Ancien combattant marocain
Né en 1925
Engagé en 1944 (Seconde Guerre Mondiale)
Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des anciens combattants marocains, un entretien avec M. Amar Mellouk a été enregistré le 26 mars 2009 dans les locaux de l’association ALIFS. Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.
MARIE-JULIA POHOSKI – Est-ce que vous pouvez nous parler de votre vie avant l’engagement militaire ? Qu’est-ce que vous faisiez ?
AMAR MELLOUK – J’étais à l’école coranique… Le roi du Maroc, à l’époque, il disait qu’il fallait participer à la défense de la France face aux Allemands. Donc, ceux qui voulaient y aller, ils pouvaient s’engager… J’ai rencontré un ami, j’avais 18 ans à l’époque et je me suis engagé le 14 juillet 1944. Je suis allé au quartier où on s’engageait. J’ai passé la première visite. J’ai été refusé. J’ai refait une deuxième visite et là j’ai été accepté ! Si je me suis engagé, c’est par rapport à l’occupation et à la guerre avec Allemands ! Au départ, c’était mal vu de s’engager. Mais quelques temps après, bon… Les gens de l’entourage, de notre tribu, n’acceptaient pas cela. Mais les gens qui s’engageaient, ils savaient pourquoi ! Moi, je suis orphelin. J’avais qu’une sœur, j’avais plus mes parents… Donc il n’y avait personne qui pouvait me poser de soucis par rapport à mon engagement… Et si j’avais à le refaire, je le referai, je me battrai toujours pour la France.
Quelles opérations vous avez connu ? Dans quels pays vous êtes allé ?
On est arrivé de Tazaa, on a débarqué à Belfort. Une nuit après, on est parti en Alsace. C’était en décembre 44. J’étais près d’un grand fleuve en Alsace, et je suis tombé malade, une bronchite. J’ai dû repartir à l’hôpital en mars 45, j’étais à Aurillac un mois en convalescence. Après je suis parti à Marseille et de Marseille, je suis rentré au Maroc. C’était l’armistice.
Est-ce que vous pouvez nous parler un petit peu de la vie au front ?
Je me souviens, il faisait très froid, il y avait la neige. Bien sûr, il y a des coups de feu tout le temps. La journée ressemblait un peu à la nuit… Un jour, il y a eu une attaque… à droite c’était les Américains, à gauche c’était les Français, et on était entre deux feux. Eux, ils croyaient que c’était les Allemands, ça a duré vingt-quatre heures avec des tirs de partout… Grâce à Dieu, nous étions quelques-uns à être sauvés ! Il y a eu beaucoup de morts autour de moi… Moi, à un moment, j’ai traversé un petit ruisseau avec des balles qui passaient de partout. Et à un moment, les Alliés se sont aperçus qu’on était parmi eux.
Un jour, il y avait une attaque… À droite c’était les Américains, à gauche c’était les Français, on était entre deux feux. Eux, ils croyaient que c’était les Allemands, ça a duré 24 heures avec des tirs de partout…
Est-ce que vous vous rappelez aussi comment vous étiez vu par les autres combattants et par les autres pays quand vous arrivez pour combattre à leurs côtés ?
Moi j’étais plus avec des Marocains. Les Africains, notamment les Sénégalais, ils étaient un peu plus que nous. Il y avait surtout les Marocains, les Tunisiens et les Algériens. Ça se passait bien entre nous ! Mais notre but c’est de tirer [rires légers]… On n’avait aucun contact avec les civils. On les voyait mais on n’avait aucun contact.
Est-ce que vous pouvez nous parler des conditions de vie pendant la guerre ? Est-ce que vous étiez logés ? Et la nourriture, comment ça se passait ?
On n’avait pas de lieux pour dormir. On était dehors ! On s’abritait à peine dans des maisons abandonnées… Par rapport à la nourriture, c’était tout le temps froid, on avait des boîtes de conserves, des rations…
Donc, vous êtes reparti au Maroc pour votre convalescence, est-ce qu’après vous êtes retourné au combat ou vous êtes resté au pays à partir de ce moment-là ?
Non je ne suis pas revenu. Je suis rentré et de Tazaa, je suis allé à Meknès. J’étais réformé par l’armée française, donc inapte au travail. J’avais eu une bronchite pulmonaire, qui a entrainé la tuberculose et m’a rendu inapte à toute activité.
À votre retour au Maroc, vous vous êtes renseigné sur les pensions auxquelles vous alliez avoir droit en tant qu’ancien combattant ?
Franchement, personne ne s’occupait de nous. C’était Oufkir qui était général… On nous disait que c’était Oufkir qui s’occupait de ça, à Rabat… Mais, nous, on en voyait jamais la couleur !
