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Calixto et Jean-pierre CASALES

Calixto Casales
Républicain Espagnol
Né en 1916

Calixto et Jean-pierre CASALES
Calixto et Jean-pierre CASALES
/
Les séquences

Interviewer : Marianne Bernard
Lieu : Saint-Front-d’Alemps
Date : 25 août 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux au sujet des Résistants républicains espagnols en Aquitaine, un entretien avec Clixto Casales, et son fils, Jean-Pierre Casales, a été enregistré le 25 avril 2009 à Saint-Front d’Alemps (24) par Marianne Bernard.  Sur cette page, vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

MARIANNE BERNARD – Je suis à Saint-Front d’Alemps, près de Périgueux, chez Monsieur Calixto Casales et son fils Jean-Pierre. Monsieur Casales est né le 2 mars 1916 à Almunia de San Juan, dans la province de Huesca. Quelles professions exerçaient vos parents ? 

Calixto Casales – Mon père était surveillant de lignes électriques et ma mère était femme au foyer. 

Vos parents savaient-ils lire et écrire ? 

Mon père pas énormément, mais ma mère un peu. Puis ma mère m’a envoyé dans un collège de Carmélites à Barcelone où j’ai appris à écrire.

Vos parents avaient un engagement politique avant ou pendant la guerre d’Espagne ?  

Aucun ! Non. 

Alors comment vous êtes-vous engagé dans la guerre d’Espagne ?  

J’étais évidemment dans les rangs des républicains contre Franco. Durant le putsch, j’étais sous-officier dans les transmissions. Je touche d’ailleurs une pension actuellement.

Quelles batailles avez-vous menées en Espagne ?  

Ah, les batailles de l’Ebre et dans le Front Nord, dans la poche de Bielsa. Je suis ensuite passé en France un temps. Puis je suis revenu à Barcelone pour continuer les combats dans l’Ebre en 1930.

A quelle date avez-vous passé la frontière française ?  

Le 9 février 1939, je suis retourné en France. J’ai été interné dans les camps de concentration d’Argelès et de Saint-Cyprien. Puis on a été transférés dans des Groupements de Travailleurs Etrangers (GTE) à Agonac en Dordogne.

Vous pourriez nous raconter une journée dans le camp ?

Ce qui m’a marqué est qu’il n’y avait rien de prévu. Seuls les barbelés étaient prévus. Il n’y avait pas de baraquement. On dormait à la belle étoile. Il y avait beaucoup de cas de dysenterie. C’est au bord de la mer : l’eau était tirée par une pompe en Espagne enterrée dans le sable. Beaucoup ont été malades.

Comment a commencé votre engagement dans la Résistance ?  

Ah, c’est venu tout seul [rires]. Je me suis tout de suite engagé contre ce système qu’ils nous imposaient. Et, j’ai même été commandant de compagnie, puis de bataillon parce que j’avais cette expérience militaire. Et puis, j’étais jeune et on en voulait quoi ! Cela a démarré dans le camp de Saint-Cyprien.

Et quand vous vous êtes retrouvé à Saint-Front d’Alemps, que faisiez-vous ?

On nous avait employés pour couper du bois. Et ensuite on nous donnait le pécule d’un militaire. Nous étions cinq à devoir couper chacun un mètre de bois. C’est-à-dire cinq mètres de bois ! Heureusement, il y avait des gars qui savaient utiliser la hache, notamment un grand Cubain. Moi, je prenais la scie ! On a ensuite réussi à s’évader avec l’aide de femmes bretonnes résistantes. A mon évasion, une de ces femmes m’a accueilli chez elle pendant trois jours. Son mari a acheté pour moi des billets de train pour Bordeaux. A la gare, pour éviter la gestapo allemande, il m’avait trouvé une fille qui s’est faite passée pour mon épouse !

Donc, après Agonac, vous êtes parti à Bordeaux ?  

