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Mehmet DUVARCI

Travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine

Mehmet DUVARCI
Mehmet DUVARCI
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Les séquences

Interviewer : Hürizet Gunder, Keziban Yildiz
Lieu : Lormont (33310)
Date : 24 octobre 2017

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine, un entretien avec Mr Mehmet Duvarci, avait été réalisé le 24 octobre 2017, à Lormont (33310). Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

DUVARCI Mehmet – Résumé

Je suis originaire du village d’Arpaç, entre les villes de Havsa et Edirne, à la pointe Est de la Turquie. Mon père est bulgare et a rejoint la Turquie à l’aĝe de six ans. Ma mère est d’origine albanaise et est née en Turquie. En 1971, mon père rejoint la France pour le travail. Il est menuisier et a trouvé un emploi dans la confection de parquets dans la commune de Belvès, près de Périgueux. A la fin du collège, je prépare mon départ pour le rejoindre. Ma mère n’y est pas favorable mais ne veut pas s’opposer à la volonté de mon père. Le 27 novembre 1973, je prends un avion à Istanbul pour Paris, puis un train pour Périgueux. J’ai 16 ans. La séparation avec ma famille est difficile mais “l’enthousiasme de venir en Europe a tout emporté.” Je n’ai pas peur d’aller dans un pays qui m’est inconnu car mon père est là. A mon arrivée, malgré mon absence de visa, la police me laisse passer : mon père est derrière la vitre qui nous sépare. 

Je travaille clandestinement à ses côtés durant trois mois puis je suis déclaré : le 15 février 1974, je reçois mon premier titre de séjour alors que je ne suis pas encore majeur. Nous sommes très proches avec mon père : nous travaillons ensemble et nous vivons ensemble durant six mois. Puis il rejoint ensuite Metz où il a trouvé un nouvel emploi. De mon côté, je suis recruté dans l’entreprise de fabrication de parquet Lalande, près de Bergerac. La communication avec ma famille en Turquie est compliquée : les lettres mettent quinze jours à arriver. Nous n’avons de leurs nouvelles qu’une fois par mois. Je ressens l’isolement d’autant plus que peu de compatriotes turcs vivent dans la région. 

En juillet 1975, je déménage à Bordeaux. La communauté turque est plus importante : je me rends chaque semaine en mobylette au bar Castan où nous avons pris l’habitude de nous retrouver. J’obtiens un travail dans une fonderie près de La Brède, puis dans une usine de parpaing à Mérignac. J’apprends rapidement le français et je suis une formation d’un an dans la conduite de bulldozers. 

En 1978, je demande en mariage une amie d’enfance avec laquelle je corresponds depuis sept ans. Sa famille me présente une dote exorbitante : 20 000 livres turques, 100 kilos de coton, de l’or… Je refuse et je repars en France. L’année suivante, je retourne en Turquie et me cache plusieurs jours avec mon amie. La famille accepte alors notre décision : nous nous marions le 31 mai 1979. En 1980, mon épouse arrive en France par le regroupement familial.

L’année suivante, mon dos se brise : le médecin du travail m’interdit la conduite d’engin de chantier. Je change de poste pour un emploi dans une usine de poutres de béton à Martillac. 

En 1983, après la naissance de nos deux premiers garçons, nous déménageons dans un HLM à Villenave-d’Ornon. Nous avons ensuite une fille. 

Nous allons en Turquie tous les ans. “Nous sommes en famille. La seule chose qui change en France c’est le sentiment de manque : en Turquie la famille est là.”

En 1986, mon corps est à l’arrêt : déclaré inapte au travail, je reçois une pension d’invalidité. Refusant l’inactivité, je choisis la reconversion : je suis un CAP montage-câblage en électricité. Je ne trouverai jamais de travail.

Aujourd’hui, je suis retraité. J’ai trois enfants et neuf petits-enfants. Je rallonge pourtant mes séjours en Turquie : le manque est puissant. Parfois, je rêve que j’y vis. Même après bientôt cinquante ans en France, mon pays natal m’appelle. 

Si mon immigration pour la France était à refaire, je ne le referais pas. A l’époque de mon départ, je ne réalisais pas la souffrance liée à la séparation. Ce n’est que des années après que j’ai pris conscience de l’importance de cette coupure. A la question sur ce que la France m’a apporté, la réponse serait ce qu’elle a emporté de moi. Elle m’a apporté le travail, le réseau, une belle vie, des enfants et des petits-enfants. Elle m’a aussi offert la nostalgie et le manque. Des sentiments indescriptibles qui restent en vous. Et qui s’accroissent en vieillissant. A la France, j’ai donné ma vie, 47 ans d’efforts. Et fait naître enfants et petits enfants.

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Interviewer : Hürizet Gunder, Keziban Yildiz
Lieu : Lormont (33310)
Date : 24 octobre 2017

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