José Manuel Leite
Portugais en Aquitaine
Née en 1957
Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès de l’immigration portugaise en Aquitaine, un entretien avec M. José Manuel Leite a été enregistré le 21 octobre 2009 à Mérignac (33). Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.
JOSÉ LEITE – Je suis né le 30 décembre 1957 à Vila Nova de Gaia, site sur lequel se trouvent les caves de vin de Porto, dans la boulangerie de mon grand-père. Mon père avait eu plusieurs petits boulots avant qu’on vienne en France, mais il avait par contre une profession, graveur sculpteur, et on peut d’ailleurs voir à Porto, dans une église, un bénitier qu’il a sculpté. Mais il était surtout connu dans la région comme joueur de rink hockey. Il avait été entraîneur d’une équipe africaine, ayant passé un moment au Mozambique. Le Portugal était régulièrement champion du monde de rink hockey, sport très populaire chez nous. Ma maman, quant à elle, était toute jeunette quand on est arrivé ici. Elle était mère au foyer et s’occupait de ma sœur et moi. Ils s’étaient mariés avant que mon père ne parte en Afrique pour essayer de faire fortune.
On habitait donc chez ma grand-mère, qui était tavernière, et qui souhaitait que mon père reprenne le flambeau. Ma mère travaillait aussi à la taverne et à la boulangerie de mon grand-père un peu plus haut. Mais elle s’occupait surtout de nous, avec beaucoup d’inquiétude et d’interrogations, pensant qu’elle allait peut-être devoir nous élever plus ou moins seule. J’étais malheureusement de santé fragile, mais elle s’est adaptée. Mon père est ensuite revenu au Portugal en 1962 suite à une machination ourdie par ma grand-mère, qui lui avait fait croire qu’elle était agonisante ! Un de mes premiers souvenirs d’enfance est la mort de mon grand-père, l’odeur des larmes… Suite à ce décès, il y a eu un partage et mon père s’est dit, qu’avec cet argent, on allait partir en France.
Après deux longs jours de train, ma mère, assise sur les valises, m’a dit, « Tu sais, maintenant c’est ici qu’on va habiter »
Et ça me ramène à un second souvenir d’enfance assez précis, ce n’était pas si facile de quitter le Portugal à l’époque et mon père s’est débrouillé pour que l’on vienne en suivant l’équipe internationale de rink hockey qui venait à Pessac, en Gironde, ici. On est sortis avec un passeport touristique, que mes parents avaient pris soin de faire tamponner plusieurs fois lors de voyages en Espagne pour montrer que ce n’était pas inhabituel ! Une des sœurs de ma mère s’était mariée avec un monsieur qui travaillait dans la PIDE, la police secrète de Salazar, et qui ne nous aurait jamais laissé quitter le pays. Toute une atmosphère de film d’espionnage ! On est parti à l’aventure, mais en première classe, on était privilégiés. Les gens de l’équipe nous avaient déjà trouvé une petite maison du côté de Mérignac, et je revois ma mère assise sur les valises me disant : « Tu sais, maintenant, c’est ici qu’on va habiter. » Et moi, paraît-il, l’air triste je lui répondais : « Mais quoi je ne reverrai plus mamie ? » et là tout le monde se mit à pleurer.
BERNADETTE FERREIRA – Pourriez-vous nous décrire plus précisément votre arrivée en France et pourquoi c’était si difficile de quitter le Portugal à l’époque, dans les années soixante ?
