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Oktay BOR

Travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine

Oktay BOR
Oktay BOR
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Les séquences

Interviewer : Hürizet Gunder, Keziban Yildiz
Lieu : Terrasson (24120)
Date : 5 avril 2021

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine, un entretien avec Mr Oktay Bor, avait été réalisé le 5 avril 2021, à Terrasson (24120). Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

Je suis né en 1968 à Sarikaya dans la province de Yozgat. En 1971, alors âgé de quatre ans, je rejoins la France en avion avec ma mère, ma grande sœur et mon frère cadet. Après avoir atterri à Paris, nous prenons le train jusqu’à Brive en Corrèze. Mon père loue alors une chambre de bonne sous les toits d’un immeuble dans la ville d’Objat. A notre arrivée en soirée, je suis surpris : tout est éclairé alors qu’en Turquie mon village avait à peine l’électricité. Un mois plus tard, nous nous installons pour une année à Varetz puis nous rejoignons Allassac où mon père trouve un poste dans une usine de salaison. 

A l’école, nous sommes les seuls élèves étrangers et nous ne parlons pas français. Nous attisons la curiosité : tous nous interrogent, nous proposent leur aide, nous guident ou nous prêtent leurs affaires… Notre voisinage est tout aussi accueillant. Nos voisins les plus proches sont un couple de personnes âgées que nous surnommons rapidement “Papie et Mamie”. En parallèle, je deviens l’interprète de mon père ainsi que de nombreux membres de la communauté turque : j’en éprouve à la fois de la fierté et de la honte. 

Deux ans plus tard, nous déménageons à Terrasson où mon père trouve un poste à la SOCAT (Société d’Outillage et de Caoutchouc pour Application Technique), après la fermeture de son usine. Nous résidons dans la cité HLM “La Borie Basse”. J’intègre le collège Jules Ferry de Terrasson et rencontre des difficultés d’apprentissage. Mes parents s’y intéressent peu et ne se rendent à aucune réunion. Après mes devoirs, je dois filer aider ma mère dans la casse de noix : elle énoisette chaque jour depuis notre arrivée en France. Mes parents épargnent chaque billet : nous sommes habillés au Secours Populaire. En parallèle, lors de la création de l’école turque de Terrasson, je participe à sa mise en place, je me rends à ses cours hebdomadaires et à ses kermesses. 

En raison de mon faible niveau scolaire, je m’oriente vers un CAP en mécanique. Le lycée de Thiviers accepte mon dossier. A mon arrivée, je découvre qu’il ne s’agit pas de mécanique automobile mais de mécanique générale : je vais être formé au métier de tourneur-fraiseur. J’hésite à abandonner puis tente finalement cette voie. Je suis en internat et ne rentre que le week-end chez mes parents. Les trajets sont trop longs : je prends le train jusqu’à Périgueux puis celui en direction de Limoges. J’abandonne ma scolarisation à Thiviers au bout d’un an et intègre en redoublant le lycée Georges Cabanis en section soudure. 

En 1984, alors âgé de 15 ans, mon père souhaite me marier : il me propose en mariage, une cousine, la fille d’un de ses oncles, âgée de onze de plus que moi. Fille unique, il veut que l’héritage reste dans la famille. Je refuse catégoriquement : je n’ai que 15 ans ! De plus, il s’agit d’une cousine que je connais depuis mon enfance et que je surnomme “Abla”, “grande soeur”. Après plusieurs jours passés sous pression, avec la promesse de mon père qu’aucun mariage ne sera organisé, je pars seul avec ma mère en Turquie pour les vacances. Quelques jours après notre arrivée, avec la cousine en question, nous nous disputons. Et nos deux mères se mettent à crier plus fort que nous ! Le mariage est annulé. Mais la pression à mon égard continue : ma grand-mère me propose une nouvelle prétendante. Je décide de choisir moi-même ma fiancée. Je jette le nom au hasard d’une jeune femme turque résidant à Terrasson : Hatice. Nos deux familles se fréquentent en France ; ma mère acquiesce.  A mon retour, je suis contraint de me fiancer. Si je refuse, je serai exclu de la famille et livré à moi-même.  Nous restons fiancés deux ans. J’arrête mes études et je trouve un emploi dans une scierie : je suis le seul de mon âge de la région à être fiancé. 

En 1988, âgé de 17 ans, mon mariage est organisé en Turquie : Hatice est aussi originaire de Yozgat. Nous ne sommes restés qu’une semaine, le temps des vacances. De retour en France, nous logeons chez mes parents. Je ne change pas mon mode de vie : je sors avec mes amis, en toute liberté. Mon épouse reste avec mes parents et travaille en tant qu’interprète pour le Conseil Général. 

En 1990, deux ans après notre mariage, Hatice dépose des demandes de logement social. Nous déménageons dans un petit appartement, que nous meublons d’occasion. Je n’ai aucune économie : mon salaire était donné à mon père et la dot de mon épouse est restée en Turquie. Après une formation en soudure à Périgueux, je trouve un nouveau poste. En 1991, notre fille, Sibel, naît. 

En 1992, j’ai un grave accident de vélo qui entraîne l’ablation d’un rein et de la rate. Je passe mon permis poids lourd et je deviens routier. Et je le serai durant plus de trente ans

En 2005, nous avons un fils que nous prénommons Sami, comme mon père. 

Ma fille, après avoir obtenu une BTS Sanitaire et social se marie avec un turc résidant dans le Doubs, à la frontière suisse. 

En 2019, je quitte mon entreprise pour travailler en intérim : je suis libre de mes trajets et j’ai plus de temps pour ma famille. 

A la question, ce que j’ai apporté à la France, je répondrais que c’est elle qui m’a tout apporté. Je suis arrivé à 4 ans : elle est tout ce que je connais. Elle m’a permis de vivre. J’ai la double nationalité : je me sens chez moi ici et j’ai le droit de donner mon avis politique. Inversement, lorsque je retourne en Turquie, je me sens comme un touriste : je ne connais presque plus personne, ne visite que quelques jours ma famille et réside ensuite à l’hôtel. La question se pose d’ailleurs à mon décès : si je choisis le carré musulman de Terrasson, mes enfants et petits-enfants pourront prier sur ma tombe. Si mon corps est rapatrié en Turquie, qui viendra ?

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