— Homepage / Mémoire orale / Portugais en Aquitaine /

Maria Luiza ARNAUD

Maria Luiza Arnaud
Portugaise en Aquitaine
Née en 1948

Maria Luiza ARNAUD
Maria Luiza ARNAUD
/
Les séquences

Interviewer : Anthony Etchart

Lieu : Talence

Date : 7 avril 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès de l’immigration portugaise en Aquitaine, un entretien avec Mme Marie Luiza Arnaud a été enregistré le 7 Avril 2009 à Talence (33). Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

MARIE LUIZA ARNAUD – Je m’appelle Marie Luiza Arnaud, je suis née le 10 janvier 1948 à Paranhos, Porto. J’ai passé toute ma vie jusqu’à mes 30 ans à Porto et après avoir suivi des études d’histoire à l’Université de Porto, j’ai passé un concours pour être enseignante. Dans ma famille, la France était quelque chose de très important et je n’étais même pas encore à l’école que je parlais déjà français.

Ma famille était très francophile. Depuis ma toute jeune enfance, la France et la culture française a eu une importance très particulière pour moi.  

J’ai été dans une école privée catholique où j’ai eu une scolarité primaire et un peu secondaire et où je parlais toujours trois langues : portugais, espagnol castillan et français. Depuis ma toute jeune enfance, j’ai eu une très bonne connaissance de la culture française puisque ma famille était francophone, et francophile. J’ai lu François Mauriac quand j’avais 13 ans, et avant mes 15 ans j’avais déjà joué dans des pièces de théâtre de Racine ou Molière. Mon père était ingénieur et travaillait dans une usine de produits chimiques, ma mère était à la maison, mais elle-même avait une formation et parlait le français, mes grands-parents déjà aussi…

ANTHONY ETCHART – Pourquoi avez-vous quitté le Portugal ?

Au départ, j’aurais aimé faire des études à l’université en français, mais à l’époque, du temps du fascisme, ce n’était pas possible et j’ai donc dû choisir Histoire tout en continuant évidemment à fréquenter les institutions culturelles françaises et anglaises. J’avais été boursière à l’université de Cambridge quand j’avais 20 ans et j’ai eu un diplôme universitaire d’anglais. J’ai donc fini ma fac à Porto, en histoire, et très vite j’ai passé le concours pour être titularisée comme enseignante. Pour passer cet examen, que j’ai eu en 1973, il fallait enseigner en lycée et j’avais donc commencé à travailler. Avec d’autres professeurs, plutôt de gauche, nous nous réunissions dans la clandestinité pour développer tout ce qui était associations, complètement interdites à l’époque par le régime de Salazar !

Je me rappelle très bien avoir entendu le « Grândola Vila Morena » pendant la nuit du 25 avril. On était tous très excités, impossible de rester chez nous ! Le lendemain, on faisait notre première réunion de professeurs démocratique…

Puis le 25 avril 1974 est arrivé, quelque chose de très important pour moi parce que j’y ai participé de près. Le lendemain, je suis allée au lycée où je travaillais avec tous les collègues, sauf que ce n’était pas si facile que cela parce que la directrice de l’école où j’enseignais, était la maîtresse de Caetano, le successeur de Salazar, une sculptrice très connue et qu’évidemment, elle ne se laissait pas faire. On lui a demandé les clefs du coffre parce que c’était très important de savoir ce qu’elle avait fait, et on a découvert qu’elle allait tous nous dénoncer. Après, tout s’est bien passé, j’étais déléguée syndicale avec les autres et j’ai très vite participé à établir de nouvelles bases pour l’éducation national. Comme j’étais déjà titularisée, on m’a demandé de devenir formatrice d’autres enseignants. J’ai participé à l’introduction d’un nouveau système d’évaluation, je faisais beaucoup de choses très intéressantes, et très différentes de ce qui se faisait auparavant.

On m’a demandé de m’occuper de « La Telescola », la télévision scolaire du Portugal pour les régions les moins accessibles. Et comme à l’époque, il n’y avait qu’une chaine de télévision… c’était donc un poste clé !

À l’époque, comme il n’y avait pas assez de bâtiments d’école partout au Portugal, il y avait la télévision scolaire qui portait la formation à des endroits très reculés du Portugal, mais comme il n’y avait qu’une chaîne de télévision [rires] et que tout le monde la regardait, c’était quelque chose de très contrôlé par le gouvernement avant la révolution et donc un poste clé pour les personnes qui allaient coordonner les équipes, et faire les programmes. On m’a invité à coordonner l’équipe et les programmes liés aux sciences sociales et à l’histoire et je passais à la télé trois fois par semaine ! Par la suite, tout en continuant à la télé, j’ai vu qu’il y avait la possibilité de passer un concours pour venir faire un doctorat en France. Ils avaient besoin de personnes avec un très bon CV parce qu’il n’y avait pas de doctorat en science d’éducation et communication là-bas. Je suis sortie en première place de ce concours pour venir faire un doctorat ici à Bordeaux, c’était un accord entre le ministère de l’Éducation portugais, la fac de  Bordeaux II et le CRDP d’Aquitaine.