Le Portugal était une dictature relativement fermée. Le voyage au Mozambique était, je pense, plus facile à entreprendre de façon administrative que la France ! Mon grand-père était venu en France brièvement comme maçon et en revenant au Portugal, il a fabriqué la petite maison qui abritait la taverne et qui leur a permis de vivre. C’est peut-être pour ça que mon père a choisi la France. Il y avait une atmosphère pesante au début, une impression de solitude, on allait se balader en famille avec mon petit frère, mais mes parents cachaient mal leur tristesse et on les surprenait parfois en train de pleurer…
Au Portugal, on avait une vie de village où tout le monde se connaissait, on était très actifs, et là on voyait mon père partir tôt le matin, rentrer le soir, on n’achetait pratiquement rien à part de la nourriture, c’était une vie un peu étriquée. Un autre monde à découvrir en même temps, j’étais immergé dans la vie d’adulte. Sans tonton ou grand-mère, on suivait mon père partout et on était projeté dans les difficultés des adultes. L’entrée à l’école s’est plutôt bien passée, la maîtresse était sympa et pleine de bonnes intentions, mais je ne comprenais pas grand-chose et j’ai redoublé mon CP alors que ma sœur sautait une classe, ayant déjà été initiée à l’alphabet. Mes parents nous avaient inscrits au catéchisme à Arlac, un nid de prêtres ouvriers communistes, pour s’intégrer…
Je pense que pour mon père, sans qu’il l’ait intellectualisé, nous inscrire au catéchisme c’était un facteur d’intégration. On fait partie de la même communauté, parce qu’on est chrétiens…
Mon père avait rapidement trouvé du travail comme graveur sculpteur, place Gavinies à Bordeaux ; il faisait surtout du mortuaire comme graveur. La plupart des Portugais à l’époque travaillaient comme maçons. Le rink hockey naturellement, ne lui rapportait rien mais c’était un autre facteur d’intégration. Pour mon père, ça a été plus facile que pour ma mère, il sortait beaucoup en mobylette alors qu’elle restait à la maison. On avait tous un accent à l’époque, mon père l’a gardé jusqu’à ses derniers jours [rires], mais ma mère a mis plus de temps à vraiment bien parler français.
Est-ce que vous avez eu dès votre arrivée des contacts avec la communauté portugaise, nombreuse à Bordeaux ?
Non, on l’a découverte plus tard. Les Portugais que l’on côtoyait venaient plutôt chez nous pour trouver du travail. J’ai un souvenir précis, revenant de classe de neige en CM2, arriver à la maison où il y avait plein de Portugais qui étaient venus voir mon père. Ils arrivaient souvent de la même région, du Nord-Est du Portugal. Et mon père ne pouvant pas leur trouver du travail, je revois la tête de ces hommes, souvent venus à pied, qui n’avaient d’autre solution que de repartir au Portugal…
Et ces personnes qui avaient l’adresse de votre père habitaient où ?
On habitait une toute petite maison, très mal chauffée, on avait quand même l’eau, une gazinière à mazout et il y avait un ensemble de dépendances en bois où ils logeaient, des fois deux ou trois mois, ce qui énervait mon père qui ne voulait pas qu’ils restent car ils travaillaient souvent au noir pour envoyer de l’argent à la famille restée au pays. Beaucoup ne savaient pas lire et mon père leur faisait les courriers, certains avaient vraiment besoin d’un sérieux coup de main.
Comment faisait-on pour obtenir des papiers dans les années soixante-dix ?
Je me souviens qu’on passait de l’argent par les employeurs qui en tiraient certainement profit. La France avait besoin de main-d’œuvre, il y avait donc des facilités administratives.
Et les Français, comment vous percevaient-ils ?
Je pense qu’ils nous percevaient bien, puisqu’on était les seuls à être installés, contrairement aux autres Portugais de passage. A l’école, j’ai été plutôt bien accueilli. Par contre je me rappelle, par exemple, qu’il y avait des enfants de gitans qui arrivaient et qui étaient plus stigmatisés que nous, on avait un côté exotique à l’époque ! Sur l’école on était les deux seuls Portugais, il fallait parler du Portugal, ça rappelait les vacances pour certains, c’était pas forcément désagréable, même si on sentait bien qu’il y avait une hiérarchie et qu’on était quand même un petit peu des semi-sauvages [rires].
À l’école, je me suis fait bien sûr traiter de sale portos, etc. Et j’ai fait parler les poings pour ces insultes ! Mais globalement, j’ai été très bien accueilli. Même s’il y avait une impression de misère…
Et vous souvenez-vous de la première fois où vous êtes revenu au Portugal ?
