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Mohamed ERRAMI

Ancien combattant marocain
Né en 1934
Engagé en 1952 (Guerre d’Indochine)
Arrivé en France en 1993

Mohamed ERRAMI
Mohamed ERRAMI
/
Les séquences

Interviewer : Marie-Julia Pohoski
Traducteur : Abdellah Ahabchane
LieuALIFS, Bordeaux
Date : 01 avril 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des anciens combattants marocains, un entretien avec M. Zahid Alhou a été enregistré le 1er avril 2009 dans les locaux de l’association ALIFS. Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

MARIE-JULIA POHOSKI – Qu’est-ce vous faisiez avant de vous engager en tant que militaire ?

MOHAMED ERRAMI – Je suis né en 1934  à Aït Attab… dans la province de Béni Mellal. Plus jeune, j’étais à la campagne, je faisais de l’agriculture, jusqu’au moment où il y a eu la sécheresse, en 1945. Je suis alors parti dans la région de Meknès, à Ifrane, j’étais très jeune encore… Puis après je me suis engagé. J’avais 18 ans à ce moment-là.

ABDELLAH AHABCHANE – Comment vous avez su que les gens s’engageaient ?

Il y avait des campagnes partout dans les souks… Il y avait des crieurs et les camions de l’armée qui annonçaient l’appel à l’engagement pendant la guerre d’Indochine. On le savait comme ça !

MARIE-JULIA POHOSKI – Mais pourquoi vous, personnellement, vous avez décidé de vous engager ?

Je ne me suis pas engagé pour des raisons financières. À l’époque, c’était une époque coloniale. Il y avait les caïds, c’est comme un gouverneur à la campagne, et ils étaient liés au protectorat français. Ils nous obligeaient à faire plein de choses… à travailler dans l’agriculture…Et donc, je n’avais pas de liberté ! Pour échapper à cette oppression, le seul moyen c’était de s’engager. Je ne peux donc pas dire que me suis pas engagé volontairement…

On obligeait les gens… On allait les chercher par tous les moyens pour qu’ils s’engagent pour l’effort de guerre.

D’ailleurs, à l’époque du protectorat, il y avait un accord entre le roi du Maroc et la France pour la guerre… Le Maroc aidait la France dans l’effort de guerre, par tous les moyens ! Donc on obligeait les gens à rejoindre l’armée… On allait les chercher par tous les moyens pour qu’ils s’engagent… L’engagement n’était pas toujours volontaire.

ABDELLAH AHABCHANE – Quand vous êtes allé en Indochine, vous êtes passé par où ?

On était dans un grand bateau qui s’appelait le Pasteur, qui pouvait contenir 5000 à 6000 personnes. On est passés par Oran, en Algérie, ensuite par Port Saïd, en Égypte, et le canal de Suez. Et après par Singapour, puis on est arrivés en Indochine. Le voyage s’est très bien passé, on mangeait bien, on dormait bien…

MARIE-JULIA POHOSKI – Est-ce que vous pouvez nous parler de votre vie en tant que militaire ?

La guerre était très dure en Indochine. Nous y sommes allés en 1952. Moi j’étais dans un bataillon qui avait pour mission de rechercher l’ennemi. Donc on marchait du matin jusqu’au soir, dans l’objectif de débusquer les ennemis. À chaque fois quand il y a eu une confrontation, on ne pouvait rien faire jusqu’au moment où l’affrontement s’arrête. Et bien sûr, à ce moment-là, chacun fait ses comptes, que ce soit de notre côté ou du côté de l’ennemi. On avait, un hôpital de campagne, sur place, pour essayer de sauver ceux qu’on peut sauver… Mais ceux qui sont morts… on les enterrait sur place.

Les régiments étaient organisés par pays. Mais, bien sûr, dans les moments de combat, on se retrouve parce qu’il y a des blessés partout, donc là on est obligé de se rencontrer.

Je me souviens très bien de toutes les personnes que nous avons enterrées sur place, que nous avons laissées… Ce sont des images que je revois encore jusqu’à maintenant. C’est des choses qu’on n’oublie pas… Des scènes de guerre… des personnes que nous avons perdues… Ça, ça reste toujours dans ma mémoire ! Aussi, les gens qui ont perdu leurs bras, leurs jambes, ou la vue et qui vivent toujours au Maroc. Il n’y a personne qui s’occupe d’eux !