Oui à Bordeaux, aux Capucins. J’ai rejoint le réseau résistant espagnol de l’avenue Fonfrède. Un commissaire de police de la rue des Sens m’a fourni une fausse carte d’identité afin de pouvoir circuler. En parallèle, je travaillais sur les voies ferrées. Je ne me rappelle pas bien car je ne suis pas resté longtemps. J’ai passé la ligne de démarcation à Langon pour retourner à Agonac où je voulais retrouver ma future femme ! Nous nous sommes ensuite mariés.

Là, votre fils va intervenir pour donner plus de précisions peut-être.  

Jean-Pierre Casales – Oui, pour compléter ou pour dire ce que j’ai en souvenir, mon grand-père paternel était surveillant des lignes électriques en raison d’un problème de partage de terres à Almunia. Ma grand-mère paternelle, catholique pratiquante, était une personne très forte, avec un caractère très fort. Elle savait lire mais faisait écrire ses lettres par d’autres. Cela a été une motivation d’apprentissage pour ses petits-enfants. On a eu envie de faire des études universitaires. Mon père a fait ses études chez les Carmélites en raison de la forte religion de sa mère. Sur une des photos, il y a deux prêtres dont un a été tué lors du putsch. Mon père était allé prévenir une sœur des risques qu’il courait. Aujourd’hui, mon père, à 93 ans, pleure encore lorsqu’il repense à ce prêtre qu’il estimait beaucoup et qu’il était prêt à cacher chez lui. Concernant l’engagement de mon père, il a été dans l’armée républicaine. Il savait lire et écrire et avait pratiquement le niveau bac. Il a même fait un remplacement d’instituteur à Almunia de San Juan. Il m’arrive aujourd’hui de trouver des personnes dans ce village où je vais tous les ans, qui me disent : « Mais ton père, je l’ai eu comme instituteur remplaçant ! » C’est important quand même, soixante-dix ans après ! Mon père voulait entrer dans la police. Pour cela, il fallait faire le service militaire. Lors du putsch de Franco en 36, il était en train de faire son service militaire. Et il est resté dans l’armée républicaine en tant que militaire ! Certains ont appelé mes grands-parents et mon père « les rouges » alors qu’au départ ils ne l’étaient pas. Ensuite, concernant la bolsa de Bielsa, mon père a constitué un dossier d’archives sur le massacre qui s’y est déroulé. L’aviation espagnole, avec les Italiens et les Allemands, ont lancé des tonnes de bombes. Les républicains n’avaient que des mulets pour tirer l’artillerie. C’était très rudimentaire, un combat complètement inégal. Ensuite, il y a eu ce passage en France où les gendarmes français demandaient s’ils voulaient rejoindre le camp franquiste ou républicain pour le retour en Espagne.

Calixto Casales – Dans les officiers français, il y avait des républicains et des franquistes, mais ils ne parlaient pas. C’est le commissaire français qui nous demandait où on voulait aller. Moi, évidemment, j’ai dit : « Du côté de Barcelone, du côté républicain, c’est sûr ! » Je voulais encore défendre mes couleurs !  

Jean-Pierre Casales – Ma grand-mère est allée chercher mon père à la frontière pour l’aider à rentrer en Espagne. Elle s’était procurée les papiers rédigés par des amis franquistes disant qu’il était de bonne conduite et de confiance. Mon père m’a raconté : « Cette nuit-là, je n’ai pas dormi. Il faisait froid mais je transpirais à grosses gouttes parce que j’avais une décision importante à prendre. J’ai pris la décision de ne pas revenir et de rester ».