J’avais une bronchite pulmonaire qui m’a rendu inapte à toute activité…
J’avais une petite pension dès ma sortie, quand j’ai été réformé. Après dans les années 60, j’ai écrit, donc ils m’ont envoyé une petite aide qui représentait 400 000 francs marocains… À l’époque ça faisait quelques reals, 4 ou 5 dirhams ! Vu que j’étais inapte au travail, dès que je produisais des papiers, c’était pas possible… Donc, comme j’avais une machine à coudre, j’ai commencé à travailler de la couture à Guercif.
Vous avez réussi à fonder une famille ?
Je me suis marié et divorcé deux fois. Et puis à la troisième fois, c’était la bonne ! Et… j’ai eu dix enfants. Six filles et quatre garçons.
Pourquoi avez-vous décidé de venir en France ?
Ce qu’on recevait là-bas est insuffisant, et puis j’étais fatigué… On a entendu que la France a commencé à dédommager, en termes de pensions, certains anciens combattants, j’ai donc décidé de venir en France.
Je connaissais quelqu’un sur Bordeaux, un voisin à moi. Il était au foyer du Médoc, donc je l’ai rejoint au foyer… Je suis revenu ici à Bordeaux en 96. Il y avait aussi le Diaconat, c’est l’aide protestante. Et i y avait quelqu’un, Mohamed, qui s’occupait aussi bien de nous !
Et est-ce que vous pouvez nous raconter une de vos journées ?
La journée, je sors le matin. Donc je prends le petit-déjeuner, je fais ma prière et je marche. Je vais jusqu’à Saint-Michel. Du foyer du Médoc jusqu’à Saint-Michel ! Je rencontre mes camarades anciens combattants, c’est là-bas que j’ai appris qu’il y avait une réunion ici, d’ailleurs… Donc je ne sens pas de vide dans ma journée. Je reste jusqu’à la fin de la journée et je repars. Et puis j’ai ma nièce qui est là à Bordeaux, qui fait des études et qui habite à la rue Mouneyra.
Est-ce que maintenant vous vous mobilisez entre vous pour avoir vos droits en tant qu’anciens combattants et pour que votre pension soit ré évaluée ?
C’est difficile de se mettre d’accord mais on aimerait bien y arriver ! On arrive à un certain âge, moi j’ai 85 ans, la plupart sont à peu près de mon âge aussi, donc on est un peu vieux ! Il faut que quelqu’un s’occupe de nous, de cette affaire. Nous, de nous-même, c’est un peu difficile…
J’aimerais bien qu’on nous règle définitivement notre problème, que je puisse repartir aussi définitivement
Est-ce que vous retournez souvent au Maroc ?
J’y vais de temps en temps, mais c’est un peu fatigant, parce que la route est assez longue. Moi j’ai ma femme qui vit là-bas. À un moment, je voulais la faire venir parce qu’elle avait des problèmes de cœur, pour qu’elle puisse se faire opérer, mais on lui a refusé le visa. Donc on a dû l’opérer à Rabat et ça a coûté très, très, cher, 20 millions marocains au total, à peu près 20 000 euros donc. On a pu faire cette opération grâce à la solidarité des gens au Maroc, qui nous ont aidés, qui ont participé pour la financer… Maintenant, elle ne peut pas venir parce qu’elle a des problèmes de santé. Elle a, en plus de son opération du cœur, le diabète, comme moi.
Donc, vous, vous aimeriez la rejoindre ?
Oui… J’aimerais bien qu’on règle définitivement notre problème pour que je puisse repartir aussi définitivement. Mais la France sera tranquille et « débarrassée » de nous comme ça ! Je pense que 99%, des anciens combattants repartiraient au Maroc s’ils pouvaient toucher leur pension là-bas !
La plus grosse des sanctions ou des punitions qu’on subit aujourd’hui c’est d’être séparé de notre famille, de nos femmes. Un qui est là, et l’autre qui est là-bas, c’est…c’est pas une vie !
Pour finir, est-ce que vous avez quelque chose à nous dire sur vos revendications, est-ce que vous voulez nous en parler plus profondément ?
Premier problème, il y a une incohérence entre la Caisse des Dépôts et Consignation, et la Crama. Il n’y a pas une décision seule et unique dans le traitement des anciens combattants. En plus de cela, il y a les tracasseries administratives. Le contrôle, notamment du passeport, comme si on venait de s’engager… À nous compter les jours, depuis combien de jours on est parti, combien de jours on est resté… Et puis il y avait des gens à qui on a arrêté les versements… Aujourd’hui on ne sait pas si on est engagé ou si on est prisonnier… on veut savoir ce que nous sommes !
La plus grosse des sanctions ou des punitions qu’on subit aujourd’hui, c’est d’être séparé de notre famille, de nos femmes. Un qui est là, et l’autre qui est là-bas, c’est… c’est pas une vie ! D’autant plus que c’est la femme qui est la base de la famille ! Donc si la femme n’est pas là, il n’y a rien !
Aujourd’hui on ne sait pas si on est engagé ou si on est prisonnier…
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