— Homepage / Mémoire orale / Anciens combattants marocains /

Safdi HAMMADI (Partie 2)

Ancien combattant marocain
Né en 1926
Engagé en 1947
Arrivé en France en 1998

Safdi HAMMADI (Partie 2)
Safdi HAMMADI (Partie 2)
/
Les séquences

Interviewer : Joël Guttman
Traducteur : Aziz Jouhadi
LieuALIFS, Bordeaux
Date : 23 mars 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des anciens combattants marocains, un entretien avec M. Safdi Hammadi a été enregistré le 23 mars 2009 dans les locaux de l’association ALIFS. Vous trouverez un résumé synthétique de la deuxième partie de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette deuxième partie d’interview en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

JOËL GUTTMANN – Rappelez-nous les conditions dans lesquelles vous êtes revenu ?

SAFDI HAMMADI – Au retour de l’Allemagne, je suis rentré au pays. Au bout de trois ou quatre mois, la guerre a été déclarée entre nous et la Mauritanie ! La guerre du Polisario. Le Polisario voulait prendre son indépendance dans notre pays. À ce moment-là, j’ai été intégré dans l’Armée royale. Tous les jeunes marocains qui sont passés par l’armée française étaient d’ailleurs intégrés à l’Armée royale ! Alors je suis rentré dans l’Armée royale ! C’était en octobre 61. Et je suis rentré avec le grade de sergent-chef. Mon métier, c’était la même chose, chef de garage… En 72… Deuxième coup d’État au Maroc, après le premier en 1971 ! C’est à ce moment-là que j’ai terminé mon service et que je suis parti à la retraite. J’ai fait, je crois, neuf ans, neuf ans et demi dans l’Armée royale.

Qu’est-ce que vous avez fait une fois que vous avez été à la retraite, à partir de 1972 ?

Alors quand j’ai quitté l’Armée royale, et, huit jours après, je suis rentré à l’Ambassade d’Iran au Maroc comme chauffeur ! Je suis resté chauffeur à l’Ambassade d’Iran pendant deux, trois ans ! Au moment des tensions, avec le Shah d’Iran, etc., je quitte l’ambassade et je rentre dans une société de transport marocaine, encore en tant que chauffeur.

Je suis rentré à l’Ambassade d’Iran au Maroc comme chauffeur et j’y suis resté longtemps… Plus de 10 ans !

J’y suis resté douze ans ! J’ai pris ma retraite civile là-bas. Et je remercie la société parce qu’elle m’a bien payé. Puis, huit jours avant que je quitte la société, j’entends à la radio 2M que la relation diplomatique entre le Maroc et l’Iran va tourner et reprendre. Et bien j’ai tout de suite fait une demande à l’ambassade d’Iran pour travailler de nouveau en tant que chauffeur avec eux. Et bien j’y ai travaillé encore, et pendant presque neuf ans et demi en totalité…

Donc là, la retraite civile, alors donc cela arrive vers les années 97, on peut dire, 98 ?

Oui ! Mais, de toute façon il n’y a pas de retraite avec les diplomates marocains et arabes…C’était des missions. Tu travailles, tu es bien payé… Et au revoir !

Et donc là, vous êtes venu en France en quelle année ?

Je suis arrivé ici le 8 mars 1998. Des amis que j’avais rencontré à l’armée française, des anciens combattants, sont revenus de France, et ils m’ont dit, « Qu’est-ce que tu fais là toi ? Pourquoi tu ne vas pas en France ? Tu es un ancien combattant et la France elle est bonne maintenant…» Et bien ça m’a décidé !

Un ami ancien soldat m’a dit, « Qu’est-ce que tu fais là toi ? Pourquoi tu ne vas pas en France ? Tu es un ancien combattant, la France t’aidera…» Ça m’a décidé à venir !

Alors je suis allé à l’ambassade de France. J’ai dit je voulais aller en France et ils m’ont dit, « Combien de temps tu vas rester en France ? ». J’ai demandé trois mois. Ils m’ont dit d’accord ! Quinze jours ou vingt jours plus tard, l’ambassade m’a répondu et m’a demandé, « Pourquoi tu veux aller en France ? Si  tu es malade, on peut te soigner ici au Maroc, avec la mutuelle et tout ça. » J’ai dit, «  Monsieur, moi je suis un ancien militaire de l’armée française et je veux assister au défilé du 14 juillet en France. ». Comme on a été dans l’armée… Bon, alors il m’a donné… il m’a donné un an ! Il m’a payé le voyage, et je suis venu ici, en France. Mais avant le 14 juillet, je suis tombé malade et j’ai eu une opération. Et donc j’ai pas assisté au défilé ! L’année suivante, en 99, je fais encore une demande. Ça m’a été accordé et je suis venu en France, juste au moment de la mort d’Hassan II…

Est-ce que vous avez pu fonder une famille, néanmoins ?

Je me suis marié en 1955 quand j’étais encore dans l’armée française. J’ai eu cinq enfants. Trois filles et deux garçons. Ils sont grands maintenant et les deux garçons ont bien travaillé, je suis content !

Est-ce que vous venez souvent, par exemple, à l’association ALIFS… pour avoir plus d’informations sur vos droits ?

