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Hurizet GUNDER

Travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine

Hurizet GUNDER
Hurizet GUNDER
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Les séquences

Interviewer : Emmanuelle Dubois, Johan Hiriart
Lieu : Cenon (33150)
Date : 6 mars 2019

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine, un entretien avec Mme Hurizet Gunder, avait été réalisé le 6 mars 2019, à Cenon (33150). Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

Je suis née le 23 mai 1973 dans le village de Süngülü Köyü près de Posof. Mon prénom m’a été donné par mon grand-père paternel : c’était celui de sa mère. Il signifie “liberté” en turc. En 1974, mon père travaille à Trabzon, près de la Mer Noire et je vis chez mes grands-parents paternels avec ma mère, ma tante et ses trois fils. Mon père part travailler en France. Il déclare dédier son départ à sa fille. Après le décès de sa mère, il dépose une demande de regroupement familial. En 1978, j’ai un petit frère. 

En juin 1981, la demande de regroupement familial est acceptée. Nous prenons le bus jusqu’à Istanbul où nous logeons à l’hôtel deux nuits. Je prends l’avion pour la première fois. Arrivés à Paris, nous prenons le train pour Flers en Normandie. Nous nous installons dans un grand immeuble. Je fais des découvertes inattendues : le frigidaire, la télévision et l’électricité ! Et je dors pour la première fois dans un lit : j’ai ma propre chambre avec mon frère. Nous y résidons durant quatre ans et je découvre un petit village turc : 200 familles turques originaires de la région de Posof y vivent. Les hommes travaillent tous pour l’usine de sidérurgie qu’a rejoint mon père après un travail de charpentier à Granville. 

En septembre 1981, j’intègre avec mon frère une classe d’apprentissage du français réservée aux migrants. En 1985, alors que ma mère vient d’accoucher de ma petite sœur, mon père perd son travail suite à un licenciement massif. Nous rejoignons Cursan, près de Créon où son frère lui propose un poste dans son entreprise. Contrairement à Flers où nous étions majoritaires, mon frère et moi sommes les seuls Turcs de l’école. 

En 1986, nous déménageons à Libourne dans un logement social. Ma mère accouche d’un petit garçon. J’ai de bons résultats à l’école et mon rêve est d’intégrer Médecins sans frontières.

En 1988, à l’âge de 15 ans, je me fiance à un de mes cousins vivant en Turquie : nous nous écrivons en cachette depuis plusieurs années. Son courrier arrive chez une amie qui me la renvoie chez moi. Mon père surprend une de ses lettres. Je crains sa colère. Il reste silencieux. Et lorsqu’il se rend l’été suivant en Turquie pour voir seul ses parents, il annonce à tout le village nos fiançailles !

Nous déménageons à Cenon pour nous rapprocher de la communauté turque très présente dans cette région. J’entre à l’université de droit. Je passe mon permis de conduire. En parallèle de mes études, je suis bénévole au centre social en tant qu’accompagnante de la communauté turque. 

En 1995, je me marie civilement en Turquie. Nous avons attendu sept ans après nos fiançailles, chacun réalisant des études supérieures. Et le 17 septembre 1996, mon mari rejoint la France. Nous organisons une grande fête de mariage religieux le 25 décembre. Nous logeons dans un appartement étudiant rue Ausone sous les combles. Mon mari s’inscrit à l’université de Bordeaux pour suivre des cours de français, puis il suit une formation  en électricité. 

Un poste d’Agent de Développement Local pour l’Intégration (ADLI), est ouvert au sein du Comité de Liaison des Acteurs de la Promotion (CLAP) Sud Ouest. Après une formation de quinze jours à Paris, je suis sélectionnée. Afin de faire évoluer mon poste, je m’en éloigne durant deux ans pour suivre une formation en animation socio-culturelle à l’université. En parallèle de mon métier, je crée l’association “Ici et là-bas” dans le but de promouvoir la double culture, turque et française. Je suis aussi engagée au sein d’autres associations comme l’Association Pour l’Accueil des Femmes en Difficultés (APAFED), SOS Femmes Battues et le CIDFF. 

En 2003, je participe avec les jeunes de mon association à la journée de la citoyenneté organisée à Paris. Je découvre le monde politique et en particulier les idées du parti socialiste. A mon retour à Bordeaux, je décide d’adhérer à ce parti. En 2006, je deviens membre de son conseil d’administration à Cenon. 

En 2007, ma fille née avec un handicap sévère de surdité. Mon combat devient personnel.

En 2008, j’intègre le conseil municipal de la mairie de Cenon. J’apprends le métier d’élue et essuie des discriminations en tant que femme et en tant que turque. Je deviens très militante et me qualifie de “féministe, musulmane et libre”. En 2014, je suis nommée conseillère municipale adjointe en charge de la petite enfance, de la citoyenneté, de la diversité et des quartiers.

Aujourd’hui, je peux dire avec du recul que ce que la France m’a apporté c’est l’éducation, la culture, la liberté d’être une femme, l’égalité des chances, la réussite, la découverte et une réflexion sur demain : c’est le pays où j’ai grandi, où j’ai découvert des choses merveilleuses, où j’ai découvert le monde ! Et ce que j’ai apporté à la France, c’est ma culture, c’est la diversité et c’est une chance pour elle. Je ne vis pas avec la nostalgie : je refuse de vivre avec la nostalgie car c’est de la souffrance.

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Interviewer : Emmanuelle Dubois, Johan Hiriart
Lieu : Cenon (33150)
Date : 6 mars 2019

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