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Isabel VINCENT (Partie 1)

Isabel Vincent
Portugaise en Aquitaine
Née en 1960

Isabel VINCENT (Partie 1)
Isabel VINCENT (Partie 1)
/
Les séquences

Interviewer : Raymond Arnaud

Lieu : Bordeaux (33)

Date : 1er avril 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès de l’immigration portugaise en Aquitaine, un entretien avec Mme Isabel Vincent a été enregistré le 1er avril 2009 à Bordeaux. Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

ISABEL VINCENT – Je suis née le 15 avril 1960 à Tondela, près de la ville de Viseu. Mon père était cordonnier à son compte et ma mère travaillait dans les propriétés de son père comme agricultrice. Je suis arrivée en France en octobre 1967, j’avais donc 7 ans et demi. Au Portugal, mon père avait construit sa maison, il travaillait d’ailleurs dans le sous-sol de sa maison et au village il y avait pas mal de ses copains qui travaillaient en France et qui lui avaient dit de venir, car il y avait beaucoup de travail. Comme mon père terminait sa maison, il s’est dit que ce serait un bon moyen de gagner de l’argent pour finir de la payer. Et c’est comme ça qu’il est arrivé en Charente en 1966 dans une petite ville, Roumazières, où il y avait plusieurs entreprises qui fabriquaient des tuiles.

Ma mère, un an après notre arrivée en France, elle a bien été obligée de se mettre au français puisqu’elle ne travaillait qu’avec des Françaises ! Mon père, en travaillant avec des Portugais, il a fait moins d’efforts tout de suite…

Comme il est venu par l’intermédiaire de son copain et que son employeur cherchait des Portugais, il avait des papiers et un contrat de travail. Je me rappelle être allée avec lui à Porto pour passer des visites médicales. J’ai retrouvé il y a quelques années, un petit papier du gouvernement français, un livret où il y avait toutes les explications sur l’organisation de la vie administrative en France. Entre les autorités françaises et portugaises, il y avait une espèce de coopération. Il est donc arrivé dans un logement collectif qui appartenait à l’entreprise. Les employés avaient une cuisine commune et chacun avait sa chambre. Quand il est parti, il ne parlait que le portugais, mais dans cette entreprise il y avait beaucoup de Portugais, alors ça ne posait pas trop de problèmes.

L’année suivante lorsque nous sommes arrivés avec mon frère et ma mère, celle-ci est allée aussi travailler dans cette entreprise, mais plutôt avec des Françaises et finalement, elle a parlé beaucoup plus vite le français que mon père. Ma mère est aussi venue de manière légale parce que c’était un rapprochement familial. Quand nous sommes arrivés, il se trouve que l’employeur avait une autre maison un peu plus loin dans la campagne, on est donc allé habiter dans ce hameau. Ce qui m’a surprise quand je suis arrivée c’est les volets, parce que là où j’habitais au Portugal il n’y avait pas de volets extérieurs, ils se trouvaient à l’intérieur de la maison. Quand j’ai vu cette maison toute fermée, j’ai cru que c’était un garage !

J’avais déjà fait un an d’école au Portugal, et donc là, comme je ne parlais pas du tout français, ils m’ont remis en CP dans la petite école du village. Je n’ai pas de souvenirs d’angoisse. Tout le monde venait me parler, et mon père m’avait dit : “Voilà, quand on te demande comment tu t’appelles, tu réponds”, et moi je répondais : “Maria Isabel De Oliveira Figueiredo Pereira”, alors ils m’appelaient Mariguitte parce qu’ils n’avaient rien compris…

Mon arrivée n’a pas été un vraiment un choc vu qu’on été à la campagne aussi en France. C’est pas comme si j’étais arrivée dans une grosse ville, comme Bordeaux par exemple.

RAYMOND ARNAUD – Est-ce que vous gardez un souvenir du Portugal de votre enfance ?

On vivait à la campagne, je garde des souvenirs de vie à la campagne, de balades dans les charrettes à bœufs de mon grand-père, on allait dans les champs ramasser les pommes de terre, chercher le maïs, il y avait les veillées… À Roumazières, l’arrivée n’a pas été un trop gros choc dans la mesure où c’était quand même la campagne, avec une vie assez proche de ma vie au Portugal, on allait faire du vélo juste à côté dans la forêt.

Est-ce que vous vous souvenez de l’adaptation de vos parents à la vie française ?

Mon père a eu un peu de mal avec le français. Quand ma mère est arrivée, elle n’a pas travaillé de suite et il y avait la voisine qui venait la chercher et lui offrait le café par exemple, ça s’est donc plutôt bien passé. Je pense que c’était dû au fait qu’on était quand même à la campagne, les gens étaient plus à l’aise, proches les uns des autres, les voisins se donnaient des légumes. On y est resté deux ou trois ans, après mon père est parti du côté de Royan, une sorte de mutation. Là-bas, c’était déjà un plus gros changement, on habitait une maison au bord de la mer, c’était un peu les vacances. Il y avait pas mal de vacanciers qui venaient l’été louer des maisons. On est resté là deux ans parce qu’après, l’entreprise a fermé. Et on est partis du côté de Saintes à Saint-Savinien.

Quel lien avez-vous gardé avec le Portugal à ce moment-là ?

