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Félix Valdemar CAMARINHA

Félix Valdemar Camarinha
Portugais en Aquitaine
Né en 1956

Félix Valdemar CAMARINHA
Félix Valdemar CAMARINHA
/
Les séquences

Interviewer : Raymond Arnaud

Lieu : Lormont

Date : 6 mai 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès de l’immigration portugaise en Aquitaine, un entretien avec M. Félix Valdemar Camarinha a été enregistré le 6 mai 2009 à Lormont (33). Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

FÉLIX VALDEMAR CAMARINHA – Je suis né le 8 décembre 1956 dans un magnifique village du Portugal, Sedielos au cœur des vignes de Porto… Mon père a longtemps émigré en Allemagne, en France et ma mère travaillait la terre tout en s’occupant de la famille. Après mes études, je suis parti à Lisbonne travailler dans un restaurant Puis, je suis parti à l’armée et au retour, après un mariage qui n’a pas fonctionné, j’ai décidé de venir en France.

RAYMOND ARNAUD – Pourquoi n’avez-vous pas souhaité cultiver la terre et pourquoi être parti vers Lisbonne, qui était quand même assez loin de votre lieu de naissance ?

Aller à Lisbonne, c’était vraiment un rêve d’enfance. Je ne voyais pas franchement d’avenir dans le travail de la terre, mon père était obligé d’émigrer justement parce qu’il n’arrivait pas à nourrir sa famille, ma mère avait des difficultés et souvent il y avait des larmes parce que c’était très dur, et je me disais non, il me faut une autre vie. C’est pour ça que je suis parti à Lisbonne. Ma mère cultivait des pommes de terre, des tomates, juste pour les besoins de la famille. On n’avait pas de domaine et elle avait une expression que je trouve très jolie : « On avait quelques centimètres de terre », c’est ce qui nous permettait de manger finalement. Quand j’étais petit, au village, il n’y avait pas forcément d’argent, on s’échangeait les choses, c’était au moment où les gens étaient peut-être plus solidaires qu’aujourd’hui et je pense que c’est grâce à ça que tout le monde a réussi à survivre. On est une famille nombreuse et très proche les uns des autres. Au départ, on était 10 enfants et au bout de quelques années on s’est tous retrouvés à Bordeaux.

À Lisbonne, comment se passait votre vie ?

Lisbonne m’a profondément marqué. J’ai vécu notamment la révolution des Œillets en avril 1974, j’avais 17 ans et j’étais étudiant à ce moment-là. J’étais engagé dans une organisation clandestine parce qu’à l’époque on n’avait pas le droit de s’exprimer. On savait que quelque chose se préparait et un beau matin, le 25 avril, on a entendu à la radio qu’il fallait sortir, que quelque chose se passait dans l’armée, c’était la révolution ! Je n’avais jamais vu les êtres humains si proches, si solidaires, avoir juste envie de crier « Liberté ! ». C’était vraiment un moment extraordinaire. Je ne peux désormais plus dissocier Lisbonne de la révolution. Après l’armée, j’ai continué à travailler dans un restaurant, très bien fréquenté où j’ai beaucoup appris sur le genre humain. Tous les jours, j’avais l’occasion de côtoyer des gens de toutes les couches sociales.

Cette révolution m’a marqué profondément parce que je n’ai jamais vu des êtres humain si proche les uns des autres, si solidaires… Avoir envie de crier liberté !

J’ai aussi été candidat à la mairie de Lisbonne pour notre organisation politique, mais on n’a pas eu de résultats satisfaisants. Je suis rentré en politique à l’âge de 14 ans dans un mouvement d’étudiants au lycée, des gens que j’admirais pour leur courage, leur détermination et j’ai eu envie de faire la même chose. J’ai commencé à assister à quelques rencontres, forcément anonymes, parce que c’était interdit et petit à petit je me suis engagé dans ce mouvement. Au bout de quelques années, j’étais responsable d’un siège du mouvement et par la suite j’ai eu quelques engagements à la mairie de Lisbonne. Puis j’ai quitté la ville, pas forcément pour raison économique, car j’avais un emploi même si à l’époque on ne gagnait pas énormément d’argent, mais pour des raisons familiales, un divorce qui s’est très mal passé, et j’ai décidé de rejoindre ma famille tout le monde étant déjà à Bordeaux à l’époque, en février 1986.

