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Adem ORUC

Travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine

Adem ORUC
Adem ORUC
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Les séquences

Interviewer : Jasmine Gundogdu, Keziban Yildiz
Lieu : Lormont (33310)
Date : 20 avril 2017

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine, un entretien avec Mr Adem Oruc, avait été réalisé le 20 avril 2017, à Lormont (33310). Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

Je suis né à Körküler près de Yalvac, dans la province d’Isparta, à l’ouest de la Turquie. Après la fin du collège, je travaille dans la ferme familiale. Je suis berger, me levant à l’aurore chaque matin. Je travaille dans le bois de temps en temps ainsi que quelques mois en tant que couturier. En décembre 1971, quelques mois après la fin de mon service militaire, je me marie. En août 1972, un proche travaillant en France propose ma candidature à son employeur, producteur de champignons dans le sud-ouest, qui l’accepte deux mois plus tard.  

Le 22 septembre 1972, alors que je suis âgé de 23 ans et que mon épouse est enceinte de trois mois, je prends le train pour Paris. Durant les deux journées de ce trajet qui est sans escale, j’éprouve une intense tristesse de quitter ma famille . A Paris, je change de train pour me rendre à Angoulême. Rompu de fatigue, un sommeil profond me fait rater mon arrêt et le train me dépose à Bordeaux. Je dois prendre le train en sens inverse. Arrivé à Angoulême à plus de deux heures du matin, le directeur adjoint de l’entreprise, un homme âgé, m’attend. Je suis conduit au village de Sainte-Catherine. Je loge dans un bungalow rudimentaire : des matelas à même le sol. Je travaille 9 heures par jour, six jours sur sept, pour 5,45 francs de l’heure. Mon premier sentiment est le regret. Ma première difficulté est la langue : j’ignore comment acheter une baguette de pain ou un paquet de cigarettes. 

En avril 1974, je trouve un emploi chez un pépiniériste durant quatre mois. Puis j’obtiens un poste dans une usine de fabrication de pantoufles. Les conditions de travail sont très difficiles : j’ai en charge dix machines et je dois effectuer ma tâche en dix minutes sur chacune. Les engins montent jusqu’à 240 degrés : nous sommes en bras de chemise et en pantoufles. 

En 1979, je déménage dans un foyer Sonacotra à Eysines où j’ai trouvé un emploi de ferrailleur dans le bâtiment. Je participe à la construction de la Rocade ainsi que de la plupart des ponts de la ville. 

Je me rends chaque année en Turquie. Mes parents refusent que j’amène ma femme et mon fils en France. L’hiver 1980 est très rude : mon frère ainsi que trois autres habitants de notre village décèdent. Mon épouse tombe gravement malade et est proche de succomber à une bronchite. Je réside trois mois en Turquie et j’obtiens l’accord familial pour ramener mon épouse et mes deux fils alors âgés de 4 et 9 ans. En 1981, après avoir obtenu un logement social à Pessac, ma demande de regroupement familial est acceptée et je me rends en Turquie chercher ma famille. Mon épouse ne pèse alors plus que 33 kg et je la fais hospitaliser à Istanbul. Je dois la porter dans mes bras pour monter et descendre de l’avion qui nous conduit à Paris. Elle est ensuite hospitalisée plusieurs mois. Elle souffre d’un asthme sévère et d’allergies. 

En 1985, nous avons une petite fille, née prématurément en raison de la mauvaise santé de mon épouse. Elle décède une semaine plus tard en raison d’une insuffisance cardiaque. En 1988, nous avons un troisième fils. 

En 1991, je suis licencié et je travaille en intérim.

En 1996, mon fils aîné devient ouvrier en bâtiment et je suis recruté dans son entreprise. 

En 2000, j’ouvre un café quai de la Salinière, près du pont de Pierre, dans le centre-ville de Bordeaux. 

En 2009, mon épouse développe un cancer du côlon. La chirurgie lui permet de survivre. La même année, je vends mon café et retrouve un emploi dans l’entreprise de mon fils. Le 24 novembre 2014, mon épouse décède. 

Aujourd’hui, je suis retraité et je passe plusieurs mois par an en Turquie. Je me sens isolé en France où je vis éloigné de la ville. En Turquie, il suffit de sortir dans la rue pour rencontrer du monde. Le manque de mon pays est constant. Lorsque je dis à mes amis que même sa poussière et son odeur de bouse me manquent, que le passage des moutons le matin, et celui des bœufs le soir me mettent en joie, ils me prennent pour un fou : ils ne connaissent pas ce manque.

Si mon départ pour la France était à refaire, je ne serais pas parti. Si j’avais eu du travail en Turquie, je serais resté. Ce que la France m’a apporté c’est de l’argent. Mais mon salaire a été bien moins élevé que celui des travailleurs français. Ce que j’ai apporté à la France, c’est ma force de travail. A Bordeaux, j’ai participé à la construction des plus beaux immeubles, de la Grande Poste ou encore de Mériadeck. 

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Interviewer : Jasmine Gundogdu, Keziban Yildiz
Lieu : Lormont (33310)
Date : 20 avril 2017

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