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Mohamed MECHTI

Ancien combattant marocain
Né en 1919
Engagé en 1939
Arrivé en France en 1997
Décédé en janvier 2010

Mohamed MECHTI
Mohamed MECHTI
/
Les séquences

InterviewerLoïc Le Loët
Traducteur : Abdellah Ahabchane
Lieu : Foyer ADOMA, Bordeaux
Date : 12 mai 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des anciens combattants marocains, un entretien avec M. Mohamed Mechti a été enregistré le 12 mai 2009 au foyer Adoma. Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

MOHAMED MECHTI – Je m’appelle Mechti Mohamed Ben Mohamed. Je suis né le 31 décembre 1919 et je suis rentré dans l’armée française le 7/11/39. J’étais agriculteur à Ouazzane, je m’occupais du bétail, des vaches, des brebis… Nous étions une fratrie de sept enfants, j’avais deux sœurs et quatre frères et j’étais l’ainé.

LOÏC LE LOËT – Pour quelles raisons vous êtes-vous engagé dans l’armée française ?

C’était l’armée française qui nous poussait à nous engager. Tous les gars qui avaient 19 ou 18 ans, elle les poussait à s’engager. Tous les gens du douar, du village, étaient poussés à s’engager. C’était le caïd de la  tribu qui faisait le recrutement. L’armée française lui disait d’enregistrer tous ceux qui ont 18-19 ans et qui sont en âge de s’engager. Et moi, j’ai été engagé au 7ème RPM, à Ouazanne. On a fait un stage de six mois avant de partir au régiment de Taza.

Quand vous vous êtes engagé, quelle a été la réaction de vos parents ?

Bien entendu, nos parents, ils n’étaient pas d’accord… Il n’y avait personne… La plupart des gens n’étaient pas d’accord pour s’engager. Mais bon, nous étions obligés de le faire ! Et je préférais m’engager que d’aller en prison… Mais franchement, si c’était à refaire… Je n’y serai pas allé !

La France avait besoin de gars, pour l’effort de guerre, en 39-40 surtout. Ça commençait à ce moment là. Donc, nous étions obligés, voire forcés, nous n’avions pas le choix.

Quel rôle occupiez-vous dans l’armée française ?

On était encore jeunes, on était deuxième classe, on venait de s’engager… J’avais un fusil mitrailleur, donc on a fait les stages de mortier… Les mortiers 50, 60…

Dans votre bataillon ou dans votre régiment, est-ce qu’il y avait d’autres personnes issues d’autres pays de l’Afrique ?

Il n’y avait que des Marocains… que les Marocains et les Français, c’est tout !

Quelles opérations avez-vous connues ? Vous avez fait la Tunisie et ainsi de suite ?

Avant ça, je vais parler du contexte de la guerre. En 39-40, la France n’avait pas beaucoup de matériel. Il y avait très peu de fusils, trois sortes de fusils… C’était le général Goumblain qui dirigeait l’armée française à cette époque… À ce moment-là, on distinguait deux zones, la zone occupée par les Allemands et la zone libre gouvernée par Vichy et Pétain. Hitler avait demandé au Maréchal Pétain, « Qu’est-ce que vous avez au Maroc ? ». Le Maréchal Pétain lui avait dit, « On a que des gens malades, fatigués, il n’y a pas grand-chose ». Et il a demandé au général Laval de partir en inspection là-bas au Maroc, et de cacher toute l’armée qui y était.

Laval, quand il est venu, il nous a demandé de cacher le matériel, de partir dans la forêt où on a creusé des tranchées et où on a enterré du matériel. Donc on a gardé chacun un fusil et puis on était plus ou moins habillés, des fois presque nus, on n’avait pas les vrais habits de militaires, pour montrer aux Allemands que l’armée qui était au Maroc… était faible ! Les Allemands quand ils sont venus au Maroc, ils ont fait leur inspection, ils ont visité tous les quartiers militaires et ils n’ont pas trouvé grand-chose donc ils sont repartis. Une fois que les Allemands sont partis, nous sommes revenus de la forêt… Mais des fois on allait en montagne, on faisait des travaux la journée, des fois la nuit…

Le général de Gaulle est venu nous faire un discours… Il disait que nous étions des hommes courageux et que nous aurions les mêmes droits que les autres soldats

En 1942, le général de Gaulle était en Syrie. Fin 42, les Américains sont arrivés au Maroc. Les Allemands, quand ils l’ont appris, ils occupaient à ce moment-là toute la France, la Belgique et d’autres pays… L’Italie, la Tunisie… Il y avait des affrontements qui se sont produits en Tunisie entre les Allemands, d’un côté, et les Américains de l’autre, mais avec les Américains, il y avait les tirailleurs marocains, les Goums, qui participaient bien sûr. Nous n’avions pas encore assez de matériel, et en juin 43, on a rassemblé tous les soldats, tous les tirailleurs marocains autour de la région de Eljhab, parce qu’on attendait que les Américains nous donnent du matériel. Nous avons eu le matériel des Américains fin 1943. Une fois testé rapidement ce matériel, on est partis en Algérie. Le général de Gaulle est venu fin octobre 43 en Algérie.

