Ancien combattant marocain
Né en 1923
Engagé en 1942
Arrivé en France en 1996
Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des anciens combattants marocains, un entretien avec M. Hamou Ouachi a été enregistré le 20 mai 2009 au foyer Adoma. Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.
HAMOU OUACHI – Je m’appelle Benhamou Benachir. J’ai 86 ans. Avant que je m’engage, j’avais à peu près 20 ans, je faisais de l’élevage, un peu d’agriculture… J’étais au Maroc dans la région d’Oulmès.
Il y avait des soldats qui revenaient, ils avaient des permissions. Vu qu’ils revenaient de Meknès, je suis parti dans cette ville ! Je me suis engagé en 1942… jusqu’en 1956. Il y avait aussi mon frère qui était avec moi au service. Mon frère a passé 15 ans dans l’armée, il a eu sa retraite, mais il n’est jamais venu en France ensuite. On s’est engagé pour pouvoir vivre, parce qu’on n’avait pas fait d’études, on ne faisait pas grand-chose… donc c’était une solution.
AHMED NOKRI – Quand vous vous êtes engagé, vous avez fait quelles guerres, quelles batailles ?
La Seconde Guerre mondiale. J’étais dans le bataillon 69 RRA. En 1942, on a fait l’instruction… Peu après, les Américains sont rentrés au Maroc par Mehdia. Après nous sommes partis d’Alger en Corse. Ensuite, nous sommes partis de Corse, on est allé à Naples. On a fait la guerre en Italie puis en France jusqu’au 11 mai 1944.
Chaque canon envoyait 100 boulets. L’artillerie a tiré toute la nuit. Et au matin, les Allemands n’étaient plus là…
En Italie, à la montagne 16, il y avait l’armée française, anglaise et américaine. La France au milieu, les Anglais à droite et les Américains à gauche. Avant la bataille, les Américains avaient préparé 1200 canons, les Français en possédaient 800 et, les Anglais, 1000. Chaque canon envoyait cent boulets. L’offensive était programmée pour le 11 à 23H00. Ça a duré toute la nuit, jusqu’au matin. Et, la matinée, les Allemands n’étaient plus là. Comme ils avaient déjà subi une première défaite, ils reculaient petit à petit. Et nous, on marchait tous les jours 3 kilomètres, 5 kilomètres…
Est-ce que vous côtoyiez d’autres nationalités, comme les Sénégalais par exemple ?
Les soldats se regroupaient selon le pays. Les Tunisiens restent avec les Tunisiens, les Marocains avec les Marocains et les Sénégalais avec les Sénégalais.
Après cette bataille, est-ce que vous avez fait d’autres batailles ?
Oui, j’ai continué la guerre après l’Italie, en France, et jusqu’à la défaite de l’Allemagne. Hitler a été battu. L’un de ses chefs, Himmler, aussi, il a été tué, et encore d’autres…
Avez-vous participé à la Guerre d’Algérie ?
Non, je n’ai pas voulu en Algérie pour participer à la guerre. Je n’étais en accord avec mon capitaine. J’étais chef de grade, je me suis plaint et après, je suis reparti avec le regroupement que l’on appelle les « Goums ».
Une fois la Seconde Guerre mondiale finie, est-ce que vous avez participé à une autre guerre ?
Oui, j’ai participé à la guerre d’Indochine. On est partis d’Oran à Saïgon en 1950. On est allé dans une région qui s’appelle le Tonkin. En haut de Tonkin, on est partis à jusqu’à Hai Phong. Après, on est partis dans une région montagneuse. C’était en état de guerre ! Au départ c’était difficile parce qu’on ne connaissait pas la région, mais après, on s’est adapté à l’environnement et c’était plus facile pour nous.
ABDELLAH AHABCHANE – Est-ce que vous avez eu des relations avec eux ? Est-ce que vous en avez connu ?
J’avais un prisonnier pendant dix-huit mois. Il était sergent… dans l’armée, de l’autre côté, de l’Indochine. Ho Chi Minh en était le chef, bien sûr… avec Maârouf… C’était le chef de guerre d’Ho Chi Minh, qui dirigeait bien sûr les batailles lui. Ce Maârouf, il est d’origine Marocaine mais on ne sait pas de quelle ville…
Quand je suis arrivé à la retraite, ils m’ont donné 10 000 reals… Environ 50 €. C’est la même retraite que je touche, et jusqu’à aujourd’hui, elle n’a pas bougé.
Après votre service, vous êtes rentré au Maroc ? Qu’est-ce que vous avez fait à ce moment-là ?
J’ai quitté l’armée en 1956, et j’ai repris l’élevage et l’agriculture.
AHMED NOKRI – Est-ce que vous avez une retraite ?
Quand je suis arrivé à la retraite, ils me donnaient 10 000 reals… Environ 50 euros.
Est-ce que vous vous êtes engagé après dans l’Armée royale ?
Non, je me suis pas engagé, non. Moi j’ai repris ma vie normale comme agriculteur, plutôt petit paysan. Et après je suis venu ici quand on a appris qu’il y avait des foyers etc. Ça nous poussé à commencer à réfléchir à venir en France et à avoir un hébergement ici.
