Ancien combattant marocain
Né en 1912
Engagé en 1930
Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des anciens combattants marocains, un entretien avec M. Abdelmalek El Malki a été enregistré le 10 septembre 2009 au foyer Adoma. Vous trouverez un résumé synthétique de la deuxième partie cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette deuxième partie d’interview en cliquant sur bouton ci-dessous.
Est-ce que vous êtes resté homme du rang ou vous avez obtenu un autre grade ?
Je n’ai eu des grades que lorsque je les méritais. Je vais vous raconter… Une nuit, on est parti à une douzaine de soldats avec notre supérieur et, à un moment donné, on était encerclés. L’ennemi nous a dit, « Halte, Marocains ! Arrêtez-vous, sinon on vous tue ! ». Ils nous ont demandé de lever les mains, ils nous ont dit, « Posez vos armes et avancez ! »… Ce qu’on a fait ! On a approché, ils nous ont fouillés. On a jeté tout ce qu’on avait sur nous, les grenades, les ceintures pleines d’armes… Ils nous ont emmenés, puis, à un moment, on est arrivé sur un petit pont qui était sur l’eau.
Et là, je glisse, je me retrouve dans l’eau… et je pars ! Ils ont quand même essayé de tirer dans l’eau. Ils ont tiré et ils ont dit, « Il est mort, il est mort ! ». Mais non ! Quand je suis tombé dans l’eau, j’ai essayé de repartir en tâtonnant jusqu’à la bordure… Et là, je me suis accroché à des plantes jusqu’au lendemain matin… Le lendemain matin, j’ai attendu que des gens passent… à ce moment-là, je suis sorti, et j’étais plein de bêtes qui se trouvaient dans l’eau qu’on appelait « ealaqa » [sangsue].
Je suis tombé à l’eau, ils ont quand même essayé de tirer. Ils me croyaient mort, alors je suis resté dans l’eau. Le lendemain matin, je suis sorti. J’étais plein de sangsues et je suis rentré à la base. C’est comme ça que je suis devenu caporal !
Au retour à la base, j’ai vu les copains. La première chose qu’ils ont fait, c’est de me débarrasser de ces sangsues ! Avec des cigarettes, ils les ont cramées et ça tombait, ça tombait… On m’a amené un café et puis ils m’ont embrassé en me demandant comment j’avais fait pour rester vivant ! Et les autres, on ne sait pas où ils les ont amenés… J’ai raconté tout ça à mes copains. Puis, quand j’ai terminé, le capitaine de la compagnie a demandé aux autres, « Qu’est-ce que vous en pensez ? Il a réussi à s’en sortir ! Qu’est-ce qu’on peut lui accorder ? »… C’est là qu’il a dit que je méritais un grade. Donc j’ai eu mes galons de caporal avec une médaille militaire, pour me féliciter pour mon courage. Ensuite, il y avait eu une petite cérémonie pour cette remise de grade !
Après ça, il y a eu le retour… au bout de dix-huit mois d’engagement ! Tout le monde a embarqué à bord du Pasteur, des musulmans et des chrétiens ensemble donc, de Haï Phong jusqu’à Oran, et là-bas, chacun est descendu dans son secteur. Là, on nous a donné notre solde par rapport à notre engagement, donc 700 000 reals, puis on nous a accordé des permissions. Il y en a qui avait les trois mois, d’autres non. Après ma permission, je me suis réengagé, j’ai fait un deuxième séjour de quatre ans en Indochine !
Ça s’est passé comment ce deuxième séjour ? Le voyage et votre affectation était similaire au premier séjour que vous aviez fait ?
Le deuxième bateau, il s’appelait Skaugum [il dit chewingum], mais on a fait le même trajet que pour le premier séjour. Le climat, était très dur, nous étions très serrés. Donc 53-54, c’était très, très dur. Ensuite, on a encore été dispatchés en Indochine. Un jour, en 1955, on est sorti en opération, et il n’y avait rien du tout… Ni chien, ni porc… personne ! Walou ! Les gens qui comprennent le langage de ce silence disaient que s’il n’y avait personne, c’est qu’il se préparait quelque chose de grave. Et ce jour-là, on ne s’est pas rendu compte qu’ils nous suivaient dans l’eau ! Au coucher de soleil, lorsqu’on est arrivés dans un village, ils se sont mélangés avec nous. Ça a éclaté, on ne savait plus par où ça tirait, on ne savait plus qui disait quoi, qui commandait ou qui faisait quoi ! Lorsque ça a attaqué, il fallait se sauver et sauver sa peau… Tout le monde a laissé ce qu’il avait… Et si certains ont pu s’échapper, ils l’ont fait uniquement avec leur fusil, sans rien d’autre.
Les gens qui comprennent le langage de ce silence disaient que s’il n’y avait personne, c’est qu’il se préparait quelque chose de grave.
