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Abdellah MASSOUR

Ancien combattant marocain
Né en 1934
Engagé en 1948
Arrivé en France en 2008

Abdellah MASSOUR
Abdellah MASSOUR
/
Les séquences

Interviewer : Anne-Cécile Godard, Emmanuelle Dubois
Traducteur : Ahmed Nokri
Lieu : Foyer ADOMA, Bordeaux
Date : 17 septembre 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des anciens combattants marocains, un entretien avec M. Abdellah Massour a été enregistré le 17 septembre 2009 au foyer Adoma. Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

ANNE-CÉCILE GODARD – D’où venez-vous et que faisiez-vous avant de vous engager ?

ABDELLAH MASSOUR – Avant de m’engager j’étais agriculteur… Je cultivais le blé, les olives, en montagne. J’étais à Ouled Ali Jemaa et c’était Marrakech qui avait le pouvoir sur la région de El Kelaâ des Sraghna. J’avais 15 ans lorsque j’ai voulu m’engager et on m’a dit qu’il fallait avoir deux ans de plus pour s’engager. Mais l’armée m’a dit qu’il fallait avoir 16 ans.

C’était pour l’argent ! On s’engageait pour l’argent. À l’époque, on ne connaissait pas la liberté… Donc c’est la France qui est arrivée et point ! Et à l’époque… on était jeunes !

Puis lorsque j’ai voulu m’engager, l’adjudant ne voulait pas. Je lui ai quand même dit que je n’avais pas de famille. L’adjudant a dit, « Écoute, tu vas tenter ta chance avec le médecin, tu vas essayer. Si ça marche, pourquoi pas… » C’est ce que j’ai fait et j’ai été accepté ! J’étais au service du génie, pour m’occuper de tout ce qui est télécommunications, électricité et téléphone. Et si on s’engageait, c’était pour l’argent. À l’époque on ne savait pas grand-chose sur la liberté… On était jeunes, on avait besoin d’argent et la France est arrivée…

Dans quel pays êtes-vous allé et comment s’est passé le voyage ?

Tout d’abord, on a commencé par Marrakech, où on a fait un stage. Ensuite, on s’est déplacés à Casablanca, puis à Ain Harrouda, où on a passé un stage pour la conduite. C’était pour être chauffeur. Je suis resté huit mois à Marrakech, puis encore huit mois à Casablanca. C’est là où j’ai passé mon permis. À partir de Casablanca, nous sommes allés directement à Oujda, et d’Oujda, où il y avait le groupement d’attachement, on est allé à Oran, en Algérie. On est resté dix jours dans l’attente du bateau, et jusqu’à l’arrivée de tout le monde pour partir en Indochine.

Les militaires de la légion, ils s’adonnaient à la « bibine », donc l’alcool à base de riz… Ça, quand tu le buvais, tu ne savais plus où tu étais ! Donc, les Indochinois rentraient la nuit dans les postes où il y avait les Sénégalais ou les légionnaires qui avaient bu pour leur piquer les armes.

Le premier voyage a duré trente-trois jours et le bateau s’appelait le Cali. J’ai passé deux ans et demi en Indochine et, après, je suis revenu dans le bateau Pasteur, qui a mis dix-sept jours pour retourner jusqu’à Oran… Donc en 1950, j’étais en Indochine. Nous sommes descendus à Saïgon. À cette époque, l’Indochine n’avait pas beaucoup d’armes… Et comment ils ont eu des armes ? En en volant à la légion et aux Sénégalais. Les militaires de la légion, ils s’adonnaient à la « bibine », donc l’alcool à base de riz. Et ça, quand tu le bois, tu ne te rappellais plus de rien ! Tu ne savais plus où tu étais ! Donc, les Indochinois rentraient la nuit dans les postes où il y avait les Sénégalais ou les légionnaires pour leur piquer les armes. Mais dans les postes marocains, non !

Pourquoi ?

Les Indochinois lisaient, donc ils connaissaient l’histoire, ils savaient que le Maroc était colonisé par la France… Donc, il y avait un lien ! Ils disaient, « Nous ne voulons que notre indépendance, notre pays, c’est tout ! » Donc ils disaient aux Marocains, « Vous êtes en train de défendre les Français ! Alors que La France, elle vous a… Allez-y ! Défendez votre pays ! »

Est-ce que les hommes se mélangeaient, discutaient, avaient des échanges ?

Non, non… Au niveau de l’Algérie, de la Tunisie… à un moment donné, oui, ils se mélangeaient. Mais on ne se mélangeait pas…en tant que groupe. À l’époque, nous, on appelait les Algériens « Deuxièmes Français ». Donc ils buvaient, ils mangeaient avec les Français. Nous, on ne se mélangeait pas.

Pour les langues, quand on vit avec un groupe, évidemment, on apprend des mots. Les Sénégalais, à force de les côtoyer, on finit par connaître quelques mots. Les Indochinois, puisqu’on était là-bas, on sait ce que ça veut dire « les repas »… On connaît des mots ! Par exemple, quand on veut demander à manger, je dis « An com ». C’est la nourriture. Pour une cigarette, on fait juste le signe, comme ça, les 2 doigts sur la bouche.

