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Huseyin KARA

Travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine

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Huseyin KARA
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Les séquences

Interviewer : Hurizet Gunder
Lieu : Brive-la-Gaillarde (19100)
Date : 23 janvier 2020

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine, un entretien avec Mr Huseyin Kara, avait été réalisé le 23 janvier 2020, à Brive-la-Gaillarde (19100). Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

Je nais à Nevsehir près de Kaymakli. Je suis le cadet d’une fratrie de huit enfants : j’ai quatre frères, dont je suis l’aîné, et trois sœurs. J’étudie durant les cinq années d’école primaire puis j’aide mes parents à la ferme. En 1967, âgé de 17 ans, je travaille dans le bâtiment aux côtés de mon père qui achète un camion. En 1968, je me marie avec une jeune femme de mon village : sa maison est à 1 km de la mienne. La célébration de notre mariage dure une semaine. L’année suivante, nous avons une fille, Güler, puis deux ans plus tard, un fils, Yüksel. 

En 1969, je suis appelé pour le service militaire et je suis envoyé à Izmir pour deux années. Durant mon service, mon oncle dépose, à ma demande, un dossier de candidature pour travailler en France. Mon projet est d’épargner pour l’achat d’un tracteur. En janvier 1971, à mon retour du service militaire, je travaille avec mon cousin dans le commerce de pommes de terre et d’oignons : je surveille les employés remplissant les sacs. Puis, j’obtiens une réponse favorable d’une entreprise française de sylviculture.

Le 15 mars 1971, je quitte mon pays avec un ami du village. Un bus nous mène à Istanbul, puis un train jusqu’en Bulgarie et un dernier train jusqu’à Limoges. Notre trajet dure quatre jours. A la gare d’arrivée, un homme corpulent tient à la main un papier avec nos noms de famille : c’est notre futur employeur. Il nous accueille chez lui et nous offre un repas. Nous sommes affamés mais nous ne pouvons rien manger : le plat contient du porc. Nous travaillons dans la coupe de bois sur un chantier à Uzech près de Brive-la-Gaillarde. Nous sommes logés dans des préfabriqués dans la forêt : ils sont insalubres et infestés de rats. Nous sommes contraints de faire des tours de garde lorsque la nuit tombe. Le logement est très sommaire : quatre lits, quatre chaises et des toilettes.  La cuisine se est dans la bâtisse principale de l’entreprise. Nous rencontrons des difficultés à faire nos courses : nous n’avons pas encore d’argent et nous ignorons le nom des aliments ! Un de mes oncles, habitant à Brives, me prête 50 francs. Mais le dépenser est plus compliqué. 

Notre premier salaire ne nous est pas versé, ni le second : nous n’arrivons pas à nous nourrir. Nous demandons 5 francs à un voisin français. Nous avions fait le calcul du montant avec mon ami : 5 francs équivalaient à trois pains chacun par jour pendant un mois. Nous épuisons rapidement notre maigre budget. Nous buvons du thé en sachet dans une théière que nous fabriquons avec une boîte de conserve. Un couple de français voisins nous offre un panier d’œufs et une caisse de pommes. La situation reste cauchemardesque. Trois mois après notre embauche, nous ne sommes toujours pas payés par notre employeur. Et un accident de travaille arrive : un clou me transperce le mon bras et je suis opéré à Brive. Au retour à mon poste, je présente un certificat médical et ma lettre de démission. Mon chef refuse de me payer et déclare que je l’ai déjà été par mes repas. Je trouve rapidement un poste dans la même ville, dans une entreprise de cartons où je reste trois ans et demi. 

Je fais un premier voyage en train en Turquie un an après mon arrivée à mon nouveau poste. J’arrive les valises pleines de vêtements. Les retrouvailles sont très émouvantes. A mon retour en France, après un conflit avec un collègue, je fais le choix de démissionner. Je suis embauché dans une autre entreprise de cartons à Brive où travaille mon oncle et j’y travaillerai durant quatre années.

En 1974, ma demande de regroupement familial est accordée et mon épouse ainsi que nos deux enfants me rejoignent en avion. Nous logeons dans un appartement à Chapelle. Nous avons ensuite deux autres enfants. Nous fréquentons la communauté turque locale qui prend une taille importante. 

Deux ans après l’arrivée de ma famille, mon père nous a rendu visite en France. Je lui achète un tracteur transporté par bateau de Marseille à Izmir. Je vais le réceptionner moi-même mais je ne reste pas. Je me suis habitué à la France, mes enfants y sont scolarisés : c’est trop tard. 

En 1977, après six mois dans une entreprise de fabrication de caoutchouc, j’intègre l’entreprise de fabrication d’appareils sanitaires Jakob à Brive. J’y resterai trente ans. J’ai évolué du nettoyage et du contrôle des produits finis à la fabrication de sanitaires. Mon salaire est passé de 750 à 1300 euros. A la fin de ma carrière, j’ai obtenu une médaille et deux diplômes. 

En 1982, nous déménageons pour une maison que j’achète à Brive. 

En 2015, l’usine Jakob à Brive est délocalisée en Espagne et je suis licencié avec une prime que j’ai des difficultés à négocier. Je suis retraité depuis lors et vis six mois par an en Turquie où j’ai également une retraite. J’y ai fait construire trois maisons. 

Contrairement à mon épouse et moi, nos quatre enfants ont la nationalité française. Mon fils aîné tient un garage, s’est marié et a eu trois garçons dont l’un vient de se fiancer. Ma fille aînée tient un commerce de kebab. Elle est mariée et a des enfants. Mon second fils travaille dans une usine d’emballage de pièces automobiles et est aussi marié. Et ma dernière fille est mère au foyer. 

A la question, si je devais revenir en France, oui, je reviendrais : lorsqu’on est obligé, on fait les choses. A celle sur ce que la France m’a apporté : elle ne m’a pas démuni et je l’en remercie. On a dépendu de personne. On a fait notre travail et on a gagné. Enfin, ce que j’ai apporté à la France : c’est mon travail : si je ne l’avais pas fait, personne ne l’aurait fait. Mais la Turquie reste ma patrie et je n’ai jamais demandé la nationalité française : “Imaginez un oiseau en France qui est dans une cage. Il préfère vivre dans la forêt en Turquie. C’est comme ça pour tout le monde. A chacun de mes retours en Turquie, j’embrasse son sol. »

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