Travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine
Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des travailleurs turcs de Nouvelle Aquitaine, un entretien avec Mr Sait Tarhan, avait été réalisé le 10 octobre 2017, à Bordeaux (33000). Vous trouverez un résumé de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous.
Je suis né dans le village de Yesilöz près de Ugüp en Cappadoce au centre de la Turquie. J’ai un frère aîné. Mon père s’échappe du métier d’agriculteur pour devenir fonctionnaire au ministère du tourisme. Je vais à l’école primaire et secondaire à Ugüp, puis au lycée à Nevsehir. Après le baccalauréat, j’obtiens une licence en tourisme, hôtellerie et restauration. Je réalise mon stage de fin d’étude en Angleterre où je réside deux ans. A mon retour en Cappadoce, je travaille dans l’hôtellerie durant treize ans. Je deviens ensuite guide touristique. J’achète des hôtels et des magasins : j’ai une très belle situation.
En 1979, je tombe amoureux d’une jeune touriste française. Nous nous marions l’année suivante. J’ai vingt-neuf ans et je surprends ma famille à laquelle je n’avais jamais présenté de projet de mariage. Ma mère n’est pas favorable à notre union et s’inquiète. Avec ma femme, nous attendons un enfant. Et je me lasse de mon métier, surtout du tourisme de masse. Je rêve d’ouvrir un commerce à l’étranger pour faire connaître mon pays. Depuis mes douze ans, j’admire les tapis “kilim” d’Anatolie : je me décide à les exporter. Je rencontre un couple bordelais qui m’aide à concrétiser mon projet en France.
En octobre 1980, alors que notre fils est âgé d’un mois, nous emménageons à Vannes en Bretagne où mon épouse a un poste d’assistante au Tribunal. Je mets en place mon projet de commerce à Bordeaux où mon épouse attend sa mutation.
En 1982, avec mes amis bordelais, nous ouvrons la Galerie Cappadoce 35 place Gambetta à Bordeaux. Nos kilims attirent la curiosité de la bourgeoisie locale.
En 1990, je fonde l’Association Amitié France-Turquie en Aquitaine (AFTA). L’objectif premier est l’échange interuniversitaire entre la France et la Turquie. Onze conventions seront signées et les échanges augmenteront de 82%. Aujourd’hui, des centaines d’étudiants sont candidats : aucun concours ni frais liés au logement ne sont exigés.
En 2003, après douze années de négociation, nous créons les premiers cours de langue turque à l’université Bordeaux-Montaigne. Nous comptons à ce jour près de deux cent élèves certifiés en langue turque.
En 1994, la Galerie Cappadoce ferme pour renaître sous le nom de Galerie Anatolya, 9 rue de la Boétie à Bordeaux : je suis désormais seul à la diriger.
De 2012 à 2017, je dirige la “Présidence des turcs à l’étranger” (YTB), dépendant du cabinet du premier ministre turc.
Aujourd’hui, j’ai soixante-huit ans et je suis grand-père d’un petit garçon de trois ans. La Galerie Anatolya a toujours ses portes grandes ouvertes : un départ à la retraite n’est pas dans mes projets. Je continue à vivre entre mes deux pays : je ne suis ni en France, ni en Turquie. Je passe en moyenne quatre mois en Turquie par an. A l’avenir, je projette de passer l’hiver en France et l’été en Turquie.
Si mon immigration en France était à refaire, je la referais, mais en mieux. La France m’a beaucoup apporté : une ouverture d’esprit, une vie cosmopolite et la diversité. Vivre dans une culture différente est une richesse sans limite. Elle m’a aussi permis d’avoir un mode de vie confortable. Et j’aime les produits français ! J’achète et je consomme français. A la France, j’ai apporté ma culture. J’ai fait connaître mon pays. Et j’ai construit des ponts entre la France et la Turquie.