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Altun ALAGOZ

Travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine

Altun ALAGOZ
Altun ALAGOZ
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Les séquences

Interviewer : Hurizet Günder, Keziban Yildiz
Lieu : Cenon
Date : 24 avril 2018

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine, un entretien avec Mme Altun Alagoz, avait été réalisé le 24 avril 2018, à Cenon (33150). Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

Je suis originaire de la ville d’Hinis, près d’Erzurum. Je suis allée à l’école jusqu’à la fin du primaire. A 18 ans, je me fiance. 

En 1980, j’ai 20 ans et je me marie. La même année, mon époux rejoint la France pour le travail et je m’installe chez mes beaux-parents. 

En 1984, je reçois au courrier l’acceptation de la demande de regroupement familial de mon époux. Je suis heureuse : je vais rejoindre mon mari. Et je suis désespérée : je quitte ma famille, mes parents et mes neuf frères et sœurs. “C’était une joie cassée.” 

Mon mari vient me chercher en voiture. Son frère et son épouse nous accompagnent. Un trajet de 5 jours jusqu’à Brest, trop de temps pour réfléchir à ce que l’on quitte. Je prends des cours de français intensifs après ma première grossesse. Une question de survie : je ne peux communiquer avec personne, que ce soit le médecin, la pharmacienne ou la voisine. Lorsque je fais mes courses, j’ignore les prix. Un jour, j’achète pour six cent francs d’assiettes “Arcopal” : je me dis qu’il est urgent d’apprendre à lire. Ma voisine m’aide dans mon apprentissage. Le soir, elle pose des objets sur la table et j’apprends leur appellation française.

Puis, je déménage dans un quartier francophone et mon français se perfectionne rapidement. J’ai mes premiers chocs culturels : à l’hôpital un médecin à la couleur de peau noire est en charge de ma visite, je prends mon dossier et m’enfuie ; dans un ascenseur une femme porte un petit chien dans ses bras, je les fixe abasourdie : pour moi les animaux restent à terre.  Je communique par lettres toutes les deux semaines avec ma famille. Chaque soir, j’écris en pleurant. Je ferme la lettre. Puis la rouvre : j’ai oublié un détail. Je la recommence, encore et encore. A l’arrivée de mes courriers, ma mère – qui ne sait ni lire ni écrire – attend qu’un de ses enfants les lui lise. Elle conserve ma lettre sous son oreiller jusqu’à la prochaine.

En 1988, avec mon mari et nos deux premiers garçons, nous retournons en Turquie visiter nos familles. J’arrive chargée de cadeaux : des tissus pour les femmes, des jouets pour les enfants et je pleure d’émotion. J’apprends la mort de mon père. J’ai ensuite deux nouveaux petits garçons. Mon mari rencontre des problèmes de santé et ne peut plus travailler. Pour l’aider, je cherche du travail. Je suis recrutée en tant que surveillante dans une école primaire. Puis je travaille durant sept années dans la culture de fraises. Mes beaux-frères sont contre : une femme de doit pas travailler. Je ne les écoute pas. Je suis heureuse parmi ce groupe de femmes turques cueilleuses de fraises : nous parlons et chantons pour oublier la fatigue. J’ai un cinquième enfant et je continue à travailler. Ma voisine, une retraitée d’origine portugaise, garde mes enfants. 

Je suis aussi une bénévole active au centre social. Je participe aux ateliers et aux repas interculturels. Durant, cinq années consécutives, je cuis 500 lahmacuns, des pizzas turques, pour le repas annuel. Nous nous rendons tous les deux ans en Turquie et nous achetons une maison. La distance nous éloigne de nos proches et rend difficile les relations étroites. Mes parents et un de mes frères décèdent, et je ne peux me rendre à leurs enterrement. Je me dis souvent “Et si…”. Oui, si j’avais eu les moyens, je serais rester vivre en Turquie, j’aurais travaillé aux champs et mangé du yaourt et des oignons blancs devant les portes des maisons avec mes amies ouvrières. 

En 2004, mon fils aîné se marie à une jeune-femme de Turquie et s’installe à Bordeaux où il a trouvé du travail.  En 2006, je le rejoins avec mon mari et ma fille : c’est une déchirure de quitter ma belle-soeur, mes voisins, mes amis. Mais ma raison de vivre reste mes enfants. Mes trois autres fils se marient respectivement en 2010, 2012 et 2014.

Aujourd’hui, après trente-cinq ans en France, je suis retraitée. Je n’ai pas la nationalité française : il me manque des documents demandés par la préfecture. Mes enfants ont la nationalité : c’est le plus important. 

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Interviewer : Hurizet Günder, Keziban Yildiz
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