Il y avait les Anglais à droite, division américaine à gauche, division française au milieu, avec nous, la division marocaine ! Et le général de Gaulle est venu nous faire un discours… Il disait que nous étions des hommes courageux, et, « Ne vous inquiétez pas, vous allez participer à la libération de la France, mais vous aurez aussi tous les mêmes droits ». Nous étions bien sûr tous très contents, je m’en rappelle bien de ça parce que je voyais le général juste en face de moi !

Il y avait des blessés et des morts partout… Moi, j’ai eu beaucoup de chance de m’en sortir

Le 9 novembre, nous avons embarqué à Bizert par bateau, pour aller en Italie. Nous sommes arrivés dans les montagnes italiennes. Il faisait froid, on voyait la neige. Tous les Marocains, nous étions au front. Et le 20 novembre, c’était l’Aïd el Kébir, c’était la fête du sacrifice du mouton. Le général de Gaulle a donné l’ordre de faire la fête du sacrifice du mouton le matin, pour préparer l’attaque le soir même ! (méchoui, etc.). Donc, nous avons tué plein de moutons que nous avons eu en Italie, puis dans la matinée, bon on préparait les méchoui et tout ça, et à ce moment on a reçu le message, « Les Allemands sont en train d’avancer », donc nous sommes partis et nous avons tout laisser tomber, les moutons qui étaient en train de cuire…

Le jour même, en fin de journée, on commençait à monter sur les montagnes toutes enneigées et les premiers affrontements ont commencé ce jour-là. Et nous avons laissé de côté des tirailleurs marocains, au moins 20% des troupes. Nous étions bloqués, on cherchait comment faire pour sortir de cette situation. À un moment, il y a trois avions qui sont arrivés et qui nous bombardaient… Donc il y avait des blessés et des morts partout… Moi, j’ai eu beaucoup de chance d’être sauvé…

Pendant que les Allemands étaient occupés avec la moitié de la division, nous, on a attaqué par le côté droit. Quand nous sommes arrivés, on a trouvé les Allemands dans un état complètement pitoyable…

[M. Mechti décrit en dessinant en l’air, le Monte Cassino]

On montait sur le Monte Cassino. Les Allemands ils étaient très équipés ils avaient des… des canons, mais très puissants et qui nous tiraient dessus. On y a laissé déjà 80% de nos camarades… Il y avait six régiments : les Goums, des tirailleurs algériens, des tirailleurs tunisiens et du Sénégal… On s’est organisé de la façon suivante. On a mis trois régiments à gauche et trois régiments à droite. On a partagé la division en deux. L’ordre a été donné à ceux qui étaient à gauche d’attaquer [les Français]. Et pendant que les Allemands étaient occupés avec la moitié de la division, nous, on a attaqué par le côté droit. Quand nous sommes arrivés, on a trouvé les Allemands dans un état complètement pitoyable… Mais il y a eu beaucoup de pertes en Italie… Beaucoup plus de notre côté… Beaucoup plus de pertes des tirailleurs marocains que de Français.

Il y a eu beaucoup de pertes en Italie… Beaucoup plus de notre côté… Beaucoup plus de pertes de tirailleurs marocains que de Français.

En France, dès qu’on est arrivé, les Allemands reculaient. Mais, par contre, en Italie, c’était un affrontement direct. On a poursuivi les Allemands jusqu’à Florence, après on a fini dans la région de Nice, là, on s’est amusé à prendre un peu des photos et visiter la région. On a poursuivi les Allemands jusqu’au 16 mai 1945. En 45, quand il y a eu l’Armistice, nous, les Arabes, les Marocains, nous étions peut-être beaucoup plus contents que les Français eux-mêmes.

Et en quelle année êtes-vous revenu au Maroc ?

