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Jean MORENTE

Jean Morente
Républicain Espagnol
Né en 1939

Jean MORENTE
Jean MORENTE
/
Les séquences

Interviewer : Joël Combres
LieuLot-et-Garonne
Date : 30 juin 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux au sujet des Résistants républicains espagnols en Aquitaine, un entretien avec Jean Morente a été enregistré le 30 juin 2009 dans le Lot-et-Garonne (47) par Joël Combres et Oumar Diallo.  Sur cette page, vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

JEAN MORENTE – Je suis né le 27 mars 1939 à l’hôpital Saint-Cyr de Villeneuve-sur-Lot. Mon père est originaire de Palma Del Rio, près de Cordoue. Il est issu d’une famille très pauvre de dix enfants, cinq filles et cinq garçons. Mon grand-père paternel travaillait sur les berges de Guadalquivir. Il ramassait et transportait sur des mulets sable et cailloux pour construire les chemins d’accès au château. Ma grand-mère paternelle, non contente d’élever ses dix enfants, s’occupait aussi des enfants orphelins des environs.  

JOËL COMBRES – Quand la guerre civile intervient en 1936, quel est l’âge de votre père et quel est son engagement politique à ce moment-là ? 

En 36, mon père avait 23 ans. En 35, il avait été appelé avec un de ses frères aînés au service militaire dans la région de Madrid. Ce frère, mon oncle, Tio Curo, y vit encore. Mon père avait déjà des idées communistes, sans être encarté. L’Andalousie était alors la région la plus pauvre d’Espagne. Mais son engagement s’est affirmé plus au fur et à mesure de sa vie. En 36, il est donc au service depuis douze ou treize mois. Le coup d’Etat le surprend. La guerre démarre par le Sud, en partant du Maroc. L’Andalousie est vite balayée. Mon père reste à Madrid, fief des Républicains, jusqu’au 27 mars. Il a naturellement rejoint ce camp.

Alors pour en venir à votre maman, Juan Morente, elle est native de la ville de Recas, au Sud de Madrid. En 36, elle est mise à l’abri par sa mère chez une de ses sœurs à Madrid.

Oui. Mais Recas n’est pas une ville, juste un petit village paysan de mille deux-cent habitants au bord du Rio Manzanares qui contourne Madrid. Elle est envoyée à Madrid à l’époque où les troupes franquistes, aidées par les Maures, avancent vers le nord et commettent de nombreuses exactions, notamment des viols. A l’époque, les hommes, et même les jeunes garçons, rejoignent l’armée. Mais les filles sont à protéger. Ma mère est issue d’une famille de onze enfants, six filles et cinq garçons. Sa mère l’a donc fait rejoindre trois de ses sœurs à Madrid qui s’étaient installées dans la capitale pour travailler dans la restauration ou la couture et s’étaient mariées à des Madrilènes. Ma grand-mère maternelle reste alors à Recas car elle a une soixantaine d’années. Elle est aussi à la tête d’un petit restaurant, une hacienda. Puis Franco, après avoir attaqué le sud, attaque l’ouest du côté de l’Extremadura, puis le Pays Basque. La République espagnole s’organise, notamment à Madrid. Ma mère et ses sœurs intègrent les forces républicaines : elles cousent dans une caserne du centre la capitale des parachutes, des uniformes et confectionnent des balles et des obus. Elles y côtoient les soldats et ma mère rencontre mon père : un coup de foudre. Ils se marient devant un juge et des cadres de l’armée. Mon père est affecté dans la cinquième division du régiment de Enrique Lister, un futur héros dans la défense de la République espagnole. Ma mère suivra son mari, Juan, dans ses combats, restant en retrait dans les casernes où elle continue de travailler. Lister est affecté à Valence, puis dans la région de l’Ebre. Ma mère voit son mari au cours de ses permissions. Lister est repoussé vers Barcelone puis vers la frontière française.

Oui, il est important de rappeler le rôle de ces femmes en retrait du front qui apportent une contribution active au fonctionnement de l’armée républicaine. 

Oui, c’est vraiment la guerre civile. Tout le monde participe. Même des enfants dès 13, 14 ou 16 ans. C’était l’armée du peuple. C’était pas toujours le cas. Le jeune frère de ma mère qui a fait son service militaire au Maroc espagnol, à Melilla. Il a été enrôlé de force dans les troupes franquistes. Il a été formé par les troupes mussoliniennes et hitlériennes.