Quand vous êtes revenu au Maroc, la retraite était gelée, c’est ce qu’on appelle la cristallisation, est-ce que vous le saviez ?
C’est la même retraite que je touche, et jusqu’à aujourd’hui, elle n’a pas bougé. Mais non, je ne le savais pas. On ignorait tout ça. Personne ne nous défendait, y compris l’État marocain. Une fois qu’on a quitté l’armée, personne ne nous a défendu.
Quand est-ce que vous êtes venu en France ?
Je suis venu en France il y a un an et un mois.
Quand vous avez quitté l’armée, quelle a été votre vie ? Vous avez eu des enfants…?
Je me suis marié quand je suis revenu d’Indochine. Je me suis marié une fois, je n’ai pas eu d’enfants. Je me suis remarié une deuxième fois et j’ai eu dix enfants. Cinq filles et cinq garçons.
Comment se passe votre vie ici ?
Je suis revenu ici pour… réclamer mes droits ! Ma vie ici… ces derniers mois j’ai eu un accident, je me suis fait renverser par un bus et j’ai maintenant une entorse au niveau de la hanche droite. J’attends qu’on me réponde… Pour la CRAMA, j’ai préparé les papiers, j’attends leur réponse… Je fais des allers-retours au pays, mais s’ils règlent notre problème définitivement, mon souhait c’est de repartir, bien sûr, définitivement.
ABDELLAH AHABCHANE – Comment se passe une journée ici ?
On reste assis ici, on se voit entre nous… Mais c’est pas une vie normale… J’essaie un peu de me balader, mais c’est vrai que bon… on est tout le temps ici et c’est pas bon non plus pour la santé…
Lors de la Deuxième Guerre mondiale, qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
Quand on a embarqué en Corse, le plus dur pour nous c’est qu’on ne mangeait pas à notre faim. On avait très faim et il n’y avait pas grand-chose à manger. Mais par contre, quand nous sommes allés en Italie, nous avons mangé à notre faim. Après on a continué…
Je ne peux pas vous dire le nombre, mais il y a beaucoup beaucoup de gens qui ont laissé leur vie.
Il y a eu beaucoup de morts… Mais de toute manière, depuis 1907, les Marocains participent à l’effort de guerre avec la France, et il y a des morts… on peut dire jusqu’aujourd’hui ! Je ne peux pas vous dire le nombre, mais il y a beaucoup, beaucoup, de gens qui ont laissé leur vie.
Vous avez parlé tout à l’heure d’un certain Maârouf. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Maârouf, de ce que j’en sais, il était traducteur… écrivain-traducteur à Azilal. Il faisait de la politique, il était dans la résistance marocaine par rapport à l’armée française, parce que le Maroc était sous protectorat. Et il s’est fait arrêter, ils l’ont même emprisonné, ils l’ont mis dans un silo. Il y avait des soldats qui surveillaient la prison, et ils se passaient à tour de rôle la clé de sa cellule. Et Maârouf, il avait un ami… un copain sergent qui était dans l’armée française, qui lui a dit, « Si tu veux t’échapper, je peux te donner cette possibilité ». Le sergent en question, c’était un français qui faisait partie de l’armée française. Il est passé par la Russie… Maârouf connaissait Mohamed V à l’époque, qui l’a aidé à quitter le Maroc. Puis il a rejoint Hô Chi Minh, en passant par la Russie. Sa femme était française et elle est partie avec lui. Maintenant, je ne sais pas ce qu’il est devenu.
Je voudrais revenir sur un point. Quand vous êtes parti d’Oran en l’Indochine, comment s’est passé le voyage ?
On était allé à Oran, on a fait une grande fête, on a tué les moutons, on a bien mangé et le lendemain, on a embarqué, on a pris le bateau via la Méditerranée. On est passé par Port Saïd et le canal de Suez, puis le Yémen, jusqu’à la Mer Noire… C’est une mer très, très dangereuse. Le bateau n’allait pas dans les ports, il n’avait pas le droit parce qu’il n’y avait que des petits bateaux qui allaient chercher des provisions qui pouvaient accoster.
AHMED NOKRI – Pourquoi avez-vous dit que la Mer Noire était dangereuse ?
Pendant cinq jours, il y avait de grosses vagues énormes… Quand elles arrivaient par devant, on avait l’impression que le bateau allait s’écrouler à l’arrière. Quand ça arrivait par l’arrière, c’était l’inverse, on avait l’impression qu’on allait plonger dans les profondeurs, on avait des vagues de côtés, ça penchait complètement à droite si ça arrivait de la gauche et inversement… et en plus, pendant cinq jours, on avait rien mangé !
ABDELLAH AHABCHANE – Est-ce que votre vie ici est facile ou difficile et est-ce qu’il vous manque quelque chose ?
C’est un peu difficile, d’autant plus que j’ai eu un accident, je me suis fait renverser par un bus, comme j’ai dit tout à l’heure. Heureusement, mes voisins et mes copains, c’est des gens de la région de Zemmour, m’aident, ils me préparent la nourriture…
Je fais des allers-retours, mais s’ils nous règlent notre problème définitivement, mon souhait c’est de repartir définitivement.
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