On y allait tous les ans, aux vacances de mes parents, l’été pendant quatre semaines. Ensuite, mon père a trouvé du travail dans une usine de chaussures. C’était son premier métier, la chaussure. On est donc parti à Saint- Savinien où l’on a habité pendant deux ans une maison en pierre qui était immense puis, ensuite, dans une ville juste à côté, où mes parents étaient embauchés dans une entreprise de portes et fenêtres.

Cette cité, Formanoir à Pessac, c’était une vie nouvelle pour nous, on arrivait d’une ville de 2 000 habitants, où y’avait aucun immeuble… donc ça a été un peu dur.

On y est resté pas mal de temps, et là mon père s’est dit que comme j’étais en 3ème et qu’il n’y avait pas de lycée à Tonnay-Boutonne, il fallait que je parte à Saint-Jean-d’Angély et ça serait donc bien qu’on se rapproche d’une ville avec à la fois le lycée et l’université. Il a répondu à une offre dans le Sud- Ouest, pour une usine de chaussures. C’était à Talence, près de Bordeaux et c’est l’entreprise qui leur a trouvé un logement sur Saige Formanoir à Pessac. C’était la première fois qu’on allait habiter dans un appartement. On avait toujours habité dans une maison avec un jardin. Ça nous a fait un peu un choc cette cité, ce qui fait que tous les soirs on allait faire une balade à pied ou en vélo parce qu’on avait l’impression d’être un peu claustrophobes sans jardin et c’est comme ça, en se promenant, que mes parents ont fait la connaissance d’une famille portugaise.

Revenons aux voyages que vous faisiez chaque année pour les vacances au Portugal. Quelle perception aviez-vous dans votre jeunesse de votre région d’origine ?

J’adorais aller dans les champs en charrette à bœufs ou avec les copines à la rivière laver le linge, parce qu’on trouvait ça très drôle ! C’était les vacances donc je faisais des choses agréables que je ne faisais pas en France. Et puis il y a eu la révolution des œillets en 1974. J’avais 14 ans et ce dont je me souviens c’est qu’au village, il y avait des militaires qui venaient un peu évangéliser les habitants [rires]. Je me rappelle que mon grand-père me disait qu’ils venaient pour leur dire qu’il fallait voter… ils allaient même à l’école, ça m’avait beaucoup surpris, et puis quelque temps après, au village, il y avait des jeunes qui faisaient un peu n’importe quoi au nom de la liberté, sous prétexte qu’il n’y avait plus la dictature, il y avait une espèce d’amalgame.

En vacances au Portugal, j’adorais aller dans les champs, dans les charrettes à bœufs, ramasser du maïs ou aller laver le linge à la rivière. C’était un peu inédit vu qu’en France, y’avait plus du tout ça !

Vous avez donc terminé vos études secondaires au lycée Magendie. Est-ce que votre père travaillait toujours à l’usine de chaussures de Talence ?

Il y a travaillé jusqu’au moment où cette entreprise a fermé, c’était à l’époque où ils commençaient à aller s’installer dans les pays de l’Est, ils avaient proposé à mon père de partir à Strasbourg, mais il n’a pas voulu et il s’est inscrit au chômage. Puis mes parents ont travaillé au village universitaire, mon père comme jardinier et ma mère comme femme de ménage et ils ont terminé leur carrière là. Quant à moi, sur Saige, au centre d’animation, je deviens membre du conseil d’administration à 16 ans et c’est là que je découvre un peu comment fonctionnent les associations. À l’époque, il n’y avait pas trop de choses pour les jeunes, pas comme maintenant, ils organisaient des fêtes, des goûters, des activités de type travail manuel, j’adorais y aller faire des choses et comme a priori je devais être sérieuse, ils m’ont très vite recruté. Un jour, une animatrice de la ville me dit qu’il y a une association française qui voudrait organiser quelque chose sur le Portugal. J’ai donc rencontré d’autres jeunes portugais et on a participé à un spectacle “le Portugal d’hier, d’aujourd’hui et de demain”, qui se passait à Bellegrave sur trois scènes. Il y avait eu une veillée au maïs, de la danse, c’était formidable et c’est donc à ce moment-là qu’a germé l’idée de créer “O sol de Portugal”.

Et vous avez mené de pair une activité universitaire et associative ?

Au lycée Magendie, je voulais passer le concours de l’école nationale d’Aviation Civile à Toulouse et j’ai donc fait les démarches pour obtenir ma naturalisation que je n’ai malheureusement pas eue dans les temps pour passer le concours. J’ai finalement passé le bac et je suis allée à l’IUT mesures Physiques. Mais ça me gênait de continuer des études vis-à-vis de mes parents donc je suis partie travailler à Paris au laboratoire national de recherche de Thomson.

Pendant ce temps-là vous aviez laissé tomber l’association ?

En fait, je rentrais tous les week-ends à Bordeaux voir mon petit ami qui est devenu mon mari et je continuais à faire partie de l’association. En 1984, on a même participé à une grosse exposition qui a duré quatre mois « Les enfants de l’immigration » au centre Georges Pompidou et l’association a présenté deux spectacles là-bas. J’avais participé à la préparation et je dansais ! On peut dire que c’est comme ça que O Sol de Portugal s’est fait reconnaître finalement !

C’est à partir d’un spectacle, « Cadence », monté avec des jeunes portugais de la ville en 1979, qu’on a eu envie de poursuivre l’engagement et de créer une association : O Sol de Portugal.

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