Que deviennent les Morente d’Andalousie et la branche maternelle de votre maman à Recas pendant la guerre civile ? 

Concernant la branche paternelle, les Morente ont payé un lourd tribut : les cinq garçons ont été engagés dans l’armée républicaine et dans sa résistance dans la Sierra Morena. Deux étaient dans l’armée de métier, trois dans la résistance.

Concernant la branche maternelle, le plus jeune frère a donc été dans les troupes franquistes au Maroc. Les deux autres frères étaient trop âgés pour s’engager dans l’armée, ou en tout cas j’ignore s’ils l’ont été. Ils étaient des paysans maraîchers et le sont restés. A Recas, il y a eu de graves règlements de compte et des exactions commises entre les Franquistes et les Républicains. Des fosses communes ont été retrouvées l’année dernière autour du village, contenant des corps de personnes civiles et notamment des enfants.

Qu’arrive-t-il à vos parents avant la Retirada en février 39 ?

Mon père était sergent, membre de la garde rapprochée de Lister et le suivait dans ses combats. Après Valence, ils sont sur le front de Barcelone. Après la défaite de la bataille de l’Ebre, ils se replient à nouveau à Barcelone puis vers la frontière française. C’est la Retirada. Les troupes se mélangent aux civils : cinq-cent mille personnes passent à travers la montagne ou par les vallées du Perthus. Une grande panique. Ma mère est enceinte de six mois et est dans un mauvais état. Elle est transportée dans un camion avec les personnes âgées et les enfants. Il y a alors plus de mille deux-cent femmes enceintes ! Ils sont harcelés par les avions mussoliniens et les Messerschmitt allemands. Ma mère, dans son camion, se sent encore plus exposée aux rafales. Ceux qui marchaient pouvaient se réfugier dans les rochers. Elle a alors perdu plusieurs amies enceintes comme elle. Mon père est séparé de ma mère même s’ils sont sur la même route escarpée du Perthus. Arrivés au Boulou, ma mère est internée la première au camp d’Argelès. Mon père la suit quelques jours après, mais les hommes et les femmes sont séparés : ils ignorent qu’ils sont dans le même camp. Le camp n’est qu’une large plage de sable. Les réfugiés espagnols ont dû y creuser des trous pour s’y protéger du froid. Puis, l’armée française, aidée des troupes marocaines, ont bâti en catastrophe des casernes.

Les réfugiés avaient interdiction de sortir du camp : ils étaient prisonniers. L’armée française souhaitait être prudente avec les militaires républicains, “les Rouges”.

Pour son accouchement, ma mère a été refoulée des maternités de Delle et d’Agen : il n’y avait plus de place. Elle a été conduite en bus militaire à l’hôpital Saint-Cyr de Villeneuve-sur-Lot. Je suis né le 27 mars 39. Elles étaient six réfugiées espagnoles à accoucher et sont devenues comme des sœurs. En particulier un femme, Julia, était une grande amie de ma mère. Elle a perdu son enfant trois jours après sa naissance. Ma mère est ensuite hébergée par la commune de Monflanquin qui réalise des recherches pour localiser mon père.  Mon père, qui n’était pas un simple soldat, mais un haut gradé, membre de la garde rapprochée de Lister, a été identifié au camp d’Argelès. Il n’a pas voulu attendre sa libération du camp. Il a vendu sa chevalière en or et a payé un taxi qui nous a ramenés à lui. Mes parents sont restés trois mois dans ce camp. Mais j’étais très malade, enchaînant bronchites et méningites en raison de l’insalubrité du camp. Un jour, un cataplasme de plantes me brûle tout le corps. J’ai été hospitalisé à Perpignan. Ma mère, également malade, y a aussi été soignée. Un médecin espagnol lui a proposé un marché : séjourner plus longtemps à l’hôpital, où elle était mieux nourrie qu’au camp, si en échange elle donnait son lait, qu’elle avait en grande quantité, à d’autres nourrissons. J’ai eu ainsi des frères de lait. Et mieux nourrie, ma mère a pu mieux me nourrir.

