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Françoise ROYS-CABALLERO

Françoise Roys-Caballero
Républicaine Espagnole
Née en 1923

Françoise ROYS-CABALLERO
Françoise ROYS-CABALLERO
/
Les séquences

Interviewer : Marianne Bernard
LieuFoyer ADOMA, Bordeaux
Date : 15 avril 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux au sujet des Résistants républicains espagnols en Aquitaine, un entretien avec Françoise Roys Caballero a été enregistré le 15 avril 2009 à Bordeaux (33) par Marianne Bernard et Oumar Diallo.  Sur cette page, vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

FRANÇOISE ROYS-CABALLERO – Je suis née en 1923 à Bordeaux. Mon père s’appelait Alfonso Caballero et ma mère Angela Almeida. Mon père est arrivé en France avec ses trois frères et son père pendant la première guerre mondiale. Il avait un contrat de travail en tant que tailleur de pierres. La France était alors en manque de main d’œuvre, les hommes étant majoritairement au front. Il a ensuite connu ma mère, espagnole également, beaucoup plus jeune que lui, arrivée en France avec sa sœur pour l’aider dans la garde de ses enfants. Elle était employée comme bonne à tout faire.

MARIANNE BERNARD – Quand la guerre de 1939 s’est déclenchée, votre père s’est-il engagé ?  

A l’époque de la guerre civile d’Espagne, mon père a soutenu la Fédération des Républicains espagnols, fondée en France par les migrants espagnols pour soutenir, notamment financièrement, les Républicains. Franco avait alors fait appel à l’aide des Allemands et des Italiens pour venir à bout de la guerre. Un afflux de réfugiés espagnols était arrivé en France, des trains bondés de femmes et d’enfants. Avec ma mère, on se rendait régulièrement à la gare Saint-Jean pour leur apporter à manger. Bordeaux n’était qu’une ville de passage pour ces trains. Un jour, un train s’est arrêté. Nous avons hébergé une réfugiée espagnole. Nous l’avons aidée à retrouver ses trois enfants dont elle avait été séparée. Ils étaient dans des centres de colonies de vacances : c’était le mois de juin ou juillet. A la fin de la guerre d’Espagne, en 39, nous avons aidé cette femme à retrouver son mari : elle appris qu’il était décédé au front. Elle est repartie en Espagne avec ses enfants. Nous avons aidé d’autres familles espagnoles réfugiées. Je me souviens d’une petite fille qui avait la tête dans les mains : elle avait vu sa sœur assassinée par des franquistes après avoir été violée et mutilée. Je me souviens aussi d’un réfugié républicain qui avait laissé ses enfants à la garde d’une tante en Espagne et dont la fille s’est fait crever les yeux par un médecin espagnol.

A partir de quelle année êtes-vous entrée en résistance ?

En 42, l’année où j’ai terminé l’école de secrétariat. J’ai pris le premier emploi que j’ai pu trouver, faute d’expérience. J’ai intégré un groupe de résistants. C’est mon père qui m’a sollicitée. Et j’ai accepté. Pour moi, c’était totalement naturel. Mon père était très engagé politiquement. Il avait toujours milité à gauche et en avait imprégné toute la famille.

Je ne suis pas certaine des noms des résistants membres de notre groupe : Pastrana, Sixto, El argentino, Quesada et le chef du réseau, Joaquin. J’ai su après la guerre que ce dernier se prénommait en réalité Andrès Serrano et est décédé sous la torture. Ils se réunissaient régulièrement au café Alfresco, place Gambetta.

Je leur servais d’agent de transmission. Je transportais des enveloppes que je leur remettais en secret. J’avais notamment ces échanges avec Joaquim à l’heure du déjeuner en semaine sur une place croisant le Cour de la Marne. J’ignorais ce que contenaient les enveloppes.

Je me souviens du jour où ils ont tous été arrêtés. J’étais en colère car mon chef m’avait contrainte à travailler le samedi après-midi. A l’époque, on travaillait le samedi matin, mais pas l’après-midi. Or, mon père m’avait demandé d’aller ce même samedi aider à taper à la machine chez Pastrana pour la Fédération des Républicains espagnols dont il était devenu le trésorier. Je n’ai donc pas pu l’aider : mon chef m’a sauvé la vie.

C’était un groupe de résistants espagnols qui avaient fait la guerre d’Espagne ? 

Oui, tous ont fait la guerre d’Espagne sauf mon père. D’ailleurs, mon père n’était pas présent le jour de leur arrestation. Il a été arrêté huit ou dix jours plus tard, après avoir été dénoncé par Sixto.

Vous n’avez pas été inquiétée à ce moment-là ?  

Non, je me suis présentée le dimanche matin chez Pastrana. Sa femme a entrebaillé la porte-cochère de son immeuble situé non loin de la place Picard. Elle m’a appris leur arrestation et m’a demandé de prévenir le reste du groupe. De façon surprenante, je ne suis pas rentrée en courant. J’ai pris tranquillement le tramway et j’ai prévenu mon père. Après leur arrestation, mes parents, ma tante et moi avons tous été suivis par la Gestapo. Chaque matin, un de leurs hommes était derrière moi lorsque je partais au travail. Étrangement, je n’étais pas inquiète. Mon père non plus, il n’a pas fui.

