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Mohamed KADIRI

Ancien combattant marocain
Né en 1923
Engagé en 1943
Arrivé en France en 2001

Mohamed KADIRI
Mohamed KADIRI
/
Les séquences

Interviewer : Joël  GUTTMANN 
Traducteur : Aziz JOUHADI
LieuFoyer ADOMA, Bordeaux
Date : 14 mai 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des anciens combattants marocains, un entretien avec M. Mohamed Kadiri a été enregistré le 14 mai 2009, nous sommes au Foyer Adoma. Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

MOHAMED KADIRI – Je suis né en 1928 au Douar Tazenakht… province de Skoura… au Maroc. J’étais agriculteur et je cultivais spécialement les céréales… le blé, l’orge, le seigle… Ma famille était propriétaire de l’exploitation.

JOËL  GUTTMANN – Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de devenir militaire ?

À l’époque, je travaillais pour le chef local, le caïd. Mais c’était du travail forcé ! On construisait les routes… On foutait le gravier avec les mains… Et en plus, on était tabassé. Donc à un moment, on s’est dit, « Puisqu’on travaille dans des conditions comme ça, il vaut mieux qu’on s’engage carrément. Et en même temps… on va voyager, voir d’autres pays ! »

Comment vous avez entendu parler de cette possibilité de devenir militaire ?

Là où j’habitais, il y avait des gens qui s’étaient engagés avant moi, donc je les ai entendus en parler. Et je suis donc parti à Marrakech, à 104 kilomètres de chez moi. C’est la colère qui m’a motivé à prendre la décision de m’engager. Je n’avais pas avertis ma famille du tout ! Une fois que j’étais à Marrakech, quand j’ai pris l’uniforme et tout ça, je leur ai écrit. Je me suis engagé en 1949… je suis né en 1928, donc je devais avoir 21 ans. Je suis resté jusqu’en 1950 à Marrakech, et après… on est parti en bataillon pour le Vietnam.

Puisqu’on travaille dans des conditions horribles pour le chef du coin, il vaut mieux qu’on s’engage carrément… comme ça on gagnera un peu d’argent et en même temps, on va voyager, voir d’autres pays !

Quelles opérations militaires, justement, vous avez connu ?

Ça a été très dur, très dur… on était naïfs… Je suis est resté là-bas pendant deux ans jusqu’en… 1952, jusqu’à ce qu’un autre bataillon nous relève. Pour nous ce qui était important, c’était la paye qu’on touchait à la fin du mois… on envoyait tout ça, enfin… la totalité… à nos parents, au pays… puisque nous, on mangeait sur place, gratuitement, logés, nourris. Pendant les deux ans, j’étais cuisinier au mess des officiers. La cuisine pour les officiers… c’est différent de celle pour les autres soldats. Nous, on mangeait ce qu’il y avait… Et, évidemment, on mangeait selon nos traditions… Pas de porc.

Et quelles étaient les relations avec les autres combattants ? Est-ce que vous pouviez partager des moments avec des Sénégalais, des Algériens ou des Français ?

Donc… les Sénégalais, ils avaient leurs bataillons à part. Nous les Marocains, à part. Les Algériens, ainsi que les bataillons d’Afrique noire, à part… Et les Tunisiens aussi. Chacun était à part.

Qu’est-ce que vous avez fait ensuite, après 1952, donc ?

Après 1952, après avoir été relevé, on est rentré en permission trois mois au Maroc. Puis après, on a rejoint le centre de recrutement…. vers fin 1952… Là il y avait un appel, pour ceux qui veulent rejoindre les champs de batailles au Vietnam… Un appel à des volontaires donc. On a levé la main et nous sommes partis. Si je suis reparti, ce n’est que pour des raisons pécuniaires. Que Dieu maudisse la pauvreté…

Les Sénégalais, ils avaient leurs bataillons à part, nous les Marocains, à part, les Algériens, et les bataillons des Africains noirs, à part…et les Tunisiens aussi. Chacun était à part…

Je suis donc parti au Laos, en régiment… de Saïgon jusqu’au Laos. On a traversé le Cambodge pendant cinq jours… jusqu’à ce que nous arrivions à un terrain désert. C’est là où on est descendu des camions. On a continué à pieds, donc, jusqu’à la montagne… Une montagne… Benava [Annam ?], où il n’y a que de la forêt. Il n’y avait rien… Rien ! C’était aride… Pas de route, rien. Même l’eau… ça n’avait pas été parachuté par jerrycan, par avion… donc, on n’avait rien ! Même les conditions pour… pour faire notre linge, tout ça c’était difficile. C’était que des… endroits marécageux. Là où il des bêtes, des espèces de génisses… On buvait… On se lavait les affaires sur nous-mêmes. Oui c’était difficile !

Vous étiez toujours affecté aux cuisines ?

Non, non… Au deuxième séjour, c’était un autre régiment, un autre bataillon. J’étais dans l’infanterie. Sinon je ne serais pas blessé ! Donc, j’ai été blessé fin 53, dans cette montagne, Benava. C’est là où j’ai sauté sur une mine. Quand j’ai été blessé, ils m’ont rapatrié au grand hôpital militaire de Hanoï, où je suis resté cinq mois. Et après, on [les blessés] a été embarqué par un grand avion américain qui nous a ramené en Algérie, à… à l’hôpital Boudesse [Boumerdès ?]…

Pourquoi je suis reparti ? L’argent… Que Dieu maudisse la pauvreté !

