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Mustafa CETINEL

Travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine

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Mustafa CETINEL
Mustafa CETINEL
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Les séquences

Interviewer : Hürizet Gunder, Keziban Yildiz
Lieu : Terrasson (24120)
Date : 5 avril 2021

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine, un entretien avec Mr Mustafa Cetinel, avait été réalisé le 5 avril 2021, à Terrasson (24120). Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

Je suis né dans le village montagneux de Bektas, près de la ville de Boyabat, dans le département de Sinop. Nous sommes une fratrie de six : j’ai une grande sœur et trois frères dont je suis l’avant-dernier. Après l’école primaire, je deviens apprenti menuisier. Je trouve ensuite un emploi à Boyabat. L’année de mes vingt-et-un ans, mon patron ferme son entreprise pour s’installer en Allemagne. Sans emploi, je rejoins Istanbul. Puis, je réalise mon service militaire à Van. A mon retour, âgé de vingt-trois ans, je décide de postuler pour un emploi de menuisier en Europe. Mon objectif est de rejoindre mon ancien patron en Allemagne. Une réponse positive m’est donnée l’année suivante par la France. Je quitte ma famille et je prends un bus pour Istanbul où un train m’attend à Sirkeci. Nous sommes quatre à rejoindre la même entreprise en France, celle de Jean-Pierre Costes à Périgueux. Le voyage dure trois jours jusqu’à Paris, après une escale à Zagreb en Yougoslavie. De Paris nous prenons un train pour Limoges où nous ratons le train suivant : nous arrivons à Périgueux en pleine nuit. Aidés par des passants, nous trouvons seuls le chemin du foyer pour jeunes travailleurs. On nous offre un repas sommaire et une chambre pour trois. Notre travail commence dès le lendemain. Mes difficultés pour communiquer me pèsent : je suis des cours de français chaque soir auprès d’un formateur du foyer. J’obtiens ensuite un logement individuel à Périgueux. 

En 1975, je retourne pour la première fois en Turquie, en voiture avec un ami. Sur les conseils de mon ancien patron, une jeune femme de dix-huit ans m’est donnée en fiançailles. Nous nous marions en quelques jours et j’organise son retour en France dans la clandestinité : elle est originaire de la ville et ne pourra pas vivre chez mes parents au village dans l’attente du regroupement familial. Un ami nous conduit jusqu’en Allemagne en minibus, puis nous prenons un train à Munich pour gagner la France. De Paris nous rejoignons Limoges où nous sommes séparés : je n’arrive pas à soulever nos deux lourdes valises et mon épouse part seule dans le train avec une des valises ! Je reste à quai avec l’autre. La police nous fait nous retrouver à l’arrêt suivant : ils sont sidérés par le poids de nos bagages où ils découvrent des kilos de viande et de riz. La famille de mon épouse craignait qu’elle n’en trouve pas en France. 

Après un mois à peine, notre demande de logement social est accordée. Un an plus tard, nous déménageons à Terrasson où j’ai trouvé un emploi dans la construction de charnières automobiles au sein de l’usine de la Paumellerie électrique. J’y travaille près de neuf ans. 

Nous avons trois enfants, deux garçons et une fille. Ma femme suit avec assiduité des cours de français et soutient nos enfants dans leur scolarité. Elle travaille en tant que saisonnière au ramassage des fraises, framboises et pommes. Elle pratique également pendant près de vingt ans la casse de noix à la maison. Nos enfants réalisent tous des études supérieures à Bordeaux et à Brive : nous sommes la première famille à acheter un ordinateur alors qu’ils sont au lycée. Nous sommes aussi les premiers à laisser leur fille quitter le foyer pour réaliser des études dans une grande ville. 

En 1986, l’usine de la Paumellerie ferme ses portes. Je suis recruté au Château du Fraysse, occupé par la famille Saint-Exupéry. Je suis en charge de son entretien durant quatre ans. Je trouve ensuite un emploi chez une antiquaire pour laquelle je travaillerai durant dix-huit ans dans la restauration de meubles. Je participe activement à la création de la mosquée de Terrasson et à sa vie associative. 

Aujourd’hui, mon fis aîné est ingénieur en informatique à Bordeaux. Ma fille, après avoir étudié à l’université de Bordeaux, est professeure d’histoire-géographie à Paris. Mon fils cadet est également ingénieur à Terrasson. Les deux aînés sont mariés et nous avons huit petits-enfants. Depuis huit ans, je suis retraité, ainsi que mon épouse, en France et en Turquie. Nous avons obtenu la nationalité française il y a dix ans, après l’imposition du visa Schengen. Nous résidons deux à trois mois par an en Turquie où nous avons acheté une maison à Boyabat ainsi qu’un terrain à Istanbul où nous avons fait construire. Nous ne restons pas davantage malgré la présence de notre famille : nous nous sentons étrangers en notre terre. A Terrasson, nous sommes loin de nos enfants et petits-enfants. Ma femme leur rend visite. Je m’occupe d’un immense jardin-potager que nous louons et qui occupe mes mains. 

Si mon immigration en France était à refaire, je ne la referais pas à notre époque : les conditions de vie ont changé et la différence culturelle reste un poids. La France m’a apporté le travail et l’argent. Et j’ai contribué à l’économie de la France. Mais soyons honnête, “nous sommes en France depuis plus de quarante-cinq, cette vie nous a donc plu, sinon nous ne serions pas restés !”

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Interviewer : Hürizet Gunder, Keziban Yildiz
Lieu : Terrasson (24120)
Date : 5 avril 2021

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