Je me dis que je n’avais que dix-neuf ans : j’étais jeune et naïve. J’ai l’impression de n’avoir rien réalisé. Après l’arrestation de mon père, j’ai failli subir le même sort. Lors d’une course que m’avait envoyée faire mon patron Cour de la Marne, j’ai croisé avec surprise El argentino : il était censé avoir été arrêté avec les autres et renvoyé en Espagne. Alors que je me dirigeais vers lui, il s’est penché sur sa cigarette avec son briquet et m’a fait signe de m’en aller. Je suis rentrée au bureau et me suis retrouvée face à la gestapo et à un militaire allemand. Mon patron a refusé que je sois interrogée par eux et m’a interrogée lui-même. Et alors que le militaire prenait ma main pour m’arrêter, mon patron a refusé en disant qu’il allait d’abord parler à leur chef. Je ne sais par quel miracle il a obtenu ma liberté. J’ignorais totalement s’il appartenait à la résistance car il était trop risqué d’en parler à l’époque. Je tapais à la machine pour lui et c’est tout.

Et que sont devenus vos compagnons de résistance en tout cas ? 

Barras a été interné au camp de Compiègne. Sixto était à Oranienburg aussi. Joaquin Serrano a été tué lui sous la torture à l’âge de vingt-cinq ans. C’était un basque costaud d’1m80 : il n’a pas parlé. Mon père a été amené à Oranienburg, puis transféré à Ravensbruck, qui était une annexe de Buchenwald. Il y est resté deux ans et demi. Il a été libéré le 8 avril 45 après avoir passé un mois à l’hôpital à Paris. J’ai toujours ignoré le rôle de mon père dans la résistance. Il partait à bicyclette et je ne savais pas où il allait : il ne m’a jamais rien dit pour des raisons de sécurité. Et après son retour du camp, il s’est terré dans le silence. Il était dévasté, une loque. Il a essayé de reprendre le travail mais n’a pas pu. Il a subi de multiples opérations, notamment une thoracoplastie qui a lui a enlevé un poumon. Il est décédé ensuite d’un cancer.

Et vous, vous êtes née donc en France, mais vous vous sentiez concernée par tout ce qui c’était passé en Espagne ?

Oui, et je le suis toujours. L’Espagne, c’est tout pour moi. Mon mari est d’ailleurs espagnol : je n’aurais jamais pu me marier avec un Français.

Après la seconde guerre, votre père a été en contact avec les Espagnols de Bordeaux ? 

Oui, ils ont créé une association de combattants et de déportés dont le siège était rue du Cloître. Ils organisaient des réunions, des repas et des sorties. Il y retrouvait notamment Pastrana et sa femme qui avait été une grande résistante. Je n’ai découvert qu’après la guerre la participation d’un grand nombre à la résistance. J’ai ainsi appris les activités de Alvarez, de Paralès ou encore de Acosta.

Et après l’arrestation du groupe de votre père, avez-vous continué dans la résistance ? 

Non, je ne pouvais pas. J’étais suivie. C’était trop dangereux. J’ai cessé tout contact. Et ma mère, quant à elle, n’a jamais appartenu à la résistance. Elle avait très peur. Avant l’arrestation de mon père, elle lui reprochait mon implication. De mon côté, j’ai changé de travail pour une entreprise près des quais.

Et vous n’avez jamais pensé à votre retour en Espagne ?

Ma mère, si ! Elle avait préparé ses valises. Elle voulait partir. Mais on n’est jamais parti.

Vous vous êtes mariée après la guerre ? 

Je me suis mariée en 46 avec un Espagnol. Il était résistant également. Avant, il était dans la marine républicaine espagnole et a fui à pied en partant de Lloret del mar. Il est arrivé en France le 16 février 39, le jour de son vingt-et-unième anniversaire, en franchissant la frontière au niveau du Boulou. Il a fait partie des réfugiés républicains internés au camp d’Argelès. Puis, il a réussi à éviter sa déportation en Allemagne ! A l’époque, Franco avait demandé à la France de déporter les Républicains : il a été placé dans un wagon à bestiaux avec d’autres mais en a sauté avec trois autres copains. Il a suivi un Espagnol qui était cordonnier et il a simulé avoir le même métier pour obtenir un travail au camp de Neubourg. Dénoncé par un officier allemand qui avait découvert son incompétence, il a survécu à un inspecteur du travail grâce à son ami cordonnier qui lui a passé une chaussure qu’il avait déjà travaillée. Finalement, il a rejoint par hasard Bordeaux après avoir échappé à une arrestation à 4 heures du matin dans la chambre qu’il louait : un policier français l’a averti juste avant et il a sauté par la fenêtre. Il est devenu ensuite tourneur à Bordeaux.

Et vous avez eu des enfants qui se sont mariés en France. Vous avez fait souche dans ce pays.

Oui, mais mes enfants aiment beaucoup l’Espagne et y vont régulièrement. Je ne pourrai pas vivre là-bas car j’ai acquis les coutumes françaises.

Et qu’est-ce qu’ils pensent de votre histoire ? 

Je ne leur ai jamais raconté. Je ne pense pas que ça les intéresserait. Ils ont cependant été à l’exposition du centre Jean Moulin. Mon fils aîné m’a demandé de lui acheter le livre. Mais je ne le leur ai jamais raconté comme à vous.

Pourtant, après la guerre, j’ai continué à être active. J’ai été membre du parti communiste espagnol, qui était interdit en Espagne. On organisait beaucoup de réunions chez les uns et chez les autres. Après l’accouchement des jumeaux, j’ai tout arrêté.

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Interviewer : Marianne Bernard
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