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Ferdinaye BOR

Travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine

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Ferdinaye BOR
Ferdinaye BOR
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Les séquences

Interviewer : Hürizet Gunder, Keziban Yildiz
Lieu : Terrasson (24120)
Date : 5 avril 2021

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine, un entretien avec Mme Ferdinaye Bor, avait été réalisé le 5 avril 2021, à Terrasson (24120). Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous. 

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

Je suis née à Yukarisarikaya près de Yozgat. Je suis l’aînée d’une fratrie de cinq. Je ne suis pas scolarisée : à l’époque, les filles ne vont pas à l’école. A l’âge de 15 ans, mon père arrange mon mariage avec le fils d’un voisin. Ce dernier a quatre frères et mon père, gérant d’un commerce de proximité, compte sur eux pour l’aider dans son travail. Malgré mon opposition ainsi que celle de mon fiancé, nous sommes mariés. Aucune cérémonie de mariage n’a lieu et j’emménage chez ma belle-famille. Mes beaux-parents, malades et alités sont aidés par une tante maternelle et une belle-soeur avec laquelle je ne m’entends pas. Le mari de cette dernière nous intime de quitter le foyer et mon beau-père nous prête un coin de son écurie. Nous dormons d’un côté, notre vache de l’autre. Supportant mal cette expulsion, mon mari se dispute avec mon père et devient violent à son égard. Il le devient également à mon encontre et m’interdit de voir ma famille pendant six mois. J’ai alors déjà une première fille et j’ai à peine 16 ans. Nous construisons ensuite notre maison et nous avons trois autres enfants, une fille et deux garçons. 

En 1972, un de mes oncles maternels incite mon mari à partir pour la France avec un ami en lui prêtant de l’or. En juillet 1974, je rejoins clandestinement la France avec mes trois plus jeunes enfants : mon aînée est contrainte de rester en Turquie à la demande de ma mère. Je ne prends avec moi qu’une couverture de laine pour seul bagage. A Sirkeci, nous prenons un train qui, trois jours plus tard, nous conduit à Lyon. Un second train nous fait ensuite rejoindre Brive où mon mari trouve un appartement dans un immeuble que nous meublons sommairement. La ville n’a aucun commerce et je ne connais personne. Mes proches me manquent : chaque jour je fais ma valise dans les larmes, chaque jour mon mari la défait. 

Un an plus tard, ma fille aînée nous rejoint en France, ramenée par un oncle paternel au cours de ses congés en Turquie. 

Deux ans plus tard, nous déménageons dans une maison à Allassac. Une petite communauté turque y est installée. Avec l’aide d’un Arménien travaillant à la mairie, j’obtiens un titre de séjour. Je retourne ensuite pour la première fois en Turquie en train. Lorsqu’il faut revenir en France, mon corps se met à ralentir, refusant le retour. 

Deux ans plus tard, nous nous installons à Terrasson. Je travaille plusieurs années dans le ramassage de pommes. Mais surtout, je travaille dans la casse de noix : du matin au soir j’énoiserai chez moi à même le sol durant quinze ans. A leur retour de l’école, mes enfants participent avec moi à la casse. Je ne suis pas déclarée et donne l’argent gagné à mon époux.

Ne sachant ni lire ni écrire, mon époux refuse que j’ai mon propre compte bancaire et que je passe le permis de conduire. Je ne suis également aucun cours de français. Si j’avais été à l’école, si j’avais appris, si je savais conduire, “je l’aurais laissé tomber. Pourquoi mentir ?” Tardivement, je m’inscris à des cours de turc : je veux savoir écrire et lire ma langue maternelle pour utiliser un téléphone portable. 

Nous retournons chaque année en Turquie et nous investissons dans l’achat de deux maisons, une en ville, à Yozgat et une au village, à Sarikaya, qui est à mon nom. Mon mari aide un grand nombre de familles de notre région à rejoindre la France. Il fait venir ses quatre frères et sœurs, ses neveux et même des voisins. Il tente de faire venir trois de mes frères, mais deux n’ont pas obtenu de titres de séjour et sont rentrés en Turquie.    

En 2010, je suis à la retraite et ma pension française s’élève à 200 euros. Lorsque je demande à mon époux de faire instruire mon dossier pour obtenir une retraite en Turquie, il me répond : “ Ce sont des dépenses pour rien. Tu vas peut-être mourir”. Aujourd’hui, mes quatre enfants sont mariés et ont fait construire leur propre maison : j’ai neuf petits-enfants. 

Mon aîné, marié à l’âge de 15 ans à une jeune turque de Terrasson, a deux filles et un garçon. Il est chauffeur routier. Mon fils cadet ne s’est marié qu’à l’âge de 30 ans et a deux enfants. Il travaille pour le gymnase de la mairie de Terrasson. Nous avons marié notre fille aînée à l’âge de 16 ans avec un membre de notre famille en Turquie. Ma fille a deux enfants et est couturière à Limoges. Ma fille cadette s’est mariée à 24 ans avec un cousin de Turquie. Nous avons acheté nos gendres à des prix exorbitants. Ma fille a deux enfants et travaille en tant qu’ATSEM à Terrasson. 

A la question sur ce que la France nous a apporté, je répondrais par une autre question : “Que serions-nous devenus si nous n’étions pas venus en France” ? A celle sur ce que nous avons apporté à la France, je dirais des enfants ! Aujourd’hui, la famille BOR représente quatre-vingt à quatre-vingt dix familles. La plus grande reste la nôtre. 

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Interviewer : Hürizet Gunder, Keziban Yildiz
Lieu : Terrasson (24120)
Date : 5 avril 2021

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