Je suis resté à l’hôpital trois mois. Après, ils nous ont ramenés par train jusqu’à Marrakech. Et je suis resté au  Diem de Marrakech. Au 114, le Diem 114. J’y suis resté, en passant les expertises, jusqu’à ce que… ce qu’on nous relève, en 1956. À ce moment-là, j’ai eu tous mes papiers. Vu mon état, bon… je ne pouvais plus rien faire. Donc vu que j’avais un petit peu d’argent à l’époque, à peu près 2700 dirhams, j’ai pu acquérir un appartement à Marrakech… Qui est mon domicile encore aujourd’hui.

AZIZ JOUHADI – Vous avez travaillé ensuite ?

Non, mais qu’est-ce que tu veux que je travaille avec un handicap ! Fin 56, quand j’ai été réformé, j’ai eu une retraite spéciale. Je touchais… 750 dirhams, l’équivalent de 75 euros, par mois. Et je suis resté comme ça… jusqu’en 2001. Je touchais… l’équivalent de 225 euros, 2250 dirhams, par trimestre. Jusqu’en 2001, donc, quand je suis arrivé en France.

JOËL  GUTTMANN – Est-ce que vous avez fondé une famille, eu des enfants…?

Je me suis marié en 1954, et j’ai eu mon fils aîné [montre la photo à côté], qui est né le 11/11/55. Ma fille aînée [montre la photo] est née en 1957. Et tout le monde est né à l’hôpital ! Une autre est née en 1968, elle est maintenant en Tunisie [montre la photo]. Et, une autre qui est née… en… 64. J’ai aussi eu un garçon qui est né en 72. Et une autre fille qui est née en 75. Et le dernier, il est né… en 77 !

Là on va arriver à, à parler justement de votre arrivée en France, donc vous êtes arrivé en  2001 ? Comment avez-vous entendu parler des droits des anciens combattants ?

C’est les gens qui me l’ont dit. J’ai a vu qu’il y avait d’autres anciens combattants qui sont venus en France, qui n’avaient même pas le parcours que moi et… ils m’ont dit, « Mais comment ça se fait que toi, t’es encore là… Quand même, t’as la pension tout ça, donc il faut y aller ! ». Donc je suis allé au bureau des anciens combattants à Casablanca. Ils m’ont donné les papiers pour le visa, et tout. Et j’ai décidé de venir en France. Mais la base de tout ça c’est la pauvreté ! Sinon, on ne se serait pas séparé de nos enfants. On ne va pas les laisser comme ça !

Vous connaissiez quelqu’un, quand vous êtes venu en France ?

Ici à Bordeaux, je ne connaissais personne. Et depuis mon arrivée, jusqu’à maintenant, je ne connais que deux personnes, qui sont là dans le foyer, et qui étaient avec moi dans le  bataillon.

Ici, quand on rentre chez soi, on se ferme et voilà, bon, personne nous trouve.

Vous pouvez nous raconter vos journées types, ici à Bordeaux ?

Je vais à Saint-Michel le samedi, pour faire quelques courses,  acheter un peu de viande. Le reste de la semaine, je ne vais pas trop loin, juste par-là. Et même des fois, pour mes courses au marché, c’est les autres, des gens du foyer, qui font les courses pour moi…

Quel serait votre souhait aujourd’hui ?

Notre souhait c’est d’obtenir ce que nous aurons de droit, et repartir. Et notamment, c’est ce que j’ai dit monsieur Juppé quand il nous a invité à un repas… enfin au restaurant en face là, dans la galerie Tarty… Je lui ai dit, « Nous on a vieilli, on ne peut plus subvenir à nos besoins, préparer les repas et tout ça, donc on va pas encore revivre une vie de célibataire. Notre souhait c’est de revenir, de retourner auprès des nôtres ! »

Nous on a vieilli, on ne peut plus subvenir à nos besoins…préparer les repas et tout ça… Donc on va pas encore revivre une vie de célibataire ! Notre souhait c’est de revenir, de retourner auprès des nôtres !

Nous on… on ne peut que remercier ceux qui luttent pour nos droits, et qui œuvrent pour… pour le bien, pour leurs frères ! Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Nous sommes, dans une prison ! C’est ce que j’avais dit à monsieur Juppé ! C’est comme quelqu’un qui a passé une garde à vue, la nuit jusqu’au matin. Ici, quand on rentre chez soi, on s’enferme et voilà, personne nous voit, personne nous trouve. Il y a deux mois, il y a quelqu’un… un jeune de Kénitra… il est décédé. Il est resté dans la chambre, et personne ne le savait jusqu’à ce que… jusqu’à ce que les odeurs nous alertent… Et une autre fois, pour un Algérien, c’était pareil… Quel jour nous sommes ? Jeudi ? Il y a neuf jours à peu près, il y a quelqu’un qui est de Khénifra [?] qui est décédé dans la nuit. C’est un cousin à lui qui l’a trouvé le lendemain matin… Heureusement qu’il n’a pas fermé la porte à clef, qu’il l’a poussée, et qu’il l’a trouvé comme ça par terre, déjà… déjà mourant ! Il est… Il est  à la morgue, il attend d’être rapatrié au Maroc…

Et tout à l’heure, quand vous parliez de cette rencontre avec monsieur Juppé, vous avez pu vous exprimer par rapport à ce que vous vivez ? Est-ce qu’il vous a rassuré ?

Il nous a promis qu’il va essayer de voir ce qu’il pouvait faire… J’aimerais bien savoir, nous sommes dans un… un seul État… une seule loi… Il y a des différences. La Caisse des Dépôts, dès que tu dis que tu pars, ils coupent ! La CRAMA, ils disent bon, si vous partez on… on vous laisse 50%… Comment ça se fait qu’il y a deux poids deux mesures ?!

À la base de tout ça c’est la pauvreté… Sinon, on ne se serait pas séparé de nos enfants. On ne va pas les laisser comme ça !

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