Vous parliez français à ce moment-là ?

Quelques mots, j’ai eu la chance d’apprendre au lycée, mais j’avais très peur de parler français, on avait cette inquiétude d’être critiqué parce qu’on avait notre accent très spécifique. Je n’ai pas connu certaines situations que d’autres compatriotes ont connues étant arrivés brutalement. Moi, j’avais l’objectif de rejoindre mes parents, ma famille. Mais je n’avais pas non plus d’emploi et à ce moment-là, on ne faisait plus de cartes de séjour, j’étais donc dans une situation de semi-clandestinité. J’ai galéré pendant trois, quatre ans parce que même si j’avais le soutien de la famille, je ne faisais que de petits boulots à droite et à gauche, au noir, comme on disait, et je me suis posé plusieurs fois la question de savoir si je restais ou non. Nostalgie de Lisbonne toujours dans mon cœur ? Finalement, j’ai trouvé un travail dans l’agroalimentaire où je suis encore.

Pendant ces premières années à Bordeaux, est-ce que vous conserviez des liens avec le Portugal ?

Oui, le Portugal, pour nous c’est quelque chose de magique, d’unique, c’est un peu prétentieux, mais c’est vrai que le Portugal c’est un sentiment très fort, et j’avais ma fille qui était restée à Lisbonne. Alors j’ai essayé sur place, à Bordeaux, de continuer à parler du Portugal, à vivre la culture portugaise et les traditions et j’ai eu la chance quelque temps après mon arrivée à Bordeaux, de rentrer dans une radio locale, la Clé des ondes, qui m’a permis de m’exprimer en portugais. J’ai pu comme ça communiquer avec la communauté portugaise de la région et ça se fait encore aujourd’hui par le biais de l’association dont je suis responsable. J’ai aussi décidé d’aller un peu plus loin, en m’engageant dans la vie locale. Il faut bouger, il faut vraiment participer, on ne peut pas rester dans un pays sans s’intégrer, sans vraiment participer à la vie politique et sociale.

Et votre activité professionnelle ?

J’ai une activité professionnelle assez particulière, je travaille à Bègles, la capitale de la morue ! C’est une société familiale qui existe depuis cent cinquante ans. On ne travaille pas que la morue, on est connu justement comme sècherie, mais malheureusement ça se perd avec le temps. On était 150 personnes à mon arrivée et il y avait cinq ou six sécheries à l’époque dans le coin, mais il ne reste plus que la nôtre. La morue vient des pays froids, Norvège, Islande, mais la Chine s’y est mise aussi.

Revenons à votre activité sociale, à la radio la Clé des Ondes.

C’est une radio associative locale qui ouvre ses portes à toute communauté qui a envie de s’exprimer et c’est ce que fait la communauté portugaise depuis 25 ans. En fait, quand je suis arrivé, j’ai écouté la radio portugaise qui existait déjà. Il y avait des collègues qui parlaient portugais, mais de façon très approximative, c’était un massacre ! Choqué, j’ai pris le téléphone, je les ai appelés et ils m’ont dit textuellement de venir si j’étais capable de faire mieux ! C’est à partir de là que j’ai commencé à faire de la radio. À l’époque, la plupart du temps d’antenne était rempli avec du folklore, de la musique populaire. Mais au Portugal, on faisait autre chose et il y avait vraiment des groupes de très bonne qualité, il fallait réformer certaines choses, en apporter d’autres, la musique c’est bien, mais il y a aussi tout ce qui concerne l’information, la culture, les arts enfin il y a une multitude de choses que la radio nous permet justement de mettre en avant.

Je pense qu’aujourd’hui la radio est devenue, pour la communauté portugaise, plus qu’un espace de détente, c’est aussi un compagnon du quotidien, au niveau social, moral… la radio est devenue un allié du quotidien !