Calixto Casales – Je suis revenu une seconde fois à la frontière, à Figueras, parce que je ne voulais pas rentrer du côté franquiste. J’ai dit à ma mère : « Non, maman, pas d’histoire, moi je reste ici. J’irai en France et après on verra ! Je n’abandonne pas mes camarades de combat. Je ne vais pas avec Franco. »

Jean-Pierre Casales – C’est des moments que j’ai en mémoire car ce sont des choix. En 39, à 23 ans, mon père a fait ce choix d’autant plus difficile qu’il venait de perdre sa sœur, Maria, morte dans un sanatorium a Pineta, à côté de Bielsa. J’ai aussi en mémoire Argelès où il y avait une différence entre les officiels, la police et la population très solidaire ! A Argelès, mon père a fait pas mal de métiers, dont celui d’infirmier. A cette occasion, il y a eu quand même des rencontres importantes de camarades de l’Union nationale des Espagnols. Là aussi, il y a eu un autre choix : soit il allait dans un camp de travail, soit il rentrait dans la Légion étrangère. Mon père a choisi d’aller dans le camp de travail. Et il été envoyé dans le Loiret pour participer à une construction de chemin de fer. Mais, vu la débandade qu’il y a eu, ils ont été rapatriés. Et c’est comme ça qu’il est venu en 40 à Agonac où il logeait au chai. Il a été contraint au travail forcé dans le bois. Et aussi, comme beaucoup d’Espagnols, il jouait au foot. Et le sport a été un facteur d’intégration. Et c’est là où il a rencontré pour la première fois ma mère en 39-40. Mais son camp de travail a été transféré en Corrèze. Ils travaillaient pour rien. C’était de la main d’œuvre bon marché, de l’exploitation.

Calixto Casales – De l’exploitation puisqu’on nous donnait que 50 centimes.

Jean-Pierre Casales – Ce que j’ai aussi en mémoire, c’est que ce camp de travail ne pouvait pas produire ce qu’il fallait produire. Et mon père est intervenu, comme souvent lorsqu’il y avait des choses qui n’allaient pas. Il a été écarté du camp par la suite : la gendarmerie française devait donner aux Allemands des gens de ce camp pour celui de Fort de Montbarey à Saint-Pierre Quilbignon près de Brest. Dans ce camp, il y avait des personnes plus faibles que d’autres. Il m’a parlé d’une personne juive qui n’arrivait pratiquement pas à travailler. Et il y avait une solidarité très forte. Aujourd’hui, à chaque fois qu’on parle de la Bretagne, mon père dit : « Ah mais ça, les Bretons, ce sont des gens bien, ce sont des gens bien ! » Certains, au risque de leur vie, devant la barbe des Allemands, l’ont aidé à s’évader, l’ont hébergé, lui ont donné des vêtements, ont pris ses billets de train et l’ont accompagné. C’est marquant aujourd’hui de voir que ce que ces personnes ont fait pour des immigrés sans papiers. Et donc, de là, il est allé à Bordeaux par le train.

Et il y a eu ce commissaire, très certainement dans la résistance, mais qui lui a dit : « Ecoutez, avec ces papiers-là, ne restez pas trop longtemps à Bordeaux. » Après, il a passé la ligne de démarcation du côté de Langon. Et il est revenu là où il avait ses copains du foot et où il avait connu la personne qui allait devenir sa femme à Agonac. Il y a eu assez rapidement le mariage en 43. Ma mère était agricultrice. Il me dit souvent : « Tu sais, ta maman était quelqu’un de formidable, parce qu’à l’époque, pour une jeune fille de la terre, choisir à 20 ans un Espagnol qui ici était le rouge et qui ne parlait pas bien français… »

Calixto Casales – Je me défendais déjà assez bien parce que j’avais étudié le français aux Carmélites.

Jean-Pierre Casales – Il a dit à ma mère : « Écoute, réfléchis bien. Je suis très engagé dans la résistance en Espagne. J’ai des responsabilités. Et donc, tu risques peut-être de ne pas me voir beaucoup. » Et elle a dit oui.

Calixto Casales – Oui, je lui ai dit : « Je n’abandonnerai pas les combats. » J’étais le passeur de membres de mon réseau. Elle m’a dit : « Mais ça ne fait rien ! Bon, et alors, puisque tu veux courir le risque, tu le cours ! Mais, je continuerai ! » J’ai eu une femme extraordinaire, qui avait confiance en moi. J’ai tout fait pour qu’elle n’en souffre pas de mes activités. Ça c’est sûr !  

