La révolution des Œillets permet de mettre en place un régime démocratique qui tâche de s’ouvrir au monde. Pour les émigrés portugais, retourner au Portugal ou rester en France est un choix complexe qui remet en cause les identités individuelles.
En 1974, la politique migratoire française se rigidifie d’une façon assez importante. En juillet, le gouvernement français suspend temporairement l’immigration en France, justifiée par un contexte économique délicat. Au lendemain de la révolution des Œillets, un nombre important de Portugais rentrent dans leur pays natal.
Entre 1975 et 1981, les Portugais représentent 155 départs pour 100 arrivées en France. Les retours spontanés sont importants au moment de la démocratisation du pays. Pour le nouvel Etat portugais, l’émigration doit appartenir au passé où la dictature et ses conséquences socio-économiques mènent plus de 900 000 personnes à émigrer en France entre 1958 et 1974. Malgré cela, l’émigration ne cesse pas totalement. Les salaires étant plus élevés en France, des Portugais continuent à rejoindre la France pour fuir la pauvreté. De plus, la révolution des Œillets permet aux réfractaires du service militaire d’être amnistiés en 1975.
Beaucoup d’émigrés portugais restent en France malgré l’avènement de la démocratie dans leur pays d’origine. En ayant trouvé un emploi, en s’étant constitué une sociabilité et en prenant part à la vie politique, culturelle et associative française, il est davantage difficile de repartir.
L’insertion des Portugais dans la société française met à mal le mythe du retour et la conception première de leur départ. Echapper à la guerre, aller gagner de l’argent en France puis rentrer et l’exil en France devient, pour certains, une installation pérenne. Le nombre de naturalisés des Portugais des années 1980 montre la stabilité de cette migration qui s’installe en France.
« Vous savez, ma situation est surement une situation qui est semblable à la plupart des Portugais. Je suis en France, je travaille et je me marie avec une Française. Donc, même si au départ l’idée c’était de rester quelques temps et repartir, aujourd’hui, c’est pas si simple que ça… »
L’adaptation de l’immigration portugaise brouille les repères culturels et identitaires pour un grand nombre de personnes. La question est de savoir qui l’on est : Portugais, Français ou les deux ? Les foyers portugais ont alors des rapports différents à leur pays d’origine. Certains parents interdisent de parler portugais à la maison tout en préservant des pratiques culturelles portugaises. A l’image de la plupart des groupes migratoires en France, les Portugais connaissent une certaine acculturation.
Les enfants d’immigrés ne connaissent que peu leur pays, son histoire et sa langue. Le Portugal représente avant tout la destination de vacances estivales annuelle. Ils découvrent le pays de leur famille à travers leurs études et les différents réseaux de socialisations qui leur permettent de se rapprocher de leur identité portugaise.
J’ai eu une crise à un moment donné, à me demander si j’étais portugaise, française, je savais plus trop… Parce qu’on me posait beaucoup la question, « Mais t’es française, ou t’es portugaise ? »
« J’ai besoin d’y aller et en même temps, je ne m’y reconnais pas et eux ne me reconnaissent pas non plus. Je suis fille d’émigrés, ils sont contents que je parle leur langue, que je m’intéresse à eux, et parallèlement, je suis pénalisée par le fait d’être française, d’avoir fait des études, d’être d’ailleurs… On ne trouve jamais sa place. »
Pour connaître leur pays, des enfants d’émigrés s’orientent vers les facultés où ils apprennent l’histoire de leur pays, sa langue, sa littérature et sa culture. En ce sens, les associations portugaises aident à faire connaître, à vivifier et à transmettre la culture portugaise aux nombreux émigrés et à leurs enfants.
La vie associative portugaise commence à se développer au cours des années 1970. Avant cela, les Portugais sont peu présents dans le monde associatif. Ils ne maîtrisent pas la langue, les lois et la liberté d’association française. Durant l’Estado novo, créer une association est impossible. En arrivant en France les Portugais ignorent le fonctionnement de la vie associative. 33 associations portugaises sont recensées en France en 1971, leur nombre est multiplié en l’espace de quelques années, atteignant 371 en 1976. Dans les années 1980, les associations portugaises sont plusieurs centaines en France. Les associations se diversifient et ont un écho à l’échelle nationale. Elles sont de natures diverses : sportives, culturelles, folkloriques, commémoratives et linguistiques, principalement.
L’objectif avec O Sol de Portugal, c’était pas de créer un bout de Portugal à Bordeaux, c’était d’être un acteur de quartier et travailler dans un esprit interculturel.
Les années 1980 et 1990 sont celles de l’européanisation du Portugal. Le Portugal se décloisonne de son isolationnisme dictatorial (même si le Portugal est un membre fondateur de l’Otan, en 1949). La démocratisation du pays passe par l’adhésion à la CEE (désormais devenue Union européenne) le 1er janvier 1986, en même temps que son voisin espagnol. La volonté est alors de faire partie de l’Europe et de dynamiser le pays qui a longtemps pâtit de son retard industriel, économique et social.
Pour les citoyens portugais, l’adhésion à la CEE est synonyme de citoyenneté européenne. La libre circulation des travailleurs, obtenue en 1992, est symboliquement forte pour l’immigration portugaise qui est longtemps marquée par une importante clandestinité.