Il y a une très bonne entente qui existe entre la radio et les associations locales et je pense qu’aujourd’hui la radio est devenue pour la communauté portugaise un compagnon, quelque chose d’important dans le quotidien. Directeur de programmation, je suis aussi responsable de l’association CODIF (Communication et diffusion de la culture portugaise en gironde) qui réalise les émissions portugaises sur la Clé des Ondes. Mon rôle est de gérer notre équipe qui comprend 16 personnes pour huit heures de programmes hebdomadaires. Je me dois ici de citer le travail de Jacques Rivière, le père des émissions portugaises, qui a fait connaître Aristides de Sousa Mendes à tous les Portugais, un homme extraordinaire.

Quel est le lien de la radio, la Clé des Ondes, avec le lieu géographique où elle émet, en Gironde ?

Nous parlons du Portugal, mais aussi de la région où on est intégrés, l’information est beaucoup plus locale que concernant le Portugal, on laisse ça aux grandes chaînes, le SIC ou RDP internacional. Nous, on essaye de faire un travail plus local. 30 % des émissions sont en français et il y a vraiment une intention de communiquer avec d’autres communautés, c’est aussi une exigence du CSA et de la Clé des Ondes, parler français dans les émissions portugaises.

Est-ce que vous avez l’impression que la nouvelle génération d’origine portugaise a coupé certains de ses liens avec son pays d’origine ?

Moi, je dirais le contraire. Les jeunes Portugais ont trouvé une fierté que la première génération n’avait pas. C’est paradoxal quelque part parce que ces jeunes sont nés en France, sont imprégnés d’une culture française, mais tout d’un coup, ils ont envie de connaître leurs racines et tout ce qui concerne l’origine de leurs parents. Il y a quelques années de ça, la communauté portugaise avait presque honte d’assumer sa « portugalité », mais aujourd’hui nos enfants ont une autre vision, ils sont très fiers de la culture de leurs parents et ça me remplit d’émotion ! On voit de plus en plus de jeunes qui ont envie de bien parler le portugais et qui sont bilingues.

Vous-mêmes, vous revenez régulièrement au Portugal, quelles constatations faites-vous des différences entre la France et le Portugal ?

Le Portugal a évolué, ce n’est plus le pays que j’ai laissé il y a 20 ans. Je ne peux pas dire que tout va bien, il y a quelques secteurs comme la santé, par exemple, où il y a encore des problèmes, mais je ne peux que constater une évolution constante et chaque année, je trouve des choses différentes, de nouvelles routes, ça va dans le bon sens. Moi, j’aime bien bouger et récemment, j’étais candidat aux élections pour le conseil de Communauté Portugaise du grand Sud-Ouest avec mon ami Alvaro Pimenta qui a été élu et je suis son suppléant. Notre rôle est d’aller voir les difficultés de la communauté et les transmettre au gouvernement portugais. Le conseil est consultatif, c’est un organisme qui justement est là pour écouter et il y a vraiment des échanges qui se font, le contact est privilégié avec les autorités locales et le gouvernement portugais.  Je suis aussi impliqué à Mérignac dans un centre social où le quartier est difficile, plusieurs communautés se rencontrent et je suis souvent appelé à travailler dans des projets.

Quelles sont vos perspectives dans les mois ou années à venir ?

Ma situation est sûrement une situation semblable à la plupart des Portugais en France. Je travaille, je me suis marié avec une Française, et même si au départ l’idée était de rester quelque temps puis repartir, aujourd’hui, ce n’est pas si simple que ça et je ne pense pas que je retournerai vivre définitivement au Portugal, car je suis imprégné de la culture française et c’est donc difficilement envisageable. On a quand même une maison familiale à Sedielos, dans la vallée du Douro, magnifique région, patrimoine mondial, et on essaye d’y aller dès que l’on peut. Chacun de nous a une histoire qui fait partie de la mémoire de l’immigration. Je pense que tout le monde peut contribuer avec son vécu et c’est important cette mémoire pour nous, Portugais. C’est ici qu’on a construit notre avenir, on ne peut pas s’écarter de cette mémoire qui fait partie finalement de notre mémoire de l’immigration.

Il y a quelques années, la communauté portugaise avait presque honte d’assumer sa… « portugalité » ! Mais, aujourd’hui, pour nos enfants, c’est différent, ils sont très fiers de la culture de leurs parents.

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