A votre retour du camp, il se passe quelque chose d’extraordinaire, et je pèse mes mots, c’est que, sans le vouloir, vous êtes âgé de quelques mois, puis vous êtes le héros d’une épopée fantastique puisque votre maman va vous perdre ! 

Oui, à cette époque, beaucoup d’Espagnols s’échappaient du camp. Mais mes parents ont été extraits du camp par la commune de Monflanquin, dirigé alors par le maire René Andrieux, de sensibilité socialiste et humaniste. Ils ont été hébergés et ont eu un travail. Cent-quarante sept réfugiés espagnols ont été hébergés par cette commune durant cette période. Mon père travaillait dans l’usine de bois dirigée par le maire. Mais la guerre avec l’Allemagne a éclaté au bout de quatre mois, en juin 39. Mes parents ont été affectés dans une usine d’armement à Pontigny, près d’Auxerre. Ils logeaient séparément dans un CTE, camp de travailleurs étrangers. Ma mère travaillait avec d’autres amies espagnoles. Le directeur de l’usine était aussi un humaniste et avait créé une crèche pour les enfants des travailleurs, où j’ai été très bien accueilli. Lorsque les troupes allemandes pénétrèrent en France en passant par la Belgique, mes parents furent obligés de quitter Auxerre. Ils prirent la route à pied, avec d’autres milliers de réfugiés français, vers le sud. Lors des contrôles de gendarmerie, qui vérifiaient si les réfugiés avaient un point de destination, faute de quoi, ils étaient arrêtés, mes parents présentaient un bulletin de salaire de mon père, signé par le maire de Monflanquin, prétendant pouvoir y être logés. Mes parents connurent alors à nouveau l’exode, les mitraillages et les tirs de Messerschmitt allemands. Le film “Jeux interdits” revient sur cette épopée. Une amie de ma mère, Conchita, rencontrée à l’usine d’armement, fut accueillie avec sa petite fille par un Français dans sa camionnette. Faute de place, il accepte aussi de me prendre mais sans mes parents. Ils se promirent de se retrouver à un carrefour à une trentaine de kilomètres, à l’entrée d’Auxerre. Mais à l’arrivée près d’Auxerre, la ville a été entièrement bombardée. C’était la panique. Mes parents ne nous retrouvèrent pas. Ils me crurent mort ou kidnappé.

Mais les mois passent et leur fils, on sait pas où il est. Mais arrive à Monflanquin une nouvelle qui va les transporter de joie ! 

Mes parents marchent jusqu’à Monflanquin qui est à plus de six-cent kilomètres d’Auxerre. Ils dorment dans des granges ou dans les bois. A Monflanquin, ils sont à nouveau hébergés. Ma mère passait ses journées à pleurer et aller de porte en porte demander de l’aide pour retrouver son fils alors même qu’en espagnol elle ne pouvait se faire comprendre. Mme de Blaimont, d’origine suisse, dirigeant la cellule locale de la Croix-Rouge française, qui tenait aussi une imprimerie et vivait avec un réfugié républicain espagnol, a engagé des recherches à mon égard avec l’aide du maire, Mr Andrieux. En parallèle, après le bombardement d’Auxerre, Conchita et son ami français ont rebroussé chemin avec leur camionnette et sont retournés à Pontigny qui était à moins de quinze kilomètres. Nous avons été accueillis par la crèche de l’usine. Cette pouponnière avait été fondée par le directeur de l’usine ainsi que par une comtesse : elle était située dans un château ! Cette comtesse était également membre de la Croix-Rouge française. Elle avait fait installer une immense croix blanche sur fond rouge dans le parc du château : nous n’avons jamais été bombardés durant mes quatorze mois de résidence alors qu’Auxerre a été une cible constante. Cette comtesse a retrouvé dans la mallette qui m’accompagnait une lettre de mon oncle maternel, Tio Eduardo, qui résidait à Madrid. Utilisant l’adresse de l’expéditeur sur l’enveloppe, calle Juanero, numero 14, elle lui a écrit en expliquant la situation. A l’époque, Franco ne censurait pas les courriers entre le nord de la France, devenu pétainiste, et l’Espagne. Mon oncle lui a répondu. Et par l’intermédiaire de Mr Andrieux et de Mme de Blaimont, il a réussi à localiser mes parents. Je ne sais pas comment ils ont réussi à communiquer car le courrier entre le sud de la France et l’Espagne était alors censuré.

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