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Semistan COSKUN

Travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine

Semistan COSKUN
Semistan COSKUN
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Les séquences

Interviewer : Hürizet Gunder, Keziban Yildiz
Lieu : Cenon (33150)
Date : 8 avril 2021

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine, un entretien avec Mr Semistan Coskun, avait été réalisé le 8 avril 2021, à Cenon (33150). Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

Malheureusement, un problème technique a rendu certains passage de l’entretien totalement inaudibles (interférences), vous pouvez donc tout de même profiter des passages bien enregistrés, avec des coupures passagères. Toutes nos excuses pour cet inconfort d’écoute.

Résumé de l’interview

Je suis né dans le village de Binbasi près de Posof, au nord-est de la Turquie près de la frontière géorgienne. Je suis issu d’une fratrie de sept frères et une sœur. Après avoir terminé le collège au village, j’étudie au lycée de Posof. Je suis très peu présent en cours en raison des tensions politiques : les militants de gauche et de droite se menacent par alternance. Ma famille fait l’objet de différents procès. Je deviens agriculteur. Je loue aussi une moissonneuse-batteuse aux villageois. J’achète du pétrole à Dogubeyazit en Iran pour le revendre en Turquie où il y a une pénurie. 

En 1980, âgé de vingt-ans, je suis interpellé alors que je rentre d’un voyage en Iran. Mes trois camions ainsi que mes voitures sont saisis. J’apprends qu’un de nos employés est décédé d’une chute d’un de nos tracteurs. Placé en garde à vue, je me souviens de cette phrase du procureur : “Posof est trop petit pour toi, il faut que tu quittes la ville”.  J’ai de nombreux procès politiques en cours. Je décide de quitter la Turquie. La décision est difficile car je suis le dernier enfant de la fratrie en Turquie : quatre de mes frères ont rejoint la France ; deux autres ainsi que ma soeur sont en Belgique. Le procureur, un ami proche, me fait délivrer un extrait de casier judiciaire vierge. Je quitte ainsi ma famille et ma fiancée, avec laquelle je suis marié religieusement depuis un an. Je prends l’avion pour Madrid, puis un train jusqu’à Saint Sébastien où mon frère Ihsan nous attend. Un passeur nous fait traverser la frontière française un par un à l’arrière de sa 4L. Puis, nous prenons un second train à Bayonne pour rejoindre Bordeaux. Je loge chez mon frère, Ozden, durant trois mois, dans un appartement situé au 57 quai de Richelieu, sans électricité, et dépourvu d’isolation. Je n’arrive pas à dormir en raison du vacarme des voitures qui ne sont soumises à l’époque aucune limitation de vitesse. 

Deux jours après mon arrivée, je suis embauché par le patron de mon frère dans une entreprise de déconstruction. Je me lève à l’aube pour transporter des briques dans des conteneurs. A la fin de ma mission, je prends contact avec Yuksel, un compatriote originaire du même village et résidant à Lille. Nous communiquons via la cabine téléphonique du bar Castan où nombre de travailleurs turcs se retrouvent. 

En juillet 81, mon ami me trouve un emploi de peintre sur un chantier à Fives, près de Lille. Logé chez lui, je travaille plus que mes collègues pour rattraper ma méconnaissance du métier. J’obtiens un contrat de trois mois et devient rapidement chef d’équipe. Je trouve un studio le mois suivant. Je suis hospitalisé une semaine pour une appendicite et arrêté trois semaines. A la reprise de mon poste, mon frère m’annonce que son patron a un nouveau poste pour moi à Bordeaux. Mon travail est très difficile : le sablage et la peinture de portes rouillées. Je n’ai que très peu de contacts avec ma famille : nous nous écrivons des lettres. Ma femme accouche d’un garçon et je ne les entends au téléphone que tous les trois mois. Je les rejoins en Turquie pour les vacances au bout d’un an. J’arrive au village chargé de deux valises de cadeaux. J’épouse civilement ma femme durant mon séjour qui dure un mois, puis repars. 

Au bout de quelques mois, l’entreprise ferme faute d’activité. Mon épouse et mon fils de un an et demi me rejoignent. J’ai l’accord de mes parents qui s’installent alors à Istanbul où ils passaient déjà l’hiver chaque année. Nous logeons chez mon frère qui a quitté son appartement. 

Deux mois plus tard, je retrouve du travail : un ami d’Istanbul, Unal, m’embauche dans son entreprise en bâtiment. Je travaillerai trente-trois ans en tant qu’entrepreneur en bâtiment.

Après dix années de résidence à Bordeaux-centre, notre immeuble est vendu et nous déménageons à Bordeaux-Lac avec nos deux enfants. Deux ans plus tard, nous emménageons à Cenon. 

En parallèle, je suis durant six années président du Centre culturel turc. Faute d’avoir réalisé mon service militaire en Turquie, c’est pour moi une façon d’honorer mon devoir. A mon arrivée, l’association a un budget de dix mille euros, avec plus de treize mille euros de dettes. Le salaire de l’imam n’avait pas été versé depuis cinq ans ! Je mobilise la communauté turque de France et d’Europe. Nous avons aujourd’hui un budget d’un million d’euros. J’aide également nombre de personnes de ma communauté dans le besoin, que ce soit financièrement ou dans la recherche d’un logement. 

Aujourd’hui, je dirige une agence immobilière. Après la rémission du cancer de mon épouse en 2000, nous emménageons à Bègles et voyageons en Turquie où nous acquérons un logement à Kusadasi. Nous nous sentons étrangers là-bas, comme nous le sommes ici. Je suis retraité en Turquie ainsi que mon épouse. Nous y résidons trois mois par an. A la question sur ce que m’a apporté la France, je répondrais de l’argent. Mais elle a pris ma culture. Et à ce que je lui ai apporté, je dirais beaucoup d’impôts ! Et aux générations à venir, je dirais : investissez dans l’éducation de vos enfants !

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Interviewer : Hürizet Gunder, Keziban Yildiz
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