On est tous venu ici, tout le monde. On a réclamé l’augmentation de la solde. Moi, par exemple, je suis sorti en 1961, je touchais 40 000 francs. On arrivait à bien vivre au Maroc, et il reste encore de l’argent ! Et maintenant je touche 109 euros… comment on va vivre avec ça maintenant ? On peut pas vivre avec ça de nos jours ! On peut pas !

Alors, nous on touche la Caisse des Dépôts. Je touche 623 euros. Je paye le loyer 44 euros. Et je paye encore la mutuelle de l’armée française, 39 euros… Je mange pas beaucoup… pour un mois, je dépense uniquement 150 euros. Ils croient que 150 euros c’est assez pour vivre ? C’est pas possible… Alors, si on veut partir au Maroc, pendant l’été, l’été, on paye 120 euros ! Et bien comptez ! 39 euros plus 44, plus 150 à 200 pour manger le mois. On paye le car 120… il reste rien du tout des 600 euros ! En venant ici, vous n’avez rien gagné. Voilà le problème de tous les anciens combattants. Tous !

Ce qu’on demande c’est qu’on nous donne nos droits, une bonne fois pour toute, et on va partir, on va rentrer définitivement ! On ne peut plus faire tous ces allers-retours tous les 6 mois…

Parce qu’on nous dit que, « Si vous voulez avoir ces 600 euros, il faut passez six mois ici ».  Donc, on peut rentrer pour six mois au Maroc, c’est-à-dire 180 jours ! Mais pas d’affilé, d’un coup. Il faut partager, et revenir en France au bout de deux ou trois mois. Et repartir encore après, payer le voyage… C’est ça qui nous emmerde, à nous, les anciens combattants ! Montrer les passeports pour prouver qu’on n’a pas dépassé six mois… Ce qui nous emmerde, les anciens combattants, on doit venir ici, c’est ma première parole. Ce qu’on demande tous les anciens combattants, c’est qu’on nous donne nos droits, une bonne fois pour toute, et on va partir, on va rentrer définitivement ! On est plus soldats, on travaille pas ici, pourquoi on nous garde ici comme en prison ?

Et sur ce sujet, est-ce que vous êtes confiant ? Est-ce que vous pensez que vous allez enfin les obtenir vos droits ?

Oui, j’espère. On attend ça. C’est sûr, certain, on va avoir quelque chose. C’est certain, on va l’avoir, la France oublie pas quand même…

Cela peut-être quoi une journée type pour vous ? Une journée ordinaire ?

Comme je t’ai dit, ici, nous sommes presque comme des prisonniers. Et surtout les types qui savent pas écrire ou parler français… On a besoin de parler avec les gens, on a besoin de parler à l’autre, d’avoir des contacts, mais c’est difficile pour nous ! Si je demande à un français, « Je veux aller à tel endroit », il me dit « Oui je vais te le montrer », mais après il s’en va. Mais nous on a besoin de discuter ! Si je reste dans un café français, ben je suis isolé ! Je suis isolé, complètement. Donc on discute entre nous, on reste entre nous. On ne peut pas discuter avec la femme, la famille… C’est pas facile. Et si vous ne savez parler ou écrire en français, vous êtes comme une valise, c’est tout ! Comme un sac, inutile…

Et quand vous dites entre vous, c’est entre anciens combattants ?

Oui, mais de quoi tu veux qu’on discute ? Si on reste entre nous, comme ça devant la télévision, qu’est-ce qu’on dit… Ben… à quelle date on va partir, etc. Et quand on est dans la chambre, qu’est-ce qu’on fait ? On dort la journée, la nuit, la journée, la nuit… on ne fait que dormir ! Et si on monte dans le tram ou le bus, et des Français discutent sur les enfants, sur sa femme, les amis, etc. Ben nous, on ferme nos gueules, c’est terminé [rires] ! Mais on a besoin des mêmes choses, bouger, discuter… Alors on passe notre temps à se demander, « Quel jour je vais partir, quel jour je vais retourner au Maroc ? »

Ici on travail pas, pourquoi on nous garde comme des prisonniers ? On ne demande que notre droit, la régularisation.

Autrement je te dis, on aime bien vivre en France. D’ailleurs, je remercie le peuple Français. Que ce soit dans le tram, dans le bus, dans la police, dans la gendarmerie, ils sont bien avec nous. On ne nous a jamais dit quelque chose de mal. Mais, voilà le problème, c’est que la famille nous manque ! Alors j’espère, je demande à Dieu, que la France règle notre problème et on pourra repartir chez nous. Pour nous c’est mieux !

AZIZ JOUHADI – On vous remercie. Choukran… Merci, et… on souhaitera que ce sera réglé « Inch’Allah » !

Merci !

Partager :

Interviewer : Joël Guttman
Traducteur : Aziz Jouhadi
LieuALIFS, Bordeaux
Date : 23 mars 2009

Les séquences (11)
Ressources

Autres témoignages

Mohamed KADIRI
Anciens combattants marocains

Mohamed KADIRI

Abdellah MASSOUR
Anciens combattants marocains

Abdellah MASSOUR

Mohamed MECHTI
Anciens combattants marocains

Mohamed MECHTI

Amar MELLOUK
Anciens combattants marocains

Amar MELLOUK

Comprendre le contexte historique

Retrouvez tous les détails historiques et faits marquants en lien avec ce témoignage

Indépendances et gel des pensions
Anciens combattants marocains

Indépendances et gel des pensions

Décristallisation et mémoire
Anciens combattants marocains

Décristallisation et mémoire