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João Dinis LOURENÇO

João Dinis Lourenço
Portugais en Aquitaine
Né en 1944

João Dinis LOURENÇO
João Dinis LOURENÇO
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Les séquences

Interviewer : Raymond Arnaud

Lieu : Bordeaux

Date : 17 avril 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès de l’immigration portugaise en Aquitaine, un entretien avec M. Joao Dinis Lourenco a été enregistré le 17 avril 2009 à Bordeaux. Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

JOÃO DINIS LOURENÇO – Mon nom complet de baptême est João Dinis Lourenço. Je suis né au Portugal dans la commune de Mira, district de Coimbra, officiellement le 30 septembre 1944. En réalité, ma naissance a été une aventure, comme celle qui est arrivée un peu à tous les Portugais.

Je suis né le 4 septembre mais, à l’époque, pour se déplacer du village jusqu’à la commune, c’était toute une épopée. Et comme la foire dans la commune avait lieu le 30, mon père, agriculteur s’est déplacé pour vendre la vache, acheter le cochon et, accessoirement, il en a profité pour enregistrer l’enfant… Les enfants avaient une importance moindre dans la famille. On attribuait énormément de valeurs aux vaches, aux bœufs, aux cochons, aux poules, c’était essentiel ; mais les enfants n’étaient pas un motif de préoccupation. Le village s’appelle Seixo de Mira, Seixo appartient à la commune de Mira.

Mes parents n’étaient pas riches mais ils étaient tout de même propriétaires et tenaient à ce que je bénéficie d’une éducation formelle, différente de celle dont ils avaient eux-mêmes pu bénéficier. J’ai fait trois ans de lycée et j’ai eu mon bac. Puis en 1965, j’ai fait l’armée durant trois années et comme je m’en sortais bien, je n’ai pas été mobilisé dans la guerre coloniale. C’était du temps perdu pour moi. Mais il ne faut pas oublier que nous étions sous Salazar, et que nous n’avions pas le choix. Après l’armée, je me suis marié.

Au Portugal, on voulait profiter du mouvement de mai 68 en France pour revendiquer quelque chose. Mais, revendiquer en dictature, c’est pas toujours bien accepté…

Mon épouse était élève à l’université de Coimbra, en mathématiques. Nous étions en 1969, et c’est précisément dans cette université que des étudiants voulaient faire leur « Mai 68 », qui commençait à se propager au Portugal. J’étais aussi à Coimbra à ce moment-là, j’étais inscrit dans une université, que je n’ai pas fréquentée d’ailleurs, mais les emplois ne manquaient pas car des milliers de jeunes partaient dans les colonies. Puis le jour de Noël, j’ai rencontré un ancien consul qui était en place à Bordeaux. Nous avons beaucoup discuté et il m’a proposé de venir travailler au consulat et de m’inscrire en même temps à l’université. C’était en janvier 1970, et j’ignorais totalement à l’époque le drame de l’exode massif des Portugais qui fuyaient le pays et rentraient le plus souvent clandestinement en France. Alors il faut imaginer que le matin, il y avait 200, 300, 400 personnes, devant le consulat… alors pour les études… parfois, j’étais encore au bureau à 23 heures… Ma femme était restée au Portugal mais en 1970, six mois après la naissance de ma fille, elle est venue me rejoindre. Ma femme a commencé à travailler aussi au consulat et nous nous en sortions mieux avec deux salaires. Puis j’ai passé le concours pour devenir vice-consul.

RAYMOND ARNAUD – Vous n’êtes pas retournés au Portugal ?

Non, j’ai fait tout mon parcours ici et c’est tout à mon honneur. Nous avions comme tous, la nostalgie du pays et j’ai toujours gardé pour des questions professionnelles et personnelles, ma nationalité portugaise. Ma fille et mes petits-enfants vivent au Portugal alors nous y retournons plusieurs fois par an. Ainsi, nous gardons cette intimité avec le pays.

Comment a évolué la venue des Portugais après 1970 ?

