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Hassan SEFFOUR (Partie 1)

Ancien combattant marocain
Né en 1931
Engagé en 1951
Arrivé en France en 2000

Hassan SEFFOUR (Partie 1)
Hassan SEFFOUR (Partie 1)
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Les séquences

Interviewer : Anne-Cécile Godard et Emmanuelle Dubois
Traducteur : Ahmed Nokri
Lieu : Foyer ADOMA, Bordeaux
Date : 17 septembre 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des anciens combattants marocains, un entretien avec M. Hassan Seffour a été enregistré le 17 septembre 2009 au foyer Adoma. Vous trouverez un résumé synthétique de la première partie de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette première partie d’interview en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

ANNE-CECILE GODARD – De quelle région du Maroc êtes-vous ? En quelle année ?

HASSAN SEFFOUR – Je suis de la région de Fez, plus exactement de la province de Taounate, je suis né là-bas d’ailleurs, à la campagne. Vers 12, 13 ans, j’ai été appelé à aller à l’école parce que les autorités y envoyaient les fils de notables. Et, mon père il était responsable dans le gouvernement, français à l’époque du Protectorat. J’ai donc fréquenté l’école jusqu’en… 1947, l’année où j’ai eu mon certificat d’études. Après la mort de ma mère, mon père s’est remarié. J’ai été obligé de quitter la maison parce que je ne m’entendais pas bien avec ma belle-mère. J’ai été voir le directeur des PTT et, comme j’étais à peu près le seul dans le village qui était un peu instruit à l’époque, il m’a engagé ! J’ai travaillé à la poste du village pendant trois ans… Mais comme je m’entendais toujours aussi mal avec ma belle-mère, j’ai décidé de m’engager, d’aller à l’armée.

Comment avez-vous eu connaissance de la possibilité de cet engagement ?

À l’époque il y avait la guerre d’Indochine, et les autorités françaises prenaient cinq ou six camions, et ils allaient dans les campagnes, dans les souks. Et les jours du marché, il y avait toute la région qui venait ! Ils recrutaient alors des gens des campagnes, parce que c’était des « baroudeurs », des gens résistants… Tout le monde savait qu’il y allait avoir un appel à l’engament quand les camions militaires arrivaient dans les souks. Sur le souk, il y avait le contrôleur civil, un commandant, un capitaine, ils venaient de la ville avec leurs militaires, avec leurs comptables, avec leurs médecins et tout. Alors le caïd et le contrôleur civil appelaient un monsieur, un crieur, qui annonçait à haute voix, « Celui qui veut entrer dans l’armée, il monte au bureau, les militaires sont là pour vous intégrer dans l’armée. »

Est-ce que vous en aviez parlé à votre famille de cette volonté de vous engager ?

Je n’ai rien dit à mon père, parce que j’étais quasiment toujours en désaccord avec lui à cause de sa femme. Je me suis donc engagé pour m’éloigner. J’avais une petite sœur qui était toujours avec ma belle-mère. Elle était très mal considérée, ma belle-mère la battait… Moi, je ne pouvais pas voir ça, j’ai préféré m’éloigner de tout ça en m’engageant… J’avais à peu près 18 ans, et c’était le 28 août 1952. Au moment de l’engagement, il y avait la visite médicale. On passait les radios et tout… et si le médecin nous trouve en bonne santé, ils nous prennent automatiquement et nous font embarquer dans les camions sur place. On était engagés à ce moment-là.

À un moment, il a bien fallu que vous le disiez à vos parents pour cotre engagement ?

Mon père est venu me voir à Fez, à la caserne. Il a demandé le chef de poste… Ils m’ont fait demander… Je suis sorti voir mon père… et il m’a dit, « Ce que tu as fait, c’est pas bien, tu es jeune, tu vas partir à la guerre en Indochine…Tu vas te faire descendre là-bas ! ». Je lui ai dit, « Moi je veux partir. » Et il m’a dit qu’il allait réclamer à M. l’intendant de ne pas m’embarquer… Il l’a fait, mais l’intendant lui a dit, « Non, pour lui, c’est trop tard, ça fait quinze jours que ton fils a signé, et cette signature elle est partie en France, à Paris… On ne peut plus rien faire pour annuler l’engagement… »

Une fois arrivé à la caserne à Fez, je suis resté deux mois sans donner de nouvelles. Mon père, il se demandait où j’étais passé… Le caïd lui a dit et mon père est venu me voir à la caserne. Je lui ai alors dit, « Non. Moi je veux partir. »

Je suis donc resté six mois à Fez ! On faisait des entraînements, matin et soir, toujours de nuit parce qu’on se préparait pour la guerre. Vu que je savais lire et écrire le français, le colonel a ordonné que je sois placé dans un peloton français avec les Français, recrutés ou appelés. Et on sortait toutes les nuits, de 4h à 5h du matin. On se préparait pour la guerre…

Comment se passaient les contacts avec ces militaires français ?