Est-ce que vous pouvez nous parler des relations que vous aviez avec les autres combattants, les combattants marocains, sénégalais qui étaient sur le front avec vous…

Plusieurs pays étaient présents. Le Sénégal, Madagascar, la Syrie, même l’Algérie… il y avait les Tunisiens… Des soldats de Singapour ou du Mali. Bref, tout l’Ancien Empire français et donc les soldats issus de cet empire colonial. Il y avait plusieurs régiments et on marchait tous « côte à côte » et, à tour de rôle, il y avait toujours un bataillon qui ouvrait la voie. Les régiments étaient organisés selon chaque pays, mais, dans les moments de combat, on se retrouvait parce qu’il y avait des blessés partout donc là on était obligé de se rencontrer.

Est-ce que vous-même, vous avez connu la guerre d’Algérie ?

Je n’ai pas participé à la guerre d’Algérie. Il y avait en effet des bataillons composés de soldats marocains qui y étaient, qui participaient à la guerre. Mais précisons qu’il y avait beaucoup de soldats qui désertaient pour rejoindre l’armée de libération algérienne, pour soutenir les Algériens.

Les gens qui, à la guerre, ont perdu leurs bras, leurs jambes, ou la vue et qui vivent toujours au Maroc. Il n’y a personne qui s’occupe d’eux !

En quelle année exactement vous êtes revenu au Maroc ?

Fin 1955. À mon retour, je faisais toujours partie de l’armée française, ce n’était pas encore l’indépendance du Maroc. Après l’indépendance, l’armée française a pris une bonne partie des soldats marocains qui étaient dans l’armée française pour les intégrer à l’armée marocaine. Et moi, je suis resté avec l’armée marocaine.

ABDELLAH AHABCHANE – Est-ce que vous aviez une pension de l’armée française au moment où vous avez intégré l’armée marocaine ?

Non, je n’en avais pas. J’ai pris la retraite de l’armée marocaine à l’âge de 55 ans.

MARIE-JULIA POHOSKI – Ensuite, à quel moment vous avez décidé de venir en France, vous ?

En 1983, je suis venu en France pendant un mois de vacances. J’ai voyagé entre Paris, Bordeaux et Marseille. Après, on a commencé à me parler des droits des anciens combattants. Je suis reparti au Maroc, je suis resté dix ans là-bas et je ne suis revenu qu’après ces dix ans. Au Maroc, là-bas, il y avait un bureau des anciens combattants qui prenait tous les contacts ici, qui nous renseignait, qui nous informait et qui était en lien permanent avec l’Office National des Anciens Combattants, ici en France.

Mes enfants, ils sont tous grands, ils ont leurs familles… Venir en France, c’est pas une question qui se pose pour eux. Qu’est-ce qu’ils ont à faire ici ? Quel avenir ils auraient ici ?

Je suis revenu ici tout seul. Je dors tout seul… Je me lève tout seul, je me balade tout seul… Et après, quand j’ai trouvé le travail… j’ai demandé le regroupement regroupement familial et ma femme est venue ici en 1999… D’ailleurs, Je me suis marié avec elle au Maroc, après mon retour d’Indochine.

Est-ce que vous allez rencontrer d’autres anciens combattants qui vivent sur le quartier ?

À Saint-Michel, je rencontre des anciens combattants, on se retrouve entre nous et, bon, on discute.

Et qu’est-ce qui vous a décidé à venir sur Bordeaux ?

Je suis d’abord allé à Paris. À Paris, il n’y avait pas un office pour s’occuper des anciens combattants, parce que la carte de combattant était faite à Bordeaux. C’est pour ça que je suis venu sur Bordeaux. Au départ, j’étais au foyer au cours du Médoc, j’y suis resté six mois. Après, j’ai trouvé un logement… Et j’ai ensuite changé cinq fois d’appartement !

Est-ce que vous retournez régulièrement au Maroc ?

Oui, j’y vais régulièrement. J’y suis allé la dernière fois pendant quatre mois et je suis revenu il y a à peu près deux semaines.

Aujourd’hui, est-ce que l’idéal ça serait de retourner au Maroc, auprès de votre famille et de vos enfants ?

Évidemment, s’ils nous donnent nos droits, on repart au Maroc. Mais, s’ils nous donnent rien, on est obligé de rester là et de faire des allers et venues entre ici et le Maroc…

Et comment vous êtes perçu par la population de Bordeaux par exemple ?

Quand on a de bonnes relations, bon, les choses se passent bien. Si on n’est pas bien soi-même, ça se passe mal. C’est une question de respect, on se croise, on se dit bonjour, au revoir et un point c’est tout…

Évidemment, s’ils nous donnent nos droits, on part au Maroc

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Interviewer : Marie-Julia Pohoski
Traducteur : Abdellah Ahabchane
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Date : 01 avril 2009

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