J’avais le choix entre la France et les États-Unis pour mon doctorat… Et moi j’ai dit, « Non, c’est la France » ! Donc c’était vraiment un choix de ma part. 

Nous sommes 10 personnes, tous avec une expérience professionnelle très forte et très engagés politiquement au niveau de la Gauche, qui avions tous produit des écrits, à être venus en France. Je me rappelle très bien être arrivée ici en voiture avec deux autres collègues dans un appartement déjà réservé pour nous. J’avais ma bourse jusqu’en 1985, et là j’ai dû rentrer à Porto, mais je pensais tout le temps à revenir ici, parce qu’entre-temps j’avais fait la connaissance de mon futur mari, directeur du CDDP de la Gironde. J’ai passé l’année 1986 à faire beaucoup d’allers-retours entre le Portugal, la fac et les cours que je devais assurer là-bas et la France pour terminer ma thèse. J’ai ensuite fait une chose au Portugal qui, je pense, est désormais très difficile à avoir, un permis illimité sans salaire, c’est-à-dire que si quelque chose se passe mal, je peux toujours revenir travailler là-bas au Portugal, c’est quelque chose qu’on attribue très rarement et le fait que je connaisse le ministre de l’époque m’a peut-être un peu aidée [rires], c’est donc comme ça que je suis venue en France. Par la suite, j’ai fait une formation à la fac de Troyes pour devenir experte en Pays Ibériques, formation continue très intéressante et j’ai travaillé par la suite à la Chambre de commerce de Bordeaux, d’abord dans le cadre de mon stage et après dans le cadre d’organisation d’actions internationales pendant un an. Puis j’ai travaillé pour un organisme privé de communication, ici à Bordeaux.

Au niveau de l’adaptation en France, il n’y a pas vraiment eu de soucis ?

Je ne pense pas avoir eu de problèmes, d’autant plus que je connaissais très bien la France avant de venir, ayant fait beaucoup de voyages dans ma jeunesse. Au départ, quand j’étais ici de 1982 à 1987, tous mes amis étaient français, je ne connaissais pas de Portugais. Les premiers contacts que j’ai eus avec des Portugais c’était dans le train que je prenais assez souvent pour aller à Porto, dans ma famille et c’était très intéressant, parce que c’est là pour la première fois que j’ai pris le temps de parler avec d’autres personnes immigrées comme moi ! Et même si nos histoires étaient très différentes, j’adorais parler avec eux, c’était fabuleux. À l’époque, on voyageait avec des valises pleines de cadeaux pour la famille à Noël. J’ai eu énormément de contacts avec des Portugais d’Aquitaine avec qui je suis devenue même très amie. Par la suite, on a fait appel à moi pour que je devienne formatrice au centre académique de Formation Continue : le CAFOC, dans lequel je travaille depuis une vingtaine d’années.

Et dans votre famille, comment ont-ils réagi, quand vous êtes partie ?

Je pense que ma mère craignait un peu que je ne revienne pas, mais mon frère par exemple avait vécu pendant deux ans en Californie ce qui était beaucoup plus loin que Bordeaux… on pouvait quand même revenir, chose que je fais assez souvent. Je suis l’aîné de sept enfants qui voyagent aussi beaucoup, mon père est décédé, mais ma mère attache toujours beaucoup d’importance à réunir tout le monde et tout le monde fait l’effort de se réunir.

Quand vous êtes venue en France, vous pensiez rester quelques années puis repartir au Portugal pour vous installer, fonder une famille…

Oui, quand je suis venue, je savais très bien que j’étais là pour trois-quatre ans, car j’étais obligée en tant que boursière de revenir ensuite au pays payer ma « dette ». C’était une certitude. C’est pour ça que c’était important pour moi d’avoir ce permis illimité, parce que je voulais me marier et essayer de vivre ici.

Et vous avez pensé repartir vivre là-bas, au Portugal ?

Non, mais l’idée de revenir au Portugal pour moi et aussi importante que les saisons, et je conçois mal ma vie ici pendant un an, quoi que je fasse, sans revenir au Portugal passer quelque temps, je le conçois très difficilement. Mais c’est très différent au fur et à mesure que les années passent, on me fait sentir que je ne suis plus tellement une vraie Portugaise…

Quand je vais au Portugal mon statut est très… particulier. On me fait sentir que je ne suis plus tellement une vraie Portugaise. On me dit, « Tu parles comme une immigrée et tu as un accent bizarre ! », et je réponds, « Oui je le suis et après ? Mais quel est le problème ? ».

Partager :

Interviewer : Anthony Etchart

Lieu : Talence

Date : 7 avril 2009

Les séquences (22)

Autres témoignages

Luciano CARVALHO
Portugais en Aquitaine

Luciano CARVALHO

José DA SILVA
Portugais en Aquitaine

José DA SILVA

Rosalina DE OLIVEIRA
Portugais en Aquitaine

Rosalina DE OLIVEIRA