Je me suis engagé pendant 8 ans, et je suis parti en 1948. De 48 jusqu’à 1950, j’étais civil, puis après je me suis ré engagé dans l’armée française pour aller en Indochine. J’y suis resté de 1951 à 1954. Ce qui s’est passé en Indochine, c’était encore pire que ce que nous avons vu pendant la Seconde Guerre Mondiale… Je me rappelle un jour en Indochine, c’était en 1951, on se préparait à célébrer la naissance du prophète… et les soldats vietnamiens sont arrivés d’un coup et ils nous ont attaqués. Nous étions 40 et après cette opération, il en restait que 11 hommes parmi nous. Ce jour-là… le fils du Général Delattre est mort. Il était avec nous… et d’autres aussi, un capitaine, un adjudant et puis… et puis bien d’autres !

Quel grade aviez-vous à ce moment-là ?

J’étais caporal à ce moment-là.

ABDELLAH AHABCHANE – Est-ce que vous aviez des contacts avec la population ?

Oui j’en avais beaucoup. On les croisait souvent. Mais il faut dire aussi une chose, c’est pas eux qui ont gagné la guerre, c’est leur terre ! Parce que leur terre est très, très difficile… pour s’adapter, c’était vraiment difficile… C’est un avantage important ! Je suis ensuite revenu en 1957 au Maroc et je suis parti en retraite.

Aujourd’hui, je touche 79€, pour 16 ans de service… Quand on était à la guerre, on était tous pareil ! Ce qui n ‘est pas le cas maintenant.

LOÏC LE LOËT – Au retour au Maroc, qu’est-ce que vous avez fait ?

On faisait des petits boulots, on travaillait par-ci, par-là, dans des carrières… parce que j’avais une toute petite retraite, trop petite pour vivre normalement. Aujourd’hui, je touche 79 euros, pour seize ans de service… Quand on était à la guerre, on était tous pareil ! Ce qui n ‘est pas le cas aujourd’hui.

Avez-vous fondé une famille à un moment donné ?

Oui, je me suis marié en 1950, juste avant de partir en Indochine. J’ai eu 5 enfants, 2 filles et 3 garçons.

Est-ce que vous avez été au courant que le parlement français a voté la cristallisation de vos retraites ?

Oui, oui, je le savais. C’est l’article 71. Et quand ça a été décidé, oui j’étais au courant. Je suis alors venu le 22 août 97 en France. Il y avait un jeune homme qui nous a accueillis… et qui nous a accompagnés dans nos démarches. Là, on a fait des paperasses, et maintenant on touche une petite pension de la Caisse des Dépôts et Consignations.

Est-ce que vous pouvez nous décrire une journée type que vous passez ici à Bordeaux ?   

Un jour ici, on dirait deux jours… Donc c’est difficile… On souffre un peu, donc ce qu’on attend, c’est qu’on nous donne nos droits et pour pouvoir repartir. Il faut, ici en France, qu’ils pensent à nous comme nous avons pensé à eux au moment où nous étions en guerre ! Parce que, quand on faisait la guerre, on la faisait comme si c’était aussi pour nous. On ne faisait pas de distinction entre les Marocains, les Français ou les autres.

Vu mon âge aujourd’hui (j’ai 90 ans), j’attends pas grand chose… Mais au moins pour le principe, pour le droit, il faut que les responsables fassent quelque chose…

Nous nous sentons comme des victimes ! Et puis en plus, les personnes qui auraient pu s’occuper de nous, c’est-à-dire qui nous dirigeaient à l’époque dans l’armée, ils ne sont plus là. Et ceux qui sont là aujourd’hui, qui dirigent, ils ne connaissent pas forcément notre réalité… Le tribunal a jugé en notre faveur, mais ça n’est toujours pas appliqué, parce qu’il y a des gens, sûrement, qui s’opposent à cela…

Un jour ici, on dirait deux jours… C’est difficile… On souffre ! Donc ce qu’on attend, c’est qu’on nous donne nos droits pour qu’on puisse repartir.

Moi je voudrais dire… Vu mon âge aujourd’hui (j’ai 90 ans), j’attends pas grand-chose… Mais au moins pour le principe, pour le droit, il faut que les responsables fassent quelque chose.  Je n’aspire plus à grand-chose vu l’âge que j’ai… Il faut aussi se souvenir de l’effort que nous avons fait. Nous étions comme des frères ! Parce que nous avons grandi presque ensemble… Tiens, je vais vous raconter une anecdote. Imaginons que deux personnes que je croise sur la route se battent… disons un Français et un Belge. À votre avis, qui c’est que je vais défendre ? Bien sûr, ça va être le Français !

Choukran, merci beaucoup…

[Et pour finir M. MECHTI chante l’air de la Marseillaise au micro]

Il faut se souvenir de l’effort que nous avons fait. Nous étions comme des frères ! Parce qu’avec les Français, que ce soit au Maroc ou après, nous avons grandi presque ensemble…

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