Lorsqu’on est revenu au village, le lendemain, on nous a demandé ce qui nous manquait… Et à midi, on avait l’armement, on a été ravitaillés… Nous sommes restés là-bas, à Dien Bien Phu, nous étions en train de surveiller l’aviation. La ville a été encerclée et même reprise par les Viets. Nous avions alors eu le message comme quoi Dien Bien Phu a été prise avec tous les généraux, les armées…avec tout ! Et ça malgré les interventions des parachutistes. On nous a alors dit, « Maintenant, cessez le feu ». C’était la fin, en 1955, il ne fallait plus tirer de coup de feu… Nous sommes restés surveiller les avions et donc, on attendait qu’on nous dise, « C’est fini ! ». Un jour, nous nous sommes rencontrés avec l’armée des Viets. On s’est serré la main, puis chacun a repris son chemin. Nous avons quitté Saïgon vers Hanoï, puis vers Hai Phong jusqu’à Touraine, et à chaque fois qu’on quittait une ville, c’était les Viets qui l’occupaient… Nous, on est resté à Touraine un an… Puis on est revenu à Saïgon pour surveiller ce qui restait du matériel de la France… Les camions, les fusils… Puis les Américains sont arrivés et moi j’ai surveillé les avions américains !
Après la permission, on nous a redemandé, si on voulait se réengager. Personne ne voulait le faire…
Un jour, ils nous ont appelé et ils nous ont dit, « Vous les Marocains, vous allez repartir au Maroc ». On nous a rassemblés, il y avait tout le monde, toutes sortes d’armées sauf les nouveaux… Ceux qui sont arrivés après, on les a envoyés dans des lieux qui étaient encore sous l’égide de la France. Nous on nous a envoyés au Maroc. Je suis revenu après ce deuxième séjour, ça suffisait, c’était terminé. C’était en 1956. Au retour, je me suis marié avec une jeune fille. Elle avait des petits seins ! [rires] Je me suis marié, on a fait la fiesta… J’ai eu trois garçons et trois filles. Et ensuite, je ne me suis pas engagé au niveau de l’armée marocaine, je me suis occupé de mes enfants ! En 1975, ma femme est décédée, alors si je m’étais engagé dans l’armée marocaine, qui allait s’occuper de mes enfants ? Il a fallu que quelqu’un soit à la maison. Je les ai instruits, ils ont fait leurs études, chacun a eu des diplômes… Mais il y en a qui se sont engagés dans l’armée marocaine ! Le premier, le deuxième et le troisième. Et ils ont eu leur grade ! Maintenant, ils ont tous leur vie, ils sont tous autonomes. Moi, je n’avais pas de solde militaire. Ils ne me devaient rien, je ne leur devais rien. J’étais agriculteur.
Vous souvenez-vous à quel moment vous êtes arrivé en France ?
Je ne suis venu que lorsque j’ai marié mes trois filles. Avant que la troisième soit mariée, j’ai entendu qu’il y avait des gens qui venaient en France, des anciens combattants. Je suis donc allé voir un écrivain public à qui j’ai demandé comment faire pour venir ici. Il m’a aidé à constituer un dossier, il a envoyé une demande à Paris et on m’a envoyé la carte de combattant. Et donc à ce moment-là, j’ai commencé à toucher de l’argent en tant qu’ancien combattant. Et c’est après que je suis venu en France.
Et vous êtes venu directement à Bordeaux ? Est-ce que vous aviez des connaissances sur place ?
On a pris le bus depuis le Maroc jusqu’à Bordeaux. En arrivant, on a demandé et il y a des gens qui nous ont indiqué la Sonacotra. Et on a été accueilli par deux personnes, c’était… Karim et Mohammed, qui nous bien accueillis parce qu’ils nous ont donné de quoi nous couvrir, de quoi manger…
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter de mieux ?
Tout d’abord, ce que j’espère, c’est continuer à toucher ce qu’on me doit et puis passer deux mois là-bas et venir ici et ils me payent là… Mais ça se passe bien ici, donc je suis très content et je remercie quand même les gens d’ici, et notamment au niveau de la France, parce qu’ils ont fait pas mal de choses. Il n’y a pas de discrimination… et ils sont très organisés, que ce soit au niveau du bus ou dans l’administration… et c’est pourquoi je leur tire mon chapeau ! Ensuite, avec les amis que j’ai ici, on passe des bons moments, on parle de nos vies, de nos amours, des soirées… On a tout ce qu’il faut !
Merci à vous aussi qui êtes venus nous voir pour avoir de nos nouvelles et aussi pour transmettre de nos nouvelles. Et merci à la France qui ne fait pas de distinctions entre noirs et blancs ! Donc tout est pareil…
Avec les amis que j’ai ici, on passe des bons moments. On parle de nos vies, de nos amours, des soirées…
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