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Huseyin OZTURK

Travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine

Huseyin OZTURK
Huseyin OZTURK
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Les séquences

Interviewer : Hurizet Gunder, Keziban Yildiz
Lieu : Cenon (33150)
Date : 18 mai 2017

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine, un entretien avec Mr Huseyin Ozturk, avait été réalisé le 18 mai 2017, à Cenon (33150). Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

Je suis né à Cigdeliköy près de Kirsehir, au centre de la Turquie. Nous sommes une fratrie de huit enfants : j’ai quatre frères et trois sœurs. Je vais à l’école durant cinq années puis je travaille dans la ferme familiale. En 1965, à l’âge de 14 ans, je rejoins la ville de Kirsehir pour travailler en tant que soudeur et tourneur-fraiseur. Le 23 janvier 1969, je pars faire mon service militaire à Kesan près d’Edirne. Le 1er novembre 1970, je retourne à mon village. Je me marie le 27 novembre. Je rejoins ensuite la ville de Kirsehir pour le travail.

Le 5 août 1971, j’ai une fille. Mon salaire est insuffisant pour nourrir ma famille. Le 11 septembre, alors que ma fille n’a que 36 jours et que je suis âgé d’à peine 23 ans, je décide de quitter mon pays. Avec l’argent prêté par des oncles, obtenu par la vente de leurs bijoux, je fais faire mon passeport et je rejoins clandestinement l’Allemagne en train en passant par la Yougoslavie. A la frontière, par chance je ne suis pas contrôlé par la police : je suis dans un wagon avec des hommes ivres pour la plupart et je suis très anxieux. Arrivé à Munich de nuit, je prends un dernier train pour Mannheim où deux de mes cousins résident. Je travaille en tant que soudeur pour la centrale nucléaire où est employé un de mes cousins. Un mois et demi plus tard, mon employeur n’obtient pas ma régularisation : je suis contraint de retourner en Turquie. 

Le 27 mai 1972, je tente à nouveau ma chance en Europe et je rejoins clandestinement l’Autriche. J’évite encore par chance les contrôles de police dans le train. Arrivé à Landeck, faute de place dans le foyer de travailleurs turcs, j’obtiens une chambre dans une maison du gérant. Recruté en tant que menuisier, je suis licencié au bout d’un mois : ce n’est pas mon métier et je n’ai aucun papier. 

En décembre 1972, avec quatre compatriotes, je gagne la France en voiture où j’ai appris que des régularisations avaient lieu. A Paris, j’offre mes services à une association culturelle turque : je sers le café et le thé. Je me retrouve rapidement sans ressources et je dors six jours à la rue. Puis, des compatriotes me proposent de me rendre à Bordeaux où une large communauté turque est implantée. Je loge chez des ferrailleurs à Bruges. Apprenant qu’un sous-préfet d’origine turque a été délégué à Tarbes, je m’y rends quatre jours plus tard. J’obtiens un titre de séjour et un contrat de travail de six mois dans le bâtiment : je suis grutier. Deux mois après la fin de mon contrat, je retourne à Bordeaux où je trouve un emploi de ferrailleur. Je travaille pour la Société Bordelaise d’Armature à Bruges durant trois ans, puis pour une entreprise de bâtiment à Martillac, chargée du bétonnement de la route nationale 113 reliant Bordeaux à Toulouse.

Le 1er mars 1976, je suis recruté par l’usine Ford en tant que tourneur opérateur-régleur. Afin d’influer en faveur des travailleurs turcs, je me syndique : sur les quarante-deux turcs travaillant chez Ford, trente sont recrutés par mon biais. Je maîtrise rapidement la langue française. Et et deviens le traducteur de nombreux turcs qui frappent à ma porte. Je suis leur accompagnateur lors de démarches administratives. Je suis un médiateur en cas de conflits. Je tisse des liens avec les bailleurs sociaux, les banques, la mairie, la préfecture et le consulat. Je me porte garant pour les crédits et j’en paye certains. En une année, trois millions de francs seront distribués ! Je fais venir de nombreux turcs de Turquie, en particulier ma famille : les Oztürk représentent aujourd’hui une trentaine de familles soit 182 personnes. Avec les années, on me surnomme “le père des turcs”. 

Le 29 août 1976, cinq mois après mon embauche chez Ford, je retourne en Turquie. Je vois pour la première fois mon fils de 17 mois : il marche déjà ! Mes enfants grandissent sans moi, je décide de les ramener en France. Mes parents s’opposent au départ de ma famille : je promets de les dédommager financièrement. Durant dix ans j’enverrai la moitié de mon salaire chaque mois. 

Nous rentrons clandestinement en France. J’ai loué un appartement Domofrance dans la Cité Carriet à Lormont, surnommée la “petite Istanbul”. Arrivée au milieu de la nuit, à 9 heures mon épouse obtient son récépissé de demande de titre de séjour. Deux mois plus tard, elle obtient une carte de résident de dix ans. Nous aurons ensuite deux autres fils et une fille. 

En 1983, notre fille âgée de trois ans décède, fauchée par une voiture. Je souhaite ramener son corps en Turquie : j’obtiens l’autorisation du consulat turc de Marseille. En voiture, je traverse l’Italie et je suis bloqué en Yougoslavie, au niveau de la Bulgarie. Je suis contraint de retourner en Italie et de faire rapatrier le corps par avion. Le coût est exorbitant : j’organise une collecte dans ma communauté et j’obtiens 35 000 francs. A mon retour en France, je décide de créer le Fonds funèbre turc. Aujourd’hui, l’adhésion est de 10 euros et le rapatriement est entièrement pris en charge. 

Le 1er février 1989, nous déménageons à Cenon : je fais construire une maison. Deux ans plus tard, en 1991, l’ensemble de ma famille obtient la nationalité française. 

Aujourd’hui, j’ai soixante-treize ans et je suis à la retraite depuis treize ans, en France et en Turquie. Cumulée à celle de ma femme, ma pension est de mille euros par mois. Je me rends plusieurs mois par an en Turquie : parfois deux, parfois dix.

Si j’avais eu le choix de rester en Turquie, je serais resté. Si j’avais eu un travail pour nourrir ma famille, je ne serais pas parti. Avoir un pays, avoir des attaches, c’est très important. Ce que la France m’a apporté, c’est deux maisons, une en France et une en Turquie. Et ce que j’ai apporté en France, c’est mon travail : trente-deux ans chez Ford. 

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