Assez bien, oui. Ma grand-mère est venue nous rejoindre en 1964 je crois et on est revenu ensemble en voiture, une 404, quel périple ! [rires]. On partait du Portugal et il fallait deux jours pour revenir en France, les trois quarts du village étaient là pour nous dire au revoir, c’était des larmes à n’en plus finir. Tout le monde pleurait dans la voiture, toute la journée, personne ne disait rien, le premier jour il n’y avait pas un bruit dans la bagnole, c’était impressionnant. Encore aujourd’hui, je ressens une forme de désarroi, je crois que j’ai toujours besoin d’y aller, il y a un côté pèlerinage. Jeune étudiant, il y a une période où je ne retrouvais plus du tout le Portugal que j’avais connu, un Portugal de village, où l’on marche beaucoup, où l’on croise la même personne trois fois dans la journée, où l’on trouve de l’ombre sous les tonnelles et une certaine forme de quiétude, on entend les bruits de fontaine… Tout a changé rapidement et je n’ai plus voulu y retourner. Puis j’ai commencé à visiter d’autre régions du Portugal et je me suis aperçu qu’il y avait toujours des atmosphères, de village, des gens, des regards qui correspondaient un petit peu à ce que moi j’avais connu du Portugal.
Et aujourd’hui, est-ce que vous avez des rapports avec les Portugais d’ici ?
Oui, ils sont très liés à ce que j’avais vécu dans mon enfance, c’est-à-dire que je retrouve des fois des gens qui sont passés par chez moi ou leurs enfants, leurs familles ou des gens qu’on a rencontrés quand j’étais plus jeune. Aujourd’hui, je me sens profondément portugais et totalement français… Je m’occupe aussi d’une association assez reconnue, Musiques De Nuit Diffusion, qui a pour objet de promouvoir les musiques du monde et qui a bientôt 30 ans. Au départ, c’était pour faire des concerts, amener de la musique là où les gens vivaient alors, à l’époque c’était à Eysines, dans les banlieues…
Des gens qui se regardent, qui se parlent… des gens curieux, des vieux qui parlent à des jeunes, des jeunes qui parlent à des vieux… Voilà, c’est peut-être ça « mon Portugal » à moi !
Quel regard portez-vous sur le Portugal aujourd’hui, la jeunesse, les femmes, les hommes ?
Il reste largement à définir en fonction des régions qu’on traverse. Les jeunes Portugais ressemblent à de jeunes Occidentaux, c’est plus du tout comme du temps où moi j’étais gamin, où on arrivait à Guarda et on voyait les gamins qui marchaient pieds nus, qui demandaient du pain… il y a désormais une certaine forme d’aisance, de volonté de consommation, mais je pense qu’il y a quand même toujours quelque chose qui est inhérent à ce que moi j’appellerais l’âme portugaise. La manière dont ils se réunissent, leur manière de rire ensemble, je trouve que ça ressemble encore au Portugal même si le Portugal a économiquement, géographiquement et culturellement beaucoup changé, c’est sûr. Je crois qu’il y a toujours une âme portugaise, il y a quelque chose de l’ordre du plaisir du verbe, de la nostalgie, d’une certaine forme de mélancolie, c’est profondément portugais comme les fêtes de villages en décembre autour d’une bière, ça a quelque chose de très populaire mais aussi de très aristocratique par le fado et la littérature, la poésie…
Est-ce que vous aimeriez que vos filles apprennent le portugais ?
Je leur parle du Portugal, elles me parlent du Portugal, c’est amusant car la plus petite dit qu’elle est portugaise à ses copains !
Est-ce qu’il y a quelque chose que vous souhaiteriez en particulier pour le Portugal et ses habitants, aujourd’hui ?
Beaucoup de choses… qu’ils retrouvent confiance dans leur potentiel, pour avoir à nouveau le calme, la sérénité qui faisaient quelque part le Portugal que j’ai connu.
Ce que je souhaite au Portugal… qu’ils retrouvent confiance pour retrouver du calme, de la sérénité… Qu’ils réalisent à quel point ils ont un certain nombre de spécificités et de richesses culturelles !