Dans les années soixante-dix, la France a accueilli un million de Portugais. Dans les années 1880, après l’abolition de l’esclavage au Brésil, des milliers de Portugais sont partis au Brésil pour travailler et pour se substituer à la main-d’œuvre de l’esclavage. Après, dans les années 1950, le Portugal s’est rendu compte qu’il avait des colonies. Des milliers de Portugais sont alors partis parce qu’il fallait bien les peupler. Dans l’histoire du Portugal, l’exil est presque génétique ! Le Portugal n’arrive pas à garder ses concitoyens. Aujourd’hui, on se trouve dans la situation d’avoir une population de 12 millions d’habitants dont cinq millions vivent à l’étranger ! On a vécu des sacrifices, des tragédies, des drames mais on a su par notre courage, par notre travail et par notre honnêteté, dépasser tout cela et aujourd’hui, c’est une de mes satisfactions. Dans les années 60, les Portugais étaient agriculteurs, maçons, femmes de ménage, il n’y avait pas un médecin, il n’y avait pas un avocat, il n’y avait pas un entrepreneur. Aujourd’hui, nous sommes médecins, avocats, entre preneurs, parfois liés à l’administration française, et c’est ce qui me réjouit le plus. On a su en deux ou trois générations inverser cette tendance. Par ailleurs, il ne faut pas oublier les raisons des départs volontaires, dans l’histoire de l’émigration. Il y en a toujours trois. Religieuse d’abord, ce fut le cas des juifs ; politique ensuite, c’était surtout le cas des jeunes gens qui ne voulaient pas faire la guerre coloniale ; économique enfin, c’est ce qui arrive encore aujourd’hui.

Comment se passait votre travail à Bordeaux ?

Ce qui m’a marqué, dans toute ma carrière c’est surtout les drames et les tragédies parce que Bordeaux était un lieu de passage, très fréquenté par les touristes, les camionneurs et les émigrants. Et je me souviens en particulier des drames de la route, entre la frontière et Bordeaux, surtout les accidents sur la nationale 10. C’était un vrai cimetière. Je me souviens, à une époque, le maire de Belin-Béliet avait menacé de démissionner tellement qu’il y avait de morts dans sa commune. C’était des accidents qui arrivaient vraiment de toutes les façons les plus tragiques.

Cette nationale 10, c’est un cimetière. On l’a considérée à une certaine époque comme le cimetière des Portugais. Et c’était vrai !

Quelles sont les limites géographiques du consulat du Portugal à Bordeaux ?

Avec les dernières réformes, cela commence à la frontière française de Hendaye et jusqu’à Poitiers. Disons qu’il y a les départements de Gironde, les Landes, Pyrénées-Atlantiques, Dordogne, Charente, Charente-Maritime, Lot et Lot-et-Garonne, ce qui est considérable. La tendance aujourd’hui est de les regrouper et je pense qu’à l’avenir, il n’y aura plus que quatre consulats en France. Après, on va essayer de placer des consulats honoraires qui n’ont pas, bien évidemment, les mêmes fonctions ni les mêmes pouvoirs qu’un consulat de carrière.

Quelle a été l’évolution des immigrés portugais qui sont arrivés dans les années 70 ? Sont-ils restés en France, en Aquitaine ou sont-ils repartis au Portugal ?

Nombreux sont ceux qui sont arrivés ici en pensant qu’ils ne resteraient que quelques années. Mais en réalité, c’est le contraire qui s’est produit : ils ont été souvent rejoints par leur famille, de nouveaux enfants sont nés et ils ont pris racines sur cette terre. Les descendants ont perdu leurs attaches avec la réalité portugaise. Même si le pays a beaucoup changé, ils n’ont plus qu’un rapport distant avec la terre de leurs ancêtres.

La plupart de ceux qui ont émigré, ils ne repartent pas POUR le Portugal, ils vont AU Portugal ! Ils y restent un peu, mais, leur attache, c’est toujours en France !

La plupart des Portugais qui sont restés en France, ont-ils pris la nationalité française ?

La plupart sont restés Portugais, parce qu’ils n’avaient pas besoin d’être naturalisé français pour exercer la profession qu’ils souhaitaient. Mais c’est aussi une question administrative. Nous avons 80 000 Portugais à peu près qui dépendent de notre juridiction consulaire de Bordeaux. En effet, entre Portugais et luso-descendants, je pense qu’il y en a même un peu plus parce que dans nos archives quand un enfant naissait, la loi française stipulait : « Tout enfant né de parents étrangers n’est pas français ». De fait, dès que l’enfant naissait, les parents venaient au consulat pour l’enregistrer et lui attribuer la nationalité portugaise. S’ils ne le faisaient pas, l’enfant devenait apatride. Aujourd’hui, ils sont donc enregistrés à l’état civil portugais mais les Français les considèrent comme français. Il y a donc une dualité, et une marge considérable sur ce chiffre parce qu’il y a énormément de Portugais qui sont nés en France. Avec le recul de mes années passées au consulat, j’ai la satisfaction d’avoir vu l’évolution de cette émigration et de voir aujourd’hui des noms à connotation portugaise vraiment mêlés à la société française contemporaine. 

Je ressens une profonde satisfaction de voir des noms à connotation portugaise vraiment mêlés à la société française, et dans tous les domaines !

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