Ça a été magnifique, ça a été très bien, parce que je mangeais avec ces gens, avec mon peloton. Mais je ne mangeais pas comme eux, du porc ou du vin. À la place, on me donnait à manger en fonction de ma religion, mais j’étais avec le peloton. Ah oui… Même Michel, le chef, et les responsables, franchement, ils étaient très contents de moi… Vu que j’étais le seul Marocain avec eux et que je faisais bien mon travail, j’étais bien traité.

AHMED NOKRI – Et quel grade on vous a donné ? À quel moment c’est arrivé ?

Le grade, on me l’a donné en Indochine. Au bout de deux ans, je suis passé caporal. Et c’était exceptionnel parce que, à cette époque, on ne donnait pas le grade de caporal après deux ans  de service. Mais, je vous dis, comme je travaillais bien et que j’étais très bien vu par mes chefs, et bien… j’étais favorisé… !

ANNE-CECILE GODARD – Au bout des six mois d’entraînement, on vous a dit vers quelle destination vous alliez partir ?

On a nous a payés d’abord, parce que, vu qu’on était des jeunes recrues, on n’était pas payés. Alors on nous a donné une prime d’engagement, à l’époque 72 000 francs, c’était une somme énorme. Et puis on nous a donné une permission de vingt jours, pour aller voir la famille… C’est là où je suis retourné à la maison.

Comment s’est passé ce voyage jusqu’en Indochine ?

Le voyage a commencé à Fez. De Fez, on est partis en train, on a passé la frontière entre l’Algérie et le Maroc et on est arrivés à Oran. À Oran, je suis resté un mois, en attendant le bateau qui devait nous embarquer. Passé un mois, le bateau est arrivé dans le port. Le « Skaugum ». C’est un bateau militaire. Il transportait un contingent très important, on était 15 000 ! Une fois embarqués, on a pris la mer. Ça a duré un mois… puis on est arrivé au port de Saïgon. Et on est arrivé fin 1952 je crois…

Une fois arrivés à Saïgon, l’état-major a commencé à trier les gens pour les muter dans chaque région… Parce qu’en Indochine il y a tellement de régions… Moi, j’ai été affecté au 6ème Spahis marocain. C’était un régiment motorisé qui se trouvait dans le centre du Vietnam. On est partis par avion puis on a été débarqués dans la ville de Hue, qui est une grande ville côtière. On a passé une nuit là-bas. Une fois arrivés, on s’est rassemblés puis ils ont commencé à trier les gens avec leurs dossiers pour les muter dans chaque compagnie. Moi, j’ai été muté dans le 2ème escadron blindé du 6ème RSM. J’étais placé au 1er peloton.

Le capitaine il a été voir le colonel et il a dit, « Ce monsieur, ce petit marocain-là, il est instruit, il faut qu’on l’envoie tout de suite au stage de transmissions »

Alors, il y avait un sergent-chef français qui était radio, mais alors que sa compagnie avait été relevée, lui était resté deux mois de plus parce qu’il n’y avait personne pour le remplacer. Et le capitaine est tombé sur mon dossier. Il a dit au lieutenant, « Le chef… il a de la chance parce qu’on a un monsieur qui est instruit ». Il m’a demandé où j’avais été à l’école. Je lui ai tout expliqué… Le capitaine il a été voir le colonel et il a dit, « Ce monsieur, ce petit marocain-là, il est instruit, il faut qu’on l’envoie tout de suite au stage de transmissions ». Je suis parti à Hue, avec des Français, des Algériens, des Sénégalais… Et j’ai commencé un stage très accéléré de trois mois… Un stage de transmission des opérateurs radio.

Pour être un opérateur radio télégraphique. Il fallait connaître la géographie, savoir passer des messages, et ces messages, il fallait qu’ils soient camouflés avec des codes spéciaux. Donc il fallait faire une instruction approfondie. Parce que, sinon, si on se trompe, toute la compagnie, tout le bataillon, ils vont se faire zigouiller ! Mais ce stage, ça s’est très bien passé pour moi. Ça a duré trois mois, on a passé l’examen et je suis sorti quatrième ! Après ça, on a été affecté à nos postes de radio. Moi,  j’ai rejoint la caserne PK 17. Elle s’appelait comme ça parce qu’elle était loin de la ville, à 17 kilomètres. D’où « PK 17 ». C’était en pleine campagne. Puis le chef est venu, pour m’observer et finir de me former pendant dix jours. Le chef est ensuite allé voir le capitaine et lui a dit, « C’est formidable ! Il est très bien,  il est autonome, comme moi. » J’ai commencé mon travail, on m’a donné un prisonnier, parce que j’étais jeune, 17-18 ans, et j’avais pas assez de force pour prendre la radio. Il portait la radio, et moi je m’occupais des communications, aussi bien télégraphiques que phoniques.