A votre retour à Agonac, avez-vous rencontré des problèmes avec les gens du village ? Vous avez été bien accueilli ?  

Calixto Casales – Ah oui ! J’ai été très bien accueilli, parce qu’il y avait déjà eu plein de passages. Et puis, j’étais capitaine de l’équipe de football. Et parmi les Espagnols, il y en avait qui étaient costauds ! 

Est-ce que vous avez gardé des liens avec votre pays ?  

Avec le pays, oui toujours ! Je pense bien. J’ai une maison là-bas, où vont mes enfants et mes petits-enfants. J’y vais moins maintenant parce que je ne peux plus conduire. 

Et à quel moment êtes-vous revenu en Espagne ?  

Dès que j’ai pu après la guerre d’Espagne, oui ! 

Et quelle mémoire avez-vous entretenue avec vos enfants ? Qu’est-ce que vous avez raconté ?

Calixto Casales – Simplement la vie de quelqu’un qui a été excédé par la force des choses ! J’ai raconté toute mon histoire. C’était nécessaire qu’ils sachent pourquoi j’étais un exilé ! Et pourquoi je ne pouvais pas revenir sous Franco.

Jean-Pierre Casales – Oui, on a eu beaucoup de souvenirs racontés par mon père. On a eu la chance d’aller à Almunia avec ma mère dès 55, 56 alors que j’avais 7, 8 ans et alors que mon père ne pouvait pas encore y aller. Il voulait avoir des garanties avant de revenir. Ce qui est impressionnant est de voir l’attachement de notre village à mes parents. Pour les dernières fêtes d’août, le maire, cite dans son discours Andrée, femme à Calixto Casales, qui vient de disparaître. Et il lui rend hommage ainsi qu’à tout ce qu’ils ont fait pour que le village soit plus humain. En tant qu’enfants, on est imprégnés de ces souvenirs, de cette mémoire et on a envie de s’identifier. Avec mon frère, on a fait la démarche d’avoir la double nationalité. Actuellement, en Espagne, j’aborde de plus en plus le thème de la guerre civile. Dernièrement, une femme que je connaissais depuis longtemps, dont le mari avait des opinions très différentes, m’a passé un livre « Historia » sur le frère de Franco, Ramon Franco, que je ne connaissais pas, qui était républicain et opposé à son frère. Dans ce même numéro est expliqué comment Franco a hébergé des nazis. Il y a des choses qui se passent maintenant. La chape de plomb des années Franco se dissout. On commence à parler. Et donc à 62 ans [Rires], je commence à parler de l’histoire de mon père et de celle de l’Espagne. Essayer de comprendre comment un général qui avait prêté serment de fidélité à une république a pu la renverser.

Calixto Casales – Il avait juré fidélité au drapeau républicain. Il l’a renié !

Jean-Pierre Casales – Aujourd’hui, je me trouve parmi les personnes qui sont à la recherche de données pour mieux comprendre, mais aussi pour que les autres comprennent mieux et pour éviter de nouveaux drames. Il y a eu quand même des centaines de milliers de morts. Des gens ont été mis dans des fosses communes. Je sens un petit changement. Et des gens que je découvre comme  cette personne qui m’a passé ce numéro d’Historia, Julietta, que je ne pensais pas républicaine et qui me dit : « Lis-le bien, moi je suis d’accord avec ce qu’il y-a dans ce numéro. »

Après l’expérience que vous avez vécue, qu’avez vous envie de transmettre aux jeunes générations ? 

Calixto Casales – Ah, se souvenir de ces combats pour l’égalité, pour la République et pour la fraternité dans la terre entre les hommes et entre les femmes. Dénoncer ceux qui vont contre ça. Qu’il y ait dans le monde paix, fraternité, amour et liberté.

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Interviewer : Marianne Bernard
Lieu : Saint-Front-d’Alemps
Date : 25 août 2009

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