Je me suis marié deux fois là-bas… Une fois au premier séjour et une autre au deuxième séjour !

Puis, il y a eu un deuxième séjour. Et là, les Indochinois, ils ont compris. Ils se sont armés ! Ils sont bien préparés ! Et eux, ils ne te donneront rien ! Si deux camarades indochinois étaient interrogés, ils disaient toujours « Khong biet man, khong biet man ». « Khong biet » veut dire « Je ne le connais pas, je ne le sais pas, je ne sais rien ». Les militaires français, lorsqu’ils attrapaient un Indochinois pour lui demander une information, ils pouvaient le torturer en tirant les pieds, les mains, en mettant de l’eau à chauffer en dessous… Même sous cette torture, il dit, « Je ne sais rien, je ne sais rien » [imite un cri de douleur].

La torture était autorisée par les supérieurs… par les militaires ?

Eux aussi, ils sont durs. Ils sont aussi affreux au niveau de la torture. Ils peuvent prendre une dizaine ou une vingtaine de prisonniers, qu’ils alignent les uns à côté des autres en leur demandant de dire où sont leurs camarades. Si un d’eux dit, « non », ils tirent sur l’ensemble avec une mitrailleuse et voilà…

Vous avez certainement eu des contacts aussi avec la population civile…

Donc moi, là-bas, j’avais aucun problème. Parce que là-bas aussi il y avait des pauvres, des mendiants. Je passais, je donnais. Ils me connaissaient comme s’ils m’avaient pris en photo… Donc j’étais tranquille. J’ai aussi rencontré quelqu’un qui a connu Mohammed V, le père d’Hassan II, et il me disait, « Moi j’ai été à l’époque au Maroc et je prenais Mohammed V sur mes épaules lorsqu’il était petit ! ». Donc j’allais souvent chez eux parce que j’étais invité régulièrement.

Non,non, je me suis pas engagé avec l’armée marocaine. Madame n’a pas voulu que je me réengage !

Je me suis marié deux fois là-bas… Au premier séjour et au deuxième séjour [rires] ! Le premier séjour, c’était en 1950. De 1950 à mi 1952. J’avais eu quatre mois de permission et j’étais revenu au village. Et le deuxième séjour, c’était en 1953-1954. 54 j’étais déjà à Saïgon. C’est à cette période-là que l’on a signé l’armistice, donc négocié la fin de la guerre. Ça voulait dire que la France devait quitter l’Indochine et rentrer. Donc eux, ils ont gagné la guerre… Et moi je suis rentré au Maroc. Donc au total, j’ai pris trois fois le Pasteur… Au retour d’Indochine, on m’a demandé si je voulais me réengager et j’ai dit, « Si c’est pour revenir en Indochine oui, s’il y a pas d’Indochine, non ! » Au final, j’ai repris l‘agriculture, j’ai mis en place les oliviers pour le village et je cultivais le blé… Madame n’a pas voulu que je me réengage !

Est-ce que vous étiez au courant de vos droits à la retraite ? Et est-ce que le gouvernement marocain soutenait les anciens combattants ?

C’est pas le Maroc que l’on a défendu. C’était pas lui ! Il en avait rien à cirer ! Et moi je me suis engagé sous le drapeau français… et j’ai refusé de m’engager au Maroc… Donc, au retour d’Indochine, je me suis uniquement occupé de l’agriculture et de moi-même… je voulais rien savoir ! Et j’ai eu quatre enfants. Une fille et trois garçons !

C’est pour avoir des droits d’ancien combattant marocain que vous êtes venus en France ?

J’attends mes droits puisque je me suis engagé en 48… Toute ma jeunesse ! Donc on a soutenu la France et la France doit nous donner notre droit ! Ça fait maintenant un an que je suis là en France. Je ne connais personne et celui qui nous a ramené en France, je l’ai payé… Je suis arrivé directement à Bordeaux, à la chambre… Je suis arrivé au foyer, on m’a donné une chambre et voilà j’y suis.

Ma jeunesse, je l’ai passée pour défendre le drapeau français. Maintenant je suis là, je ne suis utile ni là-bas, ni ici !

Est-ce que vous pouvez nous raconter une journée telle qu’elle se passe dans votre vie ?

Je vais à Saint-Michel… Sinon pas grand-chose… Car pour pouvoir se déplacer, il faut un petit peu plus d’argent.

Quel est le montant de votre pension ?

Je touche… je touche 800 euros… Et je paye 120 euros de logement… Qu’est-ce qu’il reste ? Faites le compte ! Ils auraient dû nous laisser ça gratuitement, ou en attendant qu’on touche plus d’argent ! Ma jeunesse, je l’ai passée pour défendre le drapeau français. Maintenant je suis là et je ne suis utile ni là-bas, ni ici ! Moi je me suis engagé avec la France, donc j’ai suivi ce drapeau-là ! Je suis là ! Ce que je demande c’est que, « Si Dieu le veut », ce qu’on me donne ici, on me le donne là-bas afin que je puisse vivre avec les miens tranquillement, c’est tout !

Merci.

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