Parmi les opérations auxquelles vous avez participé, est-ce qu’il y en une qui vous a particulièrement marqué et dont vous pourriez nous parler ?

Oui. Une fois, tout l’escadron a été appelé pour tendre une embuscade à l’ennemi en pleine forêt. Une fois arrivés sur les lieux, on s’est installés, et on a commencé à se camoufler. Et alors, une fois qu’on a fini de monter le bivouac, en pleine nuit, quand on dormait, à 4 heures du matin, ils nous ont encerclés… Ils étaient arrivés avant nous et ils nous ont donné une bonne tannée ! Ah oui… Ils avaient creusé des tranchées où ils avaient planté des bambous très pointus recouverts avec des feuilles d’arbres… on ne voyait rien du tout, on croyait que c’étaient des arbres, c’est tout ! Quand ils ont attaqué, automatiquement, avec la surprise, les gens paniquent, il y en a qui courent, il y en a qui se sauvent… et qui tombent dans les trous-là ! Après, on retrouvait quatre, cinq morts dans chaque tranchée… Ce qui fait qu’il y avait eu beaucoup de pertes chez nous… Le capitaine et le médecin sont morts… un lieutenant est resté vivant, et le peu de troupes qu’il restait, il les a réunis et puis il a contre-attaqué jusqu’au repli de l’ennemi. Mais on a eu beaucoup, beaucoup de dégâts. Ensuite, on est parvenus à rentrer à notre camp.

Vous n’avez jamais eu des contacts amicaux avec des habitants de l’Indochine ?

Non, pas du tout. Nous, ces gens-là, on ne pouvait pas leur faire confiance, parce que, même les femmes, les enfants, ils étaient tous contre les troupes françaises. Là-bas, du point de vue du climat, il faisait très, très, très, très chaud. Il y avait beaucoup de maladies aussi. On circulait toujours, il y avait beaucoup de marécages, des endroits où il y avait de l’eau et il y avait beaucoup de moustiques. Moi, par exemple, je suis tombé malade, j’ai eu le paludisme en me faisant piquer. On ne pouvait pas dormir si on n’avait pas une moustiquaire. C’est la première des choses qu’ils nous ont donnée au paquetage à partir de Saïgon, une tente et une moustiquaire. Parce que sinon, peut-être que dès le lendemain, on serait mort avec les piqûres de moustiques. C’était vraiment dangereux.

Beaucoup d’anciens combattants marocains, que nous avons interviewés, nous on dit que les unités de Marocains, d’Algériens, de Français, de tirailleurs sénégalais, ne se mélangeaient pas et restaient entre eux. Qu’en pensez-vous ?

C’est vrai. Une fois par exemple, mon escadron a eu un conflit avec un régiment algérien. On s’est tiré dessus parce qu’il y a eu des mots de travers… Les Algériens ne pouvaient pas laisser passer, les Marocains non plus. Donc, il y a donc eu une dispute. Automatiquement, on s’est servis des armes… Et il y a eu des morts. Beaucoup de morts. Aussi bien du côté marocain que du côté algérien. Le temps que les officiers interviennent, c’était trop tard, il y avait des dégâts partout. À partir de ce jour-là, l’armée a fait en sorte que quand on envoyait un bataillon marocain dans le nord, le bataillon algérien soit au sud. On ne se croisait plus du tout.

AHMED NOKRI – Est-ce que ça avait un rapport avec la guerre d’Algérie ?

La guerre d’Algérie, je ne l’ai pas faite moi. J’ai refusé d’y participer. On m’a désigné pour aller en Algérie. Mais moi, j’ai dit carrément, « Non, je peux pas y aller ». Ils m’ont demandé pourquoi. Alors j’ai dit, « Parce que, quand même, en face c’est des musulmans, c’est des copains… Il y a quand même des femmes marocaines qui sont mariées à des Algériens, des femmes algériennes qui sont mariées avec des Marocains. Moi je refuse, je ne peux pas y aller ». Et il était même question de me renvoyer de l’armée pour ça. Mais heureusement, il y avait le colonel, il est intervenu pour dire, « Quand même lui, il est direct, il est franc », et il a accepté ma position…

ANNE-CECILE GODARD – Est-ce que vous avez gardé contact avec des gens avec qui vous avez fait ces combats ?

Oui, j’ai des contacts. Par exemple il y avait un adjudant-chef, c’était mon chef de section, je lui écrivais et il me répondait toujours, même avec les années… Un jour, il a été envoyé au Maroc, dans le même régiment où j’étais avec l’Armée royale. Il était aux transmissions lui aussi ! On s’était retrouvés, c’était magnifique. Il était marié et je l’ai invité avec sa femme et ses enfants !

La guerre d’Algérie, je ne l’ai pas faite moi. J’ai refusé. On m’a choisi aussi, on m’a désigné pour aller en Algérie. Mais moi, j’ai dit carrément, « Non, je peux pas y aller ».

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