— Homepage / Mémoire orale / Anciens combattants marocains /

Larbi DENNOUN

Ancien combattant marocain
Né en 1932
Engagé en 1950
Arrivé en France en 1997

Larbi DENNOUN
Larbi DENNOUN
/
Les séquences

Interviewer : Joël Guttman
Traducteur : Aziz Jouhadi
LieuALIFS, Bordeaux
Date : 06 avril 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des anciens combattants marocains, un entretien avec M. Larbi Dennoun, avait été intégralement réalisé en langue arabe le 6 avril 2009,  dans les locaux de l’association ALIFS. Vous trouverez un résumé de la traduction française de cet entretien réalisé dans les locaux d’O2 radio sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette traduction en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

JOËL GUTTMAN – Bonjour, M. Dennoun, quelles sont vos dates et lieu de naissance ?

LARBI DENNOUN – Je suis né à Saka aux environs de Taza, en 1932. Je travaillais dans l’agriculture.Puis nous avons entendu parler de l’armée, car il y avait la guerre à l’époque et l’État avait besoin de monde. Donc, je me suis engagé et je suis parti à la guerre.

Comment se passait l’engagement dans l’armée, était-ce volontaire ou forcé ?

On venait au marché et le crieur annonçait que l’armée recrutait. Il y avait des fois où on embarquait des gens… D’autres fois non. Nous n’avions pas beaucoup de moyens et je me suis dit qu’il valait mieux que je m’engage dans l’armée plutôt que de faire quelque chose de regrettable… J’avais 18 ans et je me suis engagé volontairement le 1er janvier 1950 dans mon pays, où je suis resté six mois, à Sefrou, le temps de l’instruction militaire. Puis nous avons embarqué pour l’Indochine le 2 février 1952. Nous y sommes resté vingt-quatre mois.

Nous n’avions pas beaucoup de moyens et je me suis dit qu’il valait mieux que je m’engage dans l’armée, plutôt que de faire quelque chose de regrettable…

De quel lieu avez-vous embarqué pour l’Indochine ?

Nous avons embarqué à Oran en Algérie, vous savez, ils colonisaient partout. Nous avions passé trente- deux jours dans le bateau… Très mal équipé…c’était très dur ! Nous avons débarqué à Saïgon, puis nous sommes partis à Tourane, à Ho Nai, à Hanoï, à Hai Phong, à Moliory, et dans un autre pays, le Laos, c’était très dur. J’étais caporal, chef d’équipe dans l’infanterie.

C’était très dur : la transpiration, les moustiques, l’eau infecte, imbuvable. Si on ne nous apportait pas d’eau potable, on pouvait avoir des maux de ventre terribles en buvant l’eau locale. Quant à la nourriture, ce n’était pas vraiment fameux. Les autochtones mangeaient du riz et nous, nous attendions toujours le ravitaillement, c’était très dur. J’ai perdu ma santé là-bas !

Ce que je peux dire, c’était très dur : la transpiration, les moustiques, l’eau était infecte, imbuvable… J’ai perdu ma santé là-bas !

On vivait misérablement, on mangeait peu, les repas étaient froids, les routes de ravitaillement étaient souvent coupées par l’ennemi. C’était très dur. On partait pour deux ou trois semaines de campagne et on s’arrêtait deux jours dans des endroits sécurisés pour se laver et se changer.

Les batailles étaient vraiment dures. L’ennemi était très fort, il ne s’intéressait pas à la bouffe, il se contentait d’un peu de riz. En plus, nous n’avions pas une bonne solde, nous ne touchions que 140 dirhams par mois. Seuls les gradés avaient une bonne solde.

Et après, vous êtes rentré au Maroc ?

Tout-à-fait. Mais on pouvait repartir pour un deuxième séjour si on voulait. Il y avait des gens qui avaient besoin d’argent et qui repartaient, mais dans tous les cas, les  vingt-quatre mois, c’était obligatoire. Mais moi, je ne suis pas reparti. Après, je suis resté dans l’armée, j’étais dans les régions d’Agadir, d’Essaouira, de Taourirt et de Tanger. D’ailleurs, à Tanger, c’était après l’indépendance du Maroc, quand j’ai été rendu à l’armée marocaine. Je suis resté quatre ans et demi, toujours dans l’infanterie.

Comment étaient vos relations avec vos supérieurs dans l’armée française ?

Excellentes ! J’aimerais bien les revoir… J’en ai revu quinze, mais je ne sais pas ce qu’ils sont devenus. Certainement que quelques-uns sont morts…

Dans les bataillons, outre les Marocains, y avait-il d’autres nationalités ?

Nous n’étions que des Marocains, avec des commandants français, huit ou dix. Les Tunisiens et les Sénégalais, ils étaient dans des bataillons différents.

Nous n’avons pas eu de retraite spéciale… Nous avons cru qu’ils allaient venir nous chercher comme ils l’ont fait quand ils avaient besoin de nous…

Qu’avez-vous fait après votre carrière militaire avec la France et avec le Maroc ?

J’ai repris mon activité dans l’agriculture jusqu’à mon départ pour la France et mon arrivée ici en 1997. Vous savez, après tout ce que nous avions fait, nous n’avons pas eu de retraite spéciale. Nous avons attendu. Nous avons cru qu’ils allaient venir nous chercher comme ils l’ont fait quand ils avaient eu besoin de nous. Ils nous connaissaient et savaient où nous trouver. Maintenant, nous attendons ici comme des prisonniers !

Comment avez-vous entendu parler de vos droits, et pourquoi êtes-vous venu à Bordeaux plus précisément ?

Nous avons entendu parler de tout cela par des gens. Nous savions que d’avoir travaillé et combattu pour l’État pourrait nous permettre d’obtenir nos droits, car c’est un État de droit et de justice.

Ici, vous avez des connaissances ?

Oui, un ami… Le pauvre est décédé maintenant… que Dieu ait son âme en paix. Nous sommes des personnes âgées, beaucoup décèdent. J’ai 77 ans. Nous attendons, en espérant que notre problème avec la Caisse des Dépôts soit arrangé.

Comment se passe votre vie en France, et comment passez-vous vos journées ?

Certaines journées se passent bien, d’autres non. Certaines nuits je me lève cinq ou six fois, je tourne, je ressens beaucoup de nostalgie du pays… Je suis seul ici ! Âgé… mes enfants sont là-bas… Ma femme est très malade. Elle subit des dialyses depuis neuf ans, avec un enfant handicapé… et je ne me plains qu’à Dieu seul ! Si seulement j’avais une maison à moi, je ne resterais pas une seule seconde ici, je me contenterais de peu ! Mais malheureusement, ce n’est pas le cas…

Vous espérez obtenir vos droits, et repartir au pays ?

Tout-à-fait. Je suis âgé et seul, loin de tout le monde. Personne ne s’occupe de moi si je tombe malade. Au pays, il y a ma fille qui s’occupe de sa mère malade.

Certaines journées se passent bien, d’autres non. Certaines nuits je me lève cinq fois ou six, je tourne, je ressens beaucoup de nostalgie du pays… Je suis seul ici !

Ici, vous êtes respecté par les gens ? Vous ne sentez pas de racisme ?

Non, pas du tout ! Tout le monde nous respecte ! Dans le bus les gens se lèvent pour nous laisser des places…

Vous sortez, vous vous baladez ?

Oui, je sors. Je fais juste un tour à Saint-Michel, car je suis âgé, je ne peux pas aller plus loin.

Maintenant vous espérez obtenir vos droits ?

C’est ce que nous espérons, sinon je serais déjà reparti. Nous sommes dans un État de droit et de justice, nous continuerons notre combat. Mais simplement le temps passe. Vu notre âge… la maladie… et chaque voyage au pays est pénible en bus !

Partager :

Interviewer : Joël Guttman
Traducteur : Aziz Jouhadi
LieuALIFS, Bordeaux
Date : 06 avril 2009

Les séquences (16)
Ressources

Autres témoignages

Abdelmalek EL MALKI (Partie 1)
Anciens combattants marocains

Abdelmalek EL MALKI (Partie 1)

Abdelmalek EL MALKI (Partie 2)
Anciens combattants marocains

Abdelmalek EL MALKI (Partie 2)

Mohamed ERRAMI
Anciens combattants marocains

Mohamed ERRAMI

Safdi HAMMADI (Partie 1)
Anciens combattants marocains

Safdi HAMMADI (Partie 1)

Comprendre le contexte historique

Retrouvez tous les détails historiques et faits marquants en lien avec ce témoignage

Indépendances et gel des pensions
Anciens combattants marocains

Indépendances et gel des pensions

Décristallisation et mémoire
Anciens combattants marocains

Décristallisation et mémoire