est quoi le caractère portugais ? En quoi est-il particulier ?

Le Portugais est très discret, très fier de lui-même, c’est quelqu’un qui ne va pas, s’il peut se débrouiller tout seul, demander de l’aide à son voisin. Moi, je le ressens comme ça. Je pense que les Français ont une bonne image de nous, les Portugais. On est des travailleurs, on gagne notre vie, on reste dans notre coin, on ne bouge pas, on ne fait pas d’histoires. Mais c’est vrai que, par exemple, le Portugais devrait être un peu plus ouvert. Il s’est intégré en France sans problèmes, c’est mon point de vue. Aujourd’hui, je crois que sur Cenon, 80% des Portugais ont leur résidence à eux, ils sont propriétaires et cela signifie qu’ils ne bougent pas. Par contre, il est très difficile de les mobiliser pour qu’ils s’inscrivent sur les listes électorales. Ils se disent : « Nous, on est tranquille chez nous, tout nous va »… et c’est un peu regrettable. Heureusement que les jeunes commencent à voir les choses autrement.

Parlez-nous du jumelage dont vous vous occupez, comment cela se passe-t-il ?

Cenon est jumelée avec un village de la région du Minho qui s’appelle Paredes de Couras, tout à fait au nord du Portugal près de la frontière. Au mois d’août de l’année dernière, j’ai amené le conseil municipal là-bas, pour la cérémonie de la signature protocolaire. Ils sont tous tombés amoureux de cette ville-là. Je les ai emmenés à Porto, je les ai promenés pendant une semaine, ils ont visité le pays et sont tombés amoureux du Portugal. J’ai emmené aussi là-bas le conseil municipal des jeunes. Ils étaient tous tristes de revenir en France… A l’inverse, c’est la première fois que Paredes de Couras est jumelée avec une autre ville. Paredes de Gouras est très grande en superficie mais n’a que 9 500 habitants. C’est une ville encore très rurale, mais qui s’est modernisée avec notamment un très grand festival de rock, le deuxième plus grand en Europe. Par ailleurs, Monsieur le maire de Cenon, Alain David, étant président du SDIS, c’est-à-dire des pompiers de la Gironde, au moment de la signature protocolaire, il a fait don de deux camions de pompiers et deux ambulances à cette ville qui a beaucoup souffert des incendies en 2005 et qui avait perdu beaucoup de véhicules et de matériel. Les deux villes bénéficient mutuellement de ces échanges.

Est-ce que vous vous sentez plus française ou portugaise ?

Je serai toujours portugaise. Je suis la seule au conseil municipal qui n’ait pas la nationalité française. On peut être élue, conseillère municipale et ne pas être française. Pour des raisons personnelles, j’ai demandé la nationalité française que je dois obtenir bientôt. J’ai des projets d’aller un peu plus loin et il me faut la nationalité française mais je serai toujours portugaise au fond. Mes